Intervention de Gianni Buquicchio à la 17e Conférence européenne des administrations électorales sur

« le droit électoral et l’administration des élections,

défis récurrents et bonnes pratiques »

12-13 novembre 2020, en ligne

Monsieur le vice-ministre Livanios,

Mesdames et Messieurs les présidents et membres d’administrations électorales,

Mesdames et Messieurs,

A situation exceptionnelle, solutions exceptionnelles : pour la première fois depuis sa création, la Conférence européenne des administrations électorales se tient entièrement en ligne.

Actualité oblige, la conférence mettra l’accent non seulement sur les problèmes récurrents du droit et de l’administration des élections, mais aussi sur la tenue des élections dans des situations d’urgence.

Dans ces circonstances, en matière électorale comme dans les autres domaines, la sauvegarde de vies humaines peut nécessiter de sacrifier des biens moins importants, certes, mais ne doit pas servir de prétexte pour une restriction excessive des libertés : le principe de la proportionnalité doit être strictement respecté.

C’est le dilemme auquel les autorités comme les citoyens sont confrontés. Cela vaut pour le droit à des élections libres comme pour les autres droits de l’homme.

Dans notre domaine, le défi est en effet d’assurer la périodicité des élections, c’est-à-dire le renouvellement des mandats électifs à leur terme normal. Mais il faut pour cela s’assurer que les autres conditions du droit à des élections libres soient remplies.

La Commission de Venise s’est déjà penchée sur la question. Ainsi, elle a adopté en juin et en octobre 2020 des rapports qui proposent des pistes de réflexion sur l’impact des situations ou états d’urgence sur la démocratie, l’Etat de droit et les droits fondamentaux, notamment sur la tenue des processus électoraux.

Elle s’est déclarée favorable à un état d’urgence de jure – c’est-à-dire un état d’urgence déclaré – car une déclaration officielle tend à offrir de meilleures garanties.

Qu’est-ce que cela implique pour les processus électoraux ?

Compte tenu de l’importance des élections pour la démocratie, la Commission recommande que, en cas d’état d’urgence, la décision de reporter les élections soit prise par le Parlement, si elle dépasse une certaine durée (par exemple plus de six mois), et que l’autorité ayant la compétence de reporter les élections soit de toute manière clairement définie.

Contrairement à d’autres situations, en matière électorale, ce sont deux aspects du même droit, le droit à des élections libres, qui entrent en conflit : la périodicité des élections d’une part – mise à mal par un report du scrutin – et le suffrage universel et la liberté de vote d’autre part, forcément mis en cause par la tenue d’élections dans une situation d’urgence.

En effet, certains électeurs hésitent à se déplacer ; si par contre le vote à distance est généralisé « en catastrophe », il y a plus de risques d’irrégularités ; et, de façon générale, les mesures sanitaires ont un impact sur la libre formation de la volonté des électeurs, du fait, en particulier, des restrictions à la liberté de réunion pendant les campagnes.

Le rapport d’octobre 2020 recommande de remédier tant que faire se peut à ces limitations, par exemple en utilisant les médias traditionnels et sociaux, avec de la publicité en ligne ainsi que des débats.

Les partis politiques ont ainsi dû adapter leurs méthodes de campagne et recourir davantage aux réseaux sociaux ; cela n’est cependant pas sans risques.

Ces questions ont fait l’objet de la Conférence d’Oslo de 2018 qui avait déjà soulevé le défi des réseaux sociaux et les risques qu’ils peuvent présenter pour la sincérité du scrutin. Elles sont également traitées par le rapport sur les nouvelles technologies et les élections adopté l’an dernier et les principes en la matière qui seront soumis en décembre prochain à la Commission.

La question qui nous taraude est donc : comment vous, administrateurs d’élections, pouvez-vous assurer un suffrage aussi universel que possible en permettant à tous les électeurs de pouvoir voter sans mettre en danger sanitaire la population ? La tenue de plusieurs élections depuis ce printemps devrait nous permettre d’y répondre.

Si la présente crise sanitaire va, nous l’espérons, prendre fin rapidement, il faudra en tirer les leçons. Cela vaut dans bien des domaines, sanitaire, économique ou autre, mais aussi dans celui des élections. Nous serons ainsi mieux prêts pour affronter les crises futures, car, malheureusement, l’actuelle, qui n’est pas la première, n’est pas la dernière non plus.

Cela me conduit à en venir aux problèmes récurrents et aux solutions à leur apporter.

L’arbre de la crise sanitaire ne doit pas en effet cacher la forêt des problèmes récurrents, sinon permanents, du droit et de l’administration des élections.

Après 30 ans d’observation régulière des élections et d’assistance juridique visant à améliorer les législations et pratiques électorales, la Commission de Venise constate que des irrégularités et mauvaises pratiques demeurent au fil des processus électoraux de nos Etats membres.

Il convient d’en tirer les leçons qui s’imposent et d’éviter que ces problèmes persistent à l’avenir. Et à cet égard, les responsables des administrations électorales jouent un rôle essentiel dans la prévention des problèmes récurrents dans la tenue des scrutins et les réponses qui leur sont apportées.

Cela concerne toutes les étapes d’un cycle électoral et on retiendra essentiellement dans cette conférence les campagnes électorales, les opérations de vote, le dépouillement et la proclamation des résultats. Je n’entrerai pas ici dans davantage de détails car cela fera l’objet du rapport de M. Richard Barrett.

Venons-en donc à la deuxième question fondamentale qui nous est posée dans cette enceinte : Comment les administrations électorales peuvent-elles anticiper ou corriger ces faiblesses structurelles dans nos processus électoraux ?

C’est bien là le défi à long terme qui touche vos administrations électorales à tous niveaux.

Nos législateurs ont bien sûr une grande responsabilité, notamment en assurant des législations électorales stables, qui ne sont pas modifiées à la veille d’un scrutin. Les autorités doivent aussi assurer une stabilité financière de vos administrations ainsi que des membres qui les composent.

Cependant, face à ces défis récurrents, plusieurs questions se posent directement aux administrations électorales et concernent votre travail :

Comment assurer des listes électorales à jour et fiables, qui bénéficient de la confiance des citoyens ?

Comment assurer une formation continue des administrateurs d’élections, notamment concernant ces nouvelles conditions sanitaires ?

Comment assurer l’information régulière faite aux électeurs notamment quand il y a des changements importants comme dans cette période de crise sanitaire ?

Et je ne développe pas ici les autres aspects des processus électoraux sur lesquels vous intervenez, selon vos compétences, comme par exemple en matière de règles sur le déroulement des campagnes électorales, le financement ou encore la couverture médiatique.

La question suivante se pose aussi : les administrations électorales ont-elles les moyens financiers et humains pour assurer de telles responsabilités mais également une législation adaptée et solide ?

Cette conférence sera une excellente occasion de partager, comme les précédentes éditions, les expériences des différents participants et en particulier les solutions trouvées à des problèmes récurrents.

Mesdames et Messieurs les administrateurs d’élections, face à cette période inédite pour notre santé, nos économies, notre culture et nos institutions démocratiques, nous nous devons plus que jamais de promouvoir nos valeurs démocratiques.

Et cela commence par la tenue d’élections démocratiques.

Votre rôle est plus que jamais essentiel. C’est répondre aux attentes des citoyens, c’est assurer dans le même temps une amélioration constante des processus électoraux, mais aussi protéger la santé des citoyens en période de crise sanitaire.

Cette conférence sera sans doute trop courte pour passer en revue en détail les défis, en particulier les défis nouveaux résultant de la crise du COVID-19. Nous aurons toutefois d’autres occasions d’en débattre.

Soyez ainsi assurés que la Commission de Venise continuera d’être à vos côtés pour vous accompagner dans l’organisation d’élections démocratiques, comme elle l’a fait récemment avec l’organisation de trois webinaires avec les commissions électorales du Monténégro, de la République de Moldova et de la Géorgie.

Je vous souhaite à toutes et tous de fructueux débats !