Back Opening of the Forum for the Future of Democracy 2011

Limassol , 

Forum pour l'avenir de la démocratie 2011

 

«L'interdépendance de la démocratie et de la cohésion sociale»

 
Séance d'ouverture
 
M. Thorbjørn JAGLAND
Secrétaire Général du Conseil de l'Europe

 
Cette année, le thème du Forum pour l'avenir de la démocratie « L'interdépendance de la démocratie et de la cohésion sociale » ne pouvait pas être plus opportun. En ce moment, l'Europe n'est pas seulement en proie à une très grave crise fiscale et financière. Nous commençons à percevoir les répercussions de cette crise sur la cohésion sociale ainsi que sur la confiance de l'opinion publique dans nos institutions démocratiques.
 
L'incidence des crises économiques est toujours plus forte pour les personnes qui sont déjà en situation de vulnérabilité et exposées à l'exclusion. Je pense ici notamment aux personnes qui ont un emploi précaire ou vivent dans une région économiquement fragile ou bien encore aux personnes âgées, aux migrants et aux Roms.
 
Permettez‑moi d'ajouter un mot sur les Roms en particulier. Leur situation, dans un certain nombre de pays européens, a valeur de test pour apprécier dans quelle mesure nos sociétés sont civilisées et humaines. Or, à ce test, nous n'avons pas encore obtenu la moyenne, c'est le moins qu'on puisse dire. Si nous laissons les circonstances économiques actuelles entraver nos efforts pour améliorer l'intégration sociale des Roms, les conséquences seront désastreuses, non seulement pour les Roms mais pour l'ensemble de la société.
 
La crise financière actuelle est d'une ampleur sans précédent. De nombreux pays prennent des mesures draconiennes pour essayer d'équilibrer les budgets publics. C'est à la fois nécessaire et compréhensible.  Mais, en même temps, les pays courent le grand risque de saper sérieusement le modèle européen de cohésion sociale.
 
Les citoyens ont très largement l'impression que la justice sociale et économique est négligée pour sauvegarder les intérêts et les profits du secteur financier. Notre démocratie est minée par l'accroissement de la pauvreté. Les jeunes notamment réagissent aux différentes formes d'exclusion et de discrimination qu'ils rencontrent dans la vie politique et économique. Il suffit de voir les chiffres incroyablement élevés du chômage des jeunes dans la plupart des pays européens pour comprendre l'étendue de la fracture (juin 2011 : Espagne : 44,3 % ; Grèce : 36 % ; Italie et Irlande : 28,6 % ; Portugal : 27,8 % ; Royaume‑Uni et France : 20 %).
 
Nous devons prendre vraiment très au sérieux les manifestations de frustration des jeunes. C'est une conception courante mais erronée de considérer les enfants et les jeunes comme « l'avenir » ou des « citoyens en devenir » qui peuvent attendre que vienne leur tour. Ils sont de plus en plus nombreux à se plaindre du « syndrome du Prince Charles ». A l'heure actuelle, les jeunes sont, en effet, des citoyens qui ont à la fois des droits et des devoirs ainsi que des attentes et des compétences.
 
Il est intéressant d'examiner de près les différentes expressions du mécontentement. Elles se caractérisent par une diversité de pratiques démocratiques de type non conventionnel. Pour ne prendre qu'un exemple, j'évoquerai ces jeunes extrêmement actifs dans la « société en réseaux » où se développent de nouvelles formes de démocratie, comme l'ont prouvé les récentes manifestations de jeunes en Europe ainsi que les soulèvements des pays arabes. Le printemps arabe a démontré, une fois encore, à quel point la quête de la liberté était une aspiration profonde. Il n'y a pas de liberté sans démocratie ; il n'y a pas de démocratie sans la conviction qu'elle peut améliorer la vie des gens.
 
Or, la démocratie et les droits de l'homme sont également nécessaires pour assurer un développement économique durable. Le lauréat indien du Prix Nobel d'économie, Amartya Sen, a affirmé qu'aucune famine grave n'avait jamais eu lieu dans un pays doté d'une presse relativement libre. Il n'est pas difficile d'établir qu'il a raison.
 
Certes, la liberté d'expression peut en agacer certains mais son absence est toujours préjudiciable pour tous les membres de la société. Sans voix critiques qui puissent s'exprimer, il n'y a pas de garantie, ni de défense contre les erreurs et les abus de ceux qui exercent le pouvoir, avec les conséquences sociales, économiques et politiques négatives qu'une telle situation entraîne inévitablement.
 
Je suis heureux de constater que ce forum sera l'occasion d'engager un dialogue ouvert entre les représentants politiques et les jeunes qui participent activement aux manifestations pacifiques, qu'on les qualifie d'« indignés » ou de « génération précaire ».
 
Lorsque nous réfléchissons à des moyens de résoudre la crise, nous devons rejeter les politiques qui affaiblissent la cohésion sociale et contrer la crise par la cohésion sociale précisément, en investissant dans les droits sociaux et le dialogue interculturel.
 
Le programme des cités interculturelles, mené conjointement par le Conseil de l'Europe et l'Union européenne, révèle qu'une interculturalité réussie produit des avantages économiques tangibles. Les villes qui ont mis en place des politiques de dialogue interculturel efficaces semblent jouir d'un niveau de croissance économique supérieur aux autres villes.
 
Le Conseil de l'Europe n'a pas pour mission de régler les problèmes économiques que pose la crise actuelle. Cependant, outre qu'elle doit s'attacher à équilibrer les budgets, l'Europe doit élaborer une stratégie politique globale destinée à protéger la cohésion sociale : la préservation de la cohésion sociale pendant une récession économique constitue un choix politique. A vrai dire, ce n'est pas un choix mais une nécessité si nous voulons sauvegarder le modèle de société que nous avons construit au cours des soixante dernières années.
 
Le Conseil de l'Europe peut contribuer notablement à préserver la cohésion sociale sous l'angle des droits sociaux et des droits de l'homme, notamment dans les domaines de la jeunesse, du vieillissement, de la solidarité intergénérationnelle, des migrations, de l'éducation et de la lutte contre l'extrémisme et  les discours de haine. Nous pourrons ainsi instaurer la « sécurité profonde » qui devrait être, à mon avis, l'un des objectifs de la zone paneuropéenne du Conseil de l'Europe.

Les conséquences sociales et interculturelles de la crise que nous traversons soulignent la pertinence de l'analyse et des recommandations faites par le Groupe d'éminentes personnalités dans son rapport « Vivre ensemble ».
 
La conclusion du rapport est très claire sur deux points. Le premier, c'est que nos sociétés sont très diverses. Le second, c'est que nous ne savons pas gérer très efficacement cette diversité. Le rapport contient des recommandations très concrètes sur la façon d'améliorer la situation, sur les moyens de transformer la diversité perçue comme une menace potentielle en un véritable atout pour nos sociétés.
 
Selon moi, la priorité absolue est de faire face aux sociétés parallèles. Quand on vit les uns à côté des autres, on court toujours le risque de vivre les uns contre les autres. Ce que nous devons faire, c'est créer des sociétés où les individus vivent les uns avec les autres. Chacun a le droit de conserver sa propre identité car c'est une partie de notre richesse, de notre force, mais cette identité ne doit pas être maintenue sans les valeurs, et encore moins aux dépens des valeurs qui nous unissent et font de nous une société, nos valeurs communes qui sont consacrées et protégées par la Convention européenne des droits de l'homme.
 
Permettez‑moi de vous faire part d'une autre réflexion. Lorsque nous parlons de sociétés parallèles, nous pensons généralement aux communautés ethniques ou religieuses mais, en fait, ces sociétés parallèles sont beaucoup plus variées.

Regardez, par exemple, les oligarques financiers : un groupe dont les membres semblent être les moins frappés par la crise économique actuelle même s'ils ne sont pas  complètement étrangers – c'est un euphémisme – à son déclenchement. On a très souvent l'impression qu'ils agissent conformément à leurs propres règles et principes et que la « solidarité » au sein de ce groupe est beaucoup plus forte que la solidarité entre ledit groupe et le reste de la société. Telle est, à mon avis, la définition d'une société parallèle. Mais je vous rassure, je ne suis par en train de prôner une action révolutionnaire. Je fais simplement observer que ces personnes devraient assumer leur part de responsabilité dans la crise que nous connaissons et dans les mesures à prendre pour la surmonter.
 
Située au carrefour historique entre les régions occidentales et arabes du monde, Chypre accueille cette conférence, constitue un cadre approprié pour réaffirmer l'engagement du Conseil de l'Europe à partager son expérience avec les pays réformateurs du printemps arabe, à la demande de leurs autorités.
 
Je souhaite à ce 7e Forum pour l'avenir de la démocratie tout le succès possible et espère que les organes statutaires du Conseil de l'Europe étudieront ses conclusions et s'en inspireront pour préparer la deuxième conférence des ministres responsables de la cohésion sociale qui aura lieu l'année prochaine à Istanbul et la première édition du Forum international de Strasbourg pour la démocratie que le Conseil de l'Europe organisera en octobre de l'année prochaine.