19e Conférence du Conseil de l'Europe des directeurs des services pénitentiaires et de probation « Prison et probation : des objectifs communs, des valeurs communes »

Helsinki, 17 juin 2014

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,


C’est avec un réel plaisir que je retrouve tant de visages familiers dans cette salle de ce magnifique Centre des Congrès qui s’ouvre sur le Golfe de Finlande. Les dates de cette conférence ne sont pas le fait du hasard : cette Conférence se tient en effet entre deux moments importants pour les Finlandais – la date de la fondation d’Helsinki (12 juin 1550) et les célébrations du solstice d’été (20 juin). Cette période de juin, toute particulière dans le Nord, est celle des nuits blanches. Je suis convaincu, même si elles seront un peu fraîches, qu’elles illumineront l’ambiance et les résultats de la conférence.

Ancien centre commercial et militaire stratégique, Helsinki est devenue une ville d’art et de culture, une ville qui a accueilli de nombreux grands sommets internationaux et d’importantes conférences multilatérales. Je songe notamment à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) en 1975 et au premier Sommet américano soviétique en 1990. Ce Sommet, où se sont rencontrés les Présidents George Bush et Mikhail Gorbatchev, a conforté les mutations démocratiques en Europe et l’élargissement du Conseil de l'Europe.

L’expérience et l’expertise des autorités finlandaises dans l’organisation d’événements internationaux sont unanimement reconnues et saluées. Aussi est-ce avec grand plaisir que le Conseil de l'Europe a accepté l’invitation qui lui a été faite de tenir à Helsinki la 19e Conférence du Conseil de l'Europe des directeurs des services pénitentiaires et de probation.

Je souhaite ici remercier chaleureusement Mme Tiina Àstolà, Secrétaire permanente du ministère de la Justice, pour la très agréable réception qu’elle nous a offerte hier soir. J’exprime également toute ma gratitude au Ministre de la Justice – Mme Anna Maja Henriksson - pour sa contribution aux travaux de la conférence. Ma reconnaissance et mes vifs remerciements vont enfin à M. Esa Vesterbacka ainsi qu’à l’Agence des sanctions pénales pour leur invitation à accueillir cette 19ème Conférence et pour son excellente organisation.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Vous vous souvenez sans doute de la proposition faite lors de la dernière Conférence des directeurs d’administrations pénitentiaires qui s’est tenue à Bruxelles en 2013, d’inviter au même titre les directeurs des services pénitentiaires et les directeurs des services de probation. Cette proposition a été avalisée officiellement par le Comité des Ministres. Cette décision a ainsi entrainé la modification du nom même de la conférence qui se nomme désormais « Conférence des directeurs des services pénitentiaires et de probation ». Je m’en réjouis.

Le titre de la Conférence de cette année: « Prison et probation : des objectifs communs, des valeurs communes » nous rappelle que la prison et la probation ont un but commun : prendre en charge les personnes en conflit avec la loi. L’être humain et le respect de sa dignité doivent demeurer au centre de cette mission. La performance de votre action en tant que directeurs doit être mesurée à l’aune de votre capacité à resocialiser des personnes qui ont commis des délits, à changer leur comportement.

Le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, M. Thorbjørn Jagland, a publié en mai de cette année un rapport sur « L’état de la démocratie, des droits de l'homme et de l’Etat de droit en Europe ». Ce rapport s’appuie sur les conclusions de nos mécanismes de suivi et de nos organes consultatifs. L’une des préoccupations majeures dont il fait état dans ce rapport concerne les conditions de détention et le fait que la surpopulation carcérale continue d’être un problème récurrent dans près de la moitié de nos Etats membres.

La jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l'homme – on nous le rappellera au cours de cette Conférence – et les constats faits à cet égard par le CPT témoignent en effet de la gravité du problème dans plusieurs de nos Etats membres. La surpopulation carcérale et les conditions de détention ont fait l’objet de discussions approfondies lors des nombreuses conférences et autres réunions tenues par le Conseil de l'Europe, notamment lors des réunions du Comité des Ministres consacrées à la surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.

Dans son rapport, le Secrétaire général formule trois recommandations principales pour lutter contre les mauvaises conditions de détention et la surpopulation carcérale :

  •  « moduler les politiques de condamnation à des peines d’emprisonnement et recourir davantage à des sanctions alternatives ;
  •  réexaminer la nécessité de la détention provisoire et réduire sa durée, dans le sillage des recommandations du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe ; et enfin, troisième recommandation :
  •  appliquer les normes du Conseil de l’Europe relatives à certaines catégories de détenus (ceux en détention provisoire, ceux en détention à perpétuité et les détenus ressortissants étrangers). » 

De surcroît - vous le savez fort bien - dans plusieurs de ses recommandations, le Comité des Ministres affirme que la détention ne saurait être utilisée qu’en dernier ressort.

Pourquoi donc les peines d’emprisonnement ont-t-elles perdu leur statut de ultimum remedium ? Pourquoi continuent-elles de prendre de plus en plus de place dans la politique pénale ? Et ce malgré le développement, mené en parallèle, surtout récemment, des solutions alternatives à la détention ? Que faut-il changer ? Les services pénitentiaires et de probation peuvent-ils le faire à eux seuls ?

Il nous appartient d’apporter des réponses à ces questions et le Conseil de l'Europe compte sur votre contribution essentielle pour les trouver afin d’envoyer un message fort aux autorités de nos Etats membres. Une contribution de votre part s’impose, et de toute urgence.

Mesdames et Messieurs,

Nous devons en premier lieu étudier attentivement les raisons de la surpopulation carcérale. Ces raisons peuvent varier selon le système pénal et la politique pénale des différents pays. Certains facteurs peuvent sembler identiques mais néanmoins appeler des réponses différentes selon les traditions juridiques, les traditions culturelles ou sociales des pays.

Le Conseil de l'Europe est prêt à apporter son aide et ses conseils aux autorités de ses Etats membres et, en l’occurrence, à leurs services pénitentiaires et de probation. Mais pour ce faire, votre engagement, votre initiative et votre implication dans le processus sont indispensables.

La surpopulation carcérale est un défi majeur. Il se pose au quotidien pour les directeurs de prison et pour le personnel pénitentiaire. La pénurie de places ne doit pas masquer d’autres questions. Il est vrai que l’on construit aujourd’hui de nouvelles prisons, des prisons modernes, hautement technologiques, dans de nombreux pays européens. La véritable question est cependant l’augmentation continue du nombre des détenus, et le fait que, malgré le développement des possibilités technologiques permettant de garantir la sécurité publique et la diminution du nombre de crimes violents, la détention demeure trop souvent encore la solution préférée pour sanctionner les comportements délictueux, en dépit de son coût très élevé.

La politique pénale suivie actuellement par de nombreux pays, à savoir la condamnation à des peines privatives de liberté plus longues et à des peines à perpétuité, a pour conséquence inéluctable de remplir de plus en plus les prisons de détenus restant pour de longues périodes de leur vie derrière les barreaux. Par ailleurs, le personnel pénitentiaire n’est pas toujours suffisamment formé et l’encadrement pas toujours adapté pour faire face à une population carcérale vieillissante et souvent dans un état de santé précaire. Comment, dans de telles conditions, réussir à réintégrer dans la société un détenu âgé et en mauvaise santé dont, de surcroît, la vie familiale et sociale a été désagrégée ?
A cela s’ajoute le fait que la construction de nouvelles prisons « high tech » privilégie la surveillance à distance au détriment de l’investissement dans une sécurité dynamique, basée sur les échanges positifs et constructifs entre un personnel bien formé et les détenus.

Dans ce contexte, je rappelle que les normes du Conseil de l'Europe et celles des Nations Unies soulignent que le but premier de la détention est l’intégration sociale des délinquants et que, pour ce faire, ceux-ci doivent être traités avec humanité dans le plein respect de leur dignité.

Les délinquants doivent se voir offrir une chance de trouver leur place dans la société ; il appartient à vos services de faire passer ce message aux juges et aux procureurs, aux médias et à la population. Votre voix et votre opinion doivent être prises en compte.

Mesdames et messieurs,

A quoi sert-il de garder derrière les barreaux des détenus jeunes et en âge d’activité, alors que l’on pourrait leur donner une formation et les engager à travailler au bénéfice de la communauté ? Si vous me passez cette expression, les mailles du filet pénitentiaire doivent être rétrécies car, actuellement, au lieu de ne prendre que des auteurs de crimes graves et violents, dangereux pour la société ou ceux pour lesquels les peines alternatives se seraient révélées inefficaces, le filet continue à attraper un nombre croissant de délinquants non violents pour lesquels la prison n’est certainement pas la solution la plus appropriée.

Les peines et les mesures d’intérêt général qui se sont développées au cours des dernières décennies et que l’on peut pour la plupart envisager comme des alternatives fiables à la détention, - je songe notamment aux travaux d’intérêt général, aux centres de jour, à la surveillance électronique, à la surveillance intensive, au traitement des problèmes de dépendance -, ont fait la preuve de leur efficacité. Malgré ces alternatives efficaces, la population carcérale ne cesse d’augmenter dans un certain nombre de pays et devient de plus en plus difficile à gérer.

C’est la raison pour laquelle il conviendrait de renforcer la place et le rôle des services de probation et mieux faire connaître au sein de la société l’efficacité de leurs interventions, ce qui devrait profiter à la fois aux services pénitentiaires et aux services de probation. En effet, une fois réglé le problème de la surpopulation carcérale, les services pénitentiaires pourront améliorer les conditions de détention et la préparation à la libération des détenus, et l’on pourra consacrer plus de temps et d’argent à former le personnel et à mettre en place de nouvelles méthodes modernes de travail avec les détenus.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Le titre de la présente Conférence indique bien qu’il y a une tendance à rapprocher les structures, les buts et les valeurs des services pénitentiaires et des services de probation. Cette tendance est positive car les services pénitentiaires et de probation doivent travailler ensemble et placer l’être humain au centre de leur attention. Il y a certes – j’en conviens –  aussi un risque : afin de recueillir l’approbation du public concernant l’efficacité et la crédibilité des services de probation, ces derniers pourraient investir de plus en plus dans les mesures de contrôle et de sécurité. Pour pallier à ce risque, il faut veiller à mettre en place des garanties suffisantes contre les abus et investir en parallèle dans les mesures nécessaires à la resocialisation des délinquants. La Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, la plus récente, relative à la surveillance électronique [Rec(2014)4] est particulièrement vigilante à cet égard. La Règle 5 des principes fondamentaux énonce que : «La surveillance électronique ne doit pas être mise en œuvre d’une manière qui restreigne les droits et libertés fondamentaux du prévenu ou de l’auteur de l’infraction au-delà de ce qui est prévu dans la décision imposant cette mesure. » La règle 8 souligne que « Pour que l’effet de prévention de la récidive soit plus durable, ce type de surveillance devrait être assorti d’autres interventions professionnelles et de mesures de soutien visant à faciliter la réinsertion sociale des auteurs d’infraction. »

Dans ce contexte, il est absolument nécessaire qu’un dialogue s’instaure au niveau national entre toutes les autorités compétentes – législateur, monde judiciaire, ministères de la Justice, de l’Intérieur et des Finances, services pénitentiaires et de probation – afin que ces autorités se mettent d’accord sur une stratégie pénale et pénitentiaire à long terme. Des solutions unilatérales à court terme et au gré des circonstances du moment ne sauraient avoir d’effets durables sur la criminalité.

Le Conseil de l'Europe est prêt à entamer un tel dialogue au niveau européen en mettant en place un groupe de travail interinstitutionnel au niveau international afin d’étudier les raisons de la surpopulation carcérale et les moyens d’inverser la tendance.

Dans la mise en œuvre de cette initiative, vous êtes nos partenaires incontournables, vous qui connaissez mieux que quiconque les raisons spécifiques de la surpopulation carcérale.

Je vous adresse tous mes vœux de succès pour vos travaux !