I. Introduction
Les solutions technologiques telles que l’intelligence artificielle (IA) sont de plus en plus souvent considérées comme susceptibles d’apporter une réponse aux pressions croissantes qui pèsent sur les ressources dans les domaines de la médecine, des soins de santé et de la recherche biomédicale. Les systèmes d’IA promettent d’apporter des moyens innovants en matière d’évaluation et d’amélioration de la qualité des soins cliniques, de mise en œuvre de la recherche biomédicale et d’étude de thérapies et produits pharmaceutiques inédits, et d’extension de l’offre de soins à des populations auparavant mal desservies. La conviction que l’IA pourrait soulager les professionnels de santé « de certaines tâches administratives fastidieuses et libérer du temps pour les soins de santé » constitue l’un des principaux moteurs de l’innovation et de son adoption. Des systèmes experts et robotiques viennent à l’appui de la prise de décision et des soins médicaux, leur apportant une aide pour la gestion des dossiers et le catalogage des documents, le diagnostic, la planification des traitements et la réalisation des interventions. Des transformations similaires touchent les soins à domicile et les services de la protection sociale, avec la mise en place de systèmes de suivi et de gestion à distance. Complétant ou remplaçant de plus en plus souvent les comptes rendus verbaux et les soins physiques en face à face, des représentations des patients reposant sur des données numériques permettent le suivi, la modélisation et la gestion de la santé.
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La portée très spécifique de l’IA et d’autres technologies émergentes, algorithmiques et à grand volume de données, consiste en leur capacité à compléter, améliorer et faciliter la prise de décision par un être humain, en recommandant la meilleure mesure à prendre dans une situation donnée, la meilleure interprétation des données, etc. Mais ces systèmes peuvent aussi être utilisés pour remplacer purement et simplement la prise de décision humaine, l’expertise et les soins cliniques en face à face. Les applications de traitement du langage naturel telles que GPT-3 d’OpenAI, par exemple, laissent entrevoir un avenir dans lequel le contact initial avec le patient et même le triage pourront être partiellement ou entièrement traités par des agents conversationnels artificiels. Des systèmes d’IA sont déjà utilisés par des cliniciens et des hôpitaux dans la prise de décisions cliniques et opérationnelles, par exemple dans la prédiction des risques, la planification des sorties, les diagnostics et les systèmes d’aide à la décision. De même, les progrès de l’apprentissage profond laissent envisager un avenir dans lequel des systèmes informatiques capables d’adopter un comportement intelligent piloteront la mise au point de nouveaux médicaments et la recherche biomédicale. Les récentes avancées réalisées dans le traitement pharmaceutique d’une forme rare de cancer du cerveau ou le progrès décisif enregistré par Deepmind dans le domaine du repliement des protéines avec son programme AlphaFold illustrent déjà le potentiel des techniques les plus récentes en matière d’IA médicale.
Si les promesses de l’IA sont évidentes, une importante zone d’incertitude n’en subsiste pas moins concernant ses répercussions sur la pratique des soins de santé, et en particulier sur la relation médecin-patient. L’expertise médicale n’est plus le domaine réservé de professionnels de santé diplômés et de chercheurs qualifiés ; au contraire, les technologies de l’IA offrent à tout un ensemble de parties prenantes ‒ publiques et privées, professionnelles et non professionnelles, humaines et technologiques ‒, la possibilité de fournir des soins de santé.
Pour répondre, d’une part, à la prise de conscience croissante par le Conseil de l’Europe des perspectives offertes par l’IA sur la pratique de la médecine et des soins cliniques, mais aussi des risques qu’elle fait peser sur eux, et, d’autre part, à l’appel du Comité de bioéthique (DH-BIO) de travailler sur les questions de confiance, de sécurité et de transparence dans ce contexte, le présent rapport étudie les répercussions connues et potentielles des systèmes d’IA sur la relation médecin-patient. Ces répercussions sont encadrées par les principes des droits de l’homme mentionnés par la Convention européenne sur les droits de l’homme et la biomédecine (1997), également connu sous le nom de « Convention d’Oviedo », et ses amendements ultérieurs. Les principes des droits de l’homme relatifs à la santé peuvent exiger le respect de certaines normes dans les relations médecin-patient, qui peuvent être déstabilisées, supplantées ou du moins améliorées par le recours à l’IA en matière de prise en charge clinique.