Facteurs de réussite
Les facteurs de réussite des pratiques rassemblées dans ce recueil peuvent être répartis par catégorie thématique.
Thèmes généraux
- Recherche sans ambiguïté de la prévention et la réduction de la coercition
De manière générale, affirmer clairement que la coercition n’est pas du tout souhaitable (même si certains la considèrent comme nécessaire dans certaines circonstances précises) et s'engager à prendre des mesures efficaces pour réduire, prévenir et même éliminer la coercition est une condition préalable nécessaire à la réussite dans ce domaine. De telles déclarations d'intention ne suffisent évidemment pas et des mécanismes de reddition de comptes sont nécessaires (voir plus loin, Politique et pratique). Néanmoins, le fait de partir de ce principe explicite favorise le recentrage d’une loi, d’une politique publique ou d’une pratique en faveur de la prévention des pratiques coercitives, de la réduction et, si cela est effectivement possible, de l’élimination de la coercition.
- Un leadership de haut en bas et au niveau local est nécessaire
Le thème fondamental qui ressort de toutes les pratiques est qu’un leadership de haut en bas et au niveau local semble important. Sans ces deux éléments, il semble difficile d’instaurer et maintenir un changement de culture en faveur de la prévention, la réduction et la suppression des pratiques coercitives, qu’il s’agisse d’un service ou d’une initiative en particulier ou bien de l’ensemble du système.
- Usager, survivant, leadership et participation des pairs
Le leadership devrait comprendre la participation des pairs, tant au niveau supérieur que local, en tant qu’impératif pour le respect des droits humains (voir l'article 4(3) de la CDPH), mais aussi parce qu'il existe des preuves irréfutables que la participation des usagers des services et des personnes ayant des handicaps psychosociaux améliore l'efficacité des stratégies de réduction et de prévention de la contrainte (Gooding et al., 2018). Dans cette optique, les autorités publiques pourraient promouvoir l'attribution de ressources aux personnes ayant une expérience vécue des crises et des interventions en santé mentale, notamment de crédits pour la formation de travailleurs pairs officiels et pour la promotion et le soutien du leadership par les pairs dans l’élaboration des politiques. En outre, l'existence d'organisations indépendantes dirigées par des pairs, qui fonctionnent parallèlement aux services publics de santé mentale et mènent des actions de sensibilisation générales, semble également jouer un rôle positif dans bon nombre des initiatives de ce recueil destinées à prévenir et réduire la coercition.
Politique et pratiques
Du point de vue de l’action publique, les bonnes pratiques rassemblées dans ce Recueil montrent que les services qui n’ont pas recours à des mesures coercitives ou les limitent fortement peuvent progresser à trois niveaux interdépendants.
- Le contrôle national pourrait inclure des politiques nationales visant à réduire, prévenir et éliminer l'isolement et la contention, des restrictions législatives, l’obligation pour les autorités publiques de collecter des données et notamment de rendre compte des « progrès enregistrés dans les autres traitements possibles ».
- Le changement de la culture organisationnelle viserait à faire évoluer les services vers des soins fondés sur les droits, le rétablissement et tenant compte des traumatismes, ainsi que vers des soutiens individuels et familiaux ; et
- Une action de plaidoyer générale indépendante serait orientée vers l’opinion publique, les milieux politiques, les décideurs et prestataires de service afin qu’ils fassent valoir l’importance d’une prise en charge volontaire et sans coercition (Gooding et al, 2018, p.117).
Certains dispositifs de réforme parmi les plus complets, comme ceux de Lille-Est et de Trieste, ont été déployés au niveau municipal ou local. Il conviendrait de veiller à tirer les enseignements de ces initiatives pour les transposer aux niveaux national et régional.
Le Guide de l'OMS sur les services communautaires de santé mentale : promouvoir des approches centrées sur droits humains et le rétablissement (2021, p.8) contient des éléments utiles à cette démarche. Il rend compte des propositions politiques générales décrites plus haut et souligne que « la mise en place de services exempts de coercition nécessite des actions sur plusieurs fronts, notamment les suivantes » :
- Former le personnel des services aux différences de pouvoir, à la hiérarchie et à la manière dont elles peuvent induire l’intimidation, la peur et la perte de confiance ;
- Aider le personnel à comprendre ce qu’est une pratique coercitive ainsi que les conséquences préjudiciables de son usage ;
- Former systématiquement l’ensemble du personnel aux réponses non coercitives à des situations de crise, notamment aux stratégies de désescalade et aux bonnes pratiques en matière de communication ;
- Établir un plan individuelavec les usagers des services, notamment des plans de gestion des crises et des directives anticipées ;
- Changer l’environnement physique et social pour créer une atmosphère chaleureuse avec l’accès à des « chambres de catégorie Confort » et des « équipes d’intervention » pour éviter les situations conflictuelles ou par ailleurs difficiles ou bien y faire face et les résoudre ;
- Mobiliser des moyens efficaces pour entendre les plaintes, y répondre et en tirer des enseignements :
- Effectuer un débriefing systématiqueaprès chaque recours à une mesure coercitive afin d’éviter de tels incidents à l’avenir ; et
- Amorcer une réflexion et un changement concernant le rôle de l’ensemble des parties prenantes y compris l’appareil judiciaire, la police, les agents de soins de santé générale (voir également World Health Organization, 2019).
Réussite hospitalière
De la même manière, la réussite des initiatives hospitalières citées dans ce recueil était généralement fondée sur les éléments suivants :
- Engagement et détermination des chefs de service ;
- Participation active du personnel de base de première ligne, afin qu'il se sente impliqué dans la pratique ;
- Engagement et exigences des autorités sanitaires ;
- Suivi des autorités sanitaires et révision de la pratique visée ;
- Structure de direction claire du service ;
- Disponibilité des données (statistiques) sur la pratique visée et nombre d'admissions/admissions involontaires pour un retour d’informations personnelles ;
- Culture ouverte à l'apprentissage et à l'essai de nouvelles approches ; et
- Stabilité de l’équipe.
Enfin, les pouvoirs publics, les groupes professionnels et les défenseurs des usagers pourraient être tentés de concentrer toute l’attention sur les initiatives en milieu hospitalier, car c’est dans ce contexte que sont prises la plupart des mesures coercitives formelles. Cependant, les bonnes pratiques présentées dans les parties « Initiatives communautaires », « Initiatives hybrides » et « Autres initiatives » mettent en évidence les nombreuses initiatives en dehors du contexte hospitalier qui sont nécessaires et peuvent tendre vers l'objectif général d’une prise en charge non coercitive.
En effet, la dichotomie traditionnelle entre les soins hospitaliers d'une part, et les soins « communautaires » d'autre part est parfois moins utile qu'une distinction entre le « soutien de crise » (qui peut être apporté ou non à l’hôpital) et le « soutien général » (Gooding et al, 2018, p.116). Élargir la perception que les autorités et le public ont du « soutien de crise » au-delà du simple contexte hospitalier pour y inclure des solutions offertes dans divers contextes, notamment à domicile, dans les centres de répit, les centres d’accueil administrés par les pairs, les unités de soutien mobiles, les dispositifs de conférences familiales, la défense des droits personnels, permettrait de sortir du cadre des environnements institutionnels où sont habituellement appliquées les pratiques coercitives.