La Convention d’Oviedo et les principes des droits de l’homme en matière de santé
La Convention européenne pour la protection des Droits de l'Homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine (1997) ou « Convention d’Oviedo » assure la protection des droits de l’homme en matière de biomédecine au niveau transnational. La Convention d’Oviedo est un instrument-cadre, c’est-à-dire qu’elle contient des principes généraux destinés à être appliqués en droit interne par ses signataires. Elle comporte de nombreux principes et exigences novateurs, fondés sur les principes et les droits contenus dans « les précédents traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) de 1950 (par exemple, les droits à la vie, à l’intégrité physique et au respect de la vie privée, l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants et de toute forme de discrimination) ». La Convention d‘Oviedo s’inspire des droits à la vie, à l’intégrité physique et au respect de la vie privée, et de l’interdiction de la discrimination édictés par la CEDH, et se fonde sur ces droits. La Cour européenne des droits de l’homme a eu recours à la Convention d’Oviedo en tant que cadre interprétatif pour élucider et mieux comprendre la portée et l’importance de ces droits dans le contexte de la biomédecine.
On ne saurait surestimer l’importance de ces droits de l’homme constitutifs de la Convention d’Oviedo. Dans son ensemble, la Convention a pour finalité de « protéger l’être humain dans sa dignité et son identité et de garantir à toute personne, sans discrimination, le respect de son intégrité et de ses autres droits et libertés fondamentales à l’égard des applications de la biologie et de la médecine » (article 1). Certaines valeurs et finalités sont explicitement défendues et protégées par la Convention, tandis que d’autres peuvent être déduites d’exigences particulières. Avant tout, la dignité humaine et la primauté du patient sont des éléments centraux de la Convention :
« À l’évidence, la notion de dignité de l’être humain est le fondement de la Convention d’Oviedo. Selon le rapport explicatif, “la notion de dignité de l’être humain […] désigne la valeur essentielle à maintenir. Elle constitue le fondement de la plupart des valeurs défendues par cette Convention”. Rappelant l’historique de l’instrument, l’un des membres du groupe de rédaction reconnaît qu’“il a été rapidement décidé que les notions de dignité, d’identité et d’intégrité de l’être humain/individu devaient être à la fois la base et le cadre de l’ensemble des autres principes et notions à inclure dans la convention” ».
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Dans toute la Convention d’Oviedo, il est fait référence à d’autres valeurs et droits, tels que les droits à la vie, à l’intégrité physique et au respect de la vie privée, et l’interdiction de la discrimination. Par exemple, l’article 10 réaffirme le droit au respect de la vie privée énoncé par l’article 8 de la CEDH et repris dans la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel :
- « Toute personne a droit au respect de sa vie privée s’agissant des informations relatives à sa santé.
- Toute personne a le droit de connaître toute information recueillie sur sa santé. Cependant, la volonté d’une personne de ne pas être informée doit être respectée. »
Faisant suite aux exigences de transparence qu’implique le droit au respect de la vie privée prévu à l’article 10, l’article 5 de la Convention d’Oviedo affirme l’impératif bien établi du consentement éclairé en médecine :
« Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé.
Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l’intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques.
La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. »
Selon le Rapport explicatif, l’exigence du consentement « fait apparaître l’autonomie du patient dans sa relation avec les professionnels de santé et conduit à restreindre les approches paternalistes qui ignoreraient la volonté du patient. » Les paragraphes 35 et 36 du rapport apportent des détails supplémentaires sur les exigences particulières nécessaires afin que le consentement soit considéré comme libre et éclairé, y compris les contraintes pesant sur l’influence du médecin sur la décision du patient et les obligations concernant la qualité, l’étendue et la clarté des informations fournies :
« 35. Le consentement du patient ne peut être libre et éclairé que s’il est donné à la suite d’une information objective du professionnel de la santé responsable, quant à la nature et aux conséquences possibles de l’intervention envisagée ou de ses alternatives et en l’absence de toute pression de la part d’autrui. L’article 5, alinéa 2, mentionne ainsi les éléments les plus importants relatifs à l’information qui doit précéder l’intervention, mais il ne s’agit pas d’une énumération exhaustive : le consentement éclairé peut impliquer, selon les circonstances, des éléments supplémentaires. Pour que son consentement soit valide, la personne doit avoir reçu des informations sur les faits pertinents concernant l’intervention envisagée. Elle doit être renseignée sur l’objectif, la nature et les conséquences de l’intervention et sur les risques qu’elle peut comporter. S’agissant des risques de l’intervention ou de ses alternatives, l’information devrait porter non seulement sur les risques inhérents au type d’intervention envisagé, mais également sur les risques qui sont propres aux caractéristiques individuelles de chaque personne, telles que l’âge ou l’existence d’autres pathologies. Il doit être répondu de manière adéquate aux demandes d’information complémentaire formulées par les patients.
36. En outre, cette information doit être formulée dans un langage compréhensible par la personne qui va subir l’intervention. Le patient doit être mis à même de mesurer, par un langage qui soit à sa portée, l’objectif et les modalités de l’intervention au regard de sa nécessité ou de sa simple utilité mises en parallèle avec les risques encourus et les incommodités ou souffrances provoquées. »
L’article 10 prévoit pour toute personne un « droit de connaître » son état de santé et toute information recueillie sur sa santé, mais aussi un « droit de ne pas en être informé ». Ces droits constituent des éléments essentiels des relations médecin-patient envisagée par la Convention d’Oviedo. Si les patients sont en droit de prendre une décision éclairée concernant leurs soins de santé, il s’ensuit qu’ils ont qualité à recevoir toute information adéquate pour être en mesure de prendre cette décision en toute connaissance de cause[1].
En ce qui concerne la discrimination, l’article 11 interdit explicitement toute forme de discrimination à l’encontre d’une personne en raison de son patrimoine génétique. De même, l’article 3 prévoit un accès équitable à des soins de santé de qualité appropriée :
« Les Parties prennent, compte tenu des besoins de santé et des ressources disponibles, les mesures appropriées en vue d’assurer, dans leur sphère de juridiction, un accès équitable à des soins de santé de qualité appropriée. »
L’inégalité de l’accès aux soins ou de la qualité des soins pourrait être considérée comme une violation de l’interdiction de la discrimination énoncée par l’article 14 de la CEDH, notamment en ce qui concerne la discrimination dans « l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation » (voir chapitre intitulé « Inégalité dans l’accès à des soins de santé de qualité). De même, l’article 4 traite de la qualité des soins et des normes professionnelles dans le domaine de la santé et de la recherche :
« Toute intervention dans le domaine de la santé, y compris la recherche, doit être effectuée dans le respect des normes et obligations professionnelles, ainsi que des règles de conduite applicables en l’espèce. »
À juste titre, la Convention d’Oviedo ne précise pas les normes de qualité à respecter en matière de soins de santé et de recherche, mais confie aux organismes professionnels et au droit interne de ses signataires la détermination des normes en fonction des besoins locaux en matière de santé et des ressources disponibles. Cela dit, comme la Convention d’Oviedo prescrit des normes minimales en matière de protection des droits de l’homme, les états membres conservent, en incorporant la Convention dans leur droit interne, la possibilité d’adopter des normes plus élevées. En ce qui concerne les normes applicables à la qualité des soins, cette possibilité peut être réalisée dans le contexte des articles 3 et 4. Le paragraphe 30 du Rapport explicatif fournit des précisions sur les parties envisagées pour fixer ces obligations et normes professionnelles :
« 30. Les interventions doivent être effectuées dans le respect tout d’abord de l’ordre juridique général, complété et développé par les règles professionnelles. Ces règles prennent, selon les pays, tantôt la forme de codes professionnels d’éthique, tantôt celle de la déontologie médicale (code de déontologie de source étatique ou professionnelle), du droit de la santé, de l’éthique médicale ou de tout autre moyen garantissant les droits et les intérêts des patients et pouvant prendre en compte tout droit à l’objection de conscience des professionnels de la santé. »
Les paragraphes 31 et 32 développent la nature de la médecine en tant que profession, les variations de normes d’un pays à l’autre, l’engagement des médecins à respecter les normes éthiques et juridiques, ainsi que le contenu et l’évolution des normes au fil du temps :
« 31. Le contenu des normes, des obligations professionnelles et des règles de conduite n’est pas uniforme dans tous les pays. Les mêmes devoirs médicaux peuvent comporter des nuances selon la société concernée. En revanche, les principes fondamentaux de l’activité médicale s’appliquent dans tous les pays. Le médecin, et d’une manière générale tout professionnel qui concourt à la réalisation d’un acte de santé, est soumis à des impératifs juridiques et éthiques. Il doit agir avec soin et compétence et tenir compte attentivement des besoins de chacun des patients.
32. Le médecin a pour tâche essentielle non seulement de guérir les malades, mais aussi de prendre des mesures propres à maintenir et promouvoir la santé et de soulager les douleurs, en tenant compte du bien-être psychique du patient. La compétence du médecin doit d’abord être reliée aux connaissances scientifiques et à l’expérience clinique propres à la profession ou à la spécialité à un moment donné. L’état actuel de la science détermine le niveau professionnel et le perfectionnement que l’on peut attendre des professionnels de la santé dans l’exercice de leur activité. En suivant les progrès de la médecine, il évolue au gré des nouveaux développements et élimine les méthodes qui ne reflètent pas l’état actuel de la science. Il est cependant admis que les normes professionnelles n’imposent pas nécessairement une conduite comme étant la seule possible : les “règles de l’art” peuvent offrir plusieurs voies d’intervention possibles, ménageant ainsi une certaine liberté de méthode ou de technique. »
Le paragraphe 33 du rapport explicatif fournit ensuite une brève indication du modèle idéal de relation médecin-patient en ce qui concerne le choix des interventions :
« 33. Une intervention doit ensuite être jugée au regard du problème de santé spécifique posé par un patient déterminé. En particulier, l’intervention doit répondre aux critères de pertinence et de proportionnalité entre le but poursuivi et les moyens mis en œuvre. En plus, un facteur important de la réussite d’un traitement médical est la confiance du patient en son médecin. Cette confiance détermine également les devoirs du médecin par rapport à son patient. Un élément important de ces devoirs est le respect des droits du patient, qui crée et accroît la confiance mutuelle. L’alliance thérapeutique sera renforcée si les droits des patients sont pleinement respectés. »
La Convention d’Oviedo précise par conséquent un certain nombre de droits et d’exigences relatifs aux droits de l’homme protégés dans d’autres contextes ou dérivés de ceux-ci. Des valeurs et intérêts clés peuvent avoir pour origine les sujets abordés dans la convention. Ces valeurs ancrées dans les principes des droits de l’homme en matière de santé sont susceptibles de guider l’élaboration d’un cadre théorique pour les relations médecin-patient. Plus particulièrement, la Convention d’Oviedo prévoit et fait valoir les valeurs suivantes :
- La dignité humaine
- La primauté des intérêts du patient sur les intérêts sociétaux et scientifiques
- Le droit à la vie
- L’intégrité physique
- La protection de la vie privée et de l’identité
- Le consentement éclairé
- Le droit de connaître et le droit de ne pas être informé
- L’interdiction de la discrimination et de l’inégalité dans l’accès aux soins de santé
- Les normes de qualité des soins
Ces valeurs seront examinées au chapitre intitulé « Cadre théorique de la relation médecin-patient », dans le contexte des objectifs de la médecine en tant que profession et bien sociétal, et utilisées comme base d’élaboration d’un cadre théorique pour la relation médecin-patient. Ce cadre, de même que les valeurs qui ont pour origine la Convention d’Oviedo et sur lesquelles il repose, suggère que certains biens doivent exister dans la relation médecin-patient. De même, différents modèles de rencontres cliniques et de relation médecin-patient seront plus ou moins mis en conformité avec ces valeurs. Toutes ces questions seront abordées dans le chapitre susmentionné, après un bref aperçu des systèmes d’IA dans le domaine médical.
Pour situer le présent rapport dans le cadre des travaux politiques en cours du Conseil de l’Europe, il convient de mentionner brièvement les rapports ayant récemment traité d’autres domaines de travail pertinents en matière d’impact de l’IA sur les soins de santé. Le « Protocole d’amendement à la Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (STCE no 223) » a été ouvert en octobre 2018 et devrait être ratifié en octobre 2023. Le Protocole porte modification de la Convention STE no 108. L’article 8 révisé de la convention (désormais article 9) est d’un intérêt tout particulier pour l’IA dans le domaine médical, car il accorde aux personnes un certain nombre de droits à la protection des données :
« Toute personne a le droit :
- de ne pas être soumise à une décision l’affectant de manière significative, qui serait prise uniquement sur le fondement d’un traitement automatisé de données, sans que son point de vue soit pris en compte ;
- d’obtenir, à sa demande, à intervalle raisonnable et sans délai ou frais excessifs, la confirmation d’un traitement de données la concernant, la communication sous une forme intelligible des données traitées, et toute information disponible sur leur origine, sur la durée de leur conservation ainsi que toute autre information que le responsable du traitement est tenu de fournir au titre de la transparence des traitements, conformément à l’article 8, paragraphe 1 ;
- d’obtenir, à sa demande, connaissance du raisonnement qui sous-tend le traitement de données, lorsque les résultats de ce traitement lui sont appliqués ;
- de s’opposer à tout moment, pour des raisons tenant à sa situation, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement, à moins que le responsable du traitement ne démontre des motifs légitimes justifiant le traitement, qui prévalent sur les intérêts ou les droits et libertés fondamentales de la personne concernée ;
- d’obtenir, à sa demande, sans frais et sans délai excessif, la rectification de ces données ou, le cas échéant, leur effacement lorsqu’elles sont ou ont été traitées en violation des dispositions de la présente Convention ;
- de disposer d’un recours, conformément à l’article 12, lorsque ses droits prévus par la présente Convention ont été violés ;
- de bénéficier, quelle que soit sa nationalité ou sa résidence, de l’assistance d’une autorité de contrôle au sens de l’article 15 pour l’exercice de ses droits prévus par la présente Convention. »
Un grand nombre de ces droits fait écho aux protections énoncées par le règlement général sur la protection des données (RGPD), un cadre normatif de protection des données à caractère personnel mis en œuvre par la Commission européenne en 2018, notamment un droit assorti de limitations à ne pas faire l’objet d’une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé, un droit d’obtenir des informations sur le traitement des données, des droits d’obtenir la rectification et l’effacement des données à caractère personnel[1]. Ces droits sont susceptibles de fournir un soutien important à la défense de l’idéal du consentement éclairé dans les applications médicales de l’IA, en donnant accès à une information relative à la portée et la nature du traitement automatisé.
Le rapport de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, « Intelligence artificielle et santé : défis médicaux, juridiques et éthiques à venir » publié en octobre 2020 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe comporte un projet de recommandation visant à répondre à l’impact grandissant de l’IA sur les soins de santé[2]. L’exposé des motifs du rapport se livre à un examen détaillé des diverses répercussions de l’IA envisagées sur les plans médicaux, juridiques et éthiques, notamment :
- Nécessité d’un examen éthique de la recherche biomédicale et limitations des compétences et capacités des organes d’examen éthique en matière d’évaluation des risques et opportunités très spécifiques de l’IA
- Responsabilité des fournisseurs d’IA dans le domaine du médicament et des soins de santé
- Protection des données à caractère personnel dans le cadre de l’harmonisation des systèmes de collecte de données et du soutien à l’innovation et à la recherche en matière d’IA, plus particulièrement en Europe
- Garantir la légalité, l’équité, la spécification des finalités, la proportionnalité, la prise en compte du respect de la vie privée dès la conception et par défaut, la responsabilité, la conformité, la transparence, la sécurité des données et la gestion des risques
- Difficultés à résoudre de manière à garantir un contrôle véritable et le consentement éclairé des patients et des autres personnes concernées
- Obligations positives des États à protéger la vie et la santé par l’intermédiaire de mécanismes nationaux de signalement
- Résolution des conflits entre la « liberté d’innover » et une véritable protection des droits de l’homme
Ces questions et d’autres soulevées par des rapports antérieurs du Conseil de l’Europe ne seront pas examinées ici en détail, mais évoquées dans le chapitre intitule « Les conséquences potentielles de l’IA sur la relation médecin-patient » consacré à l’examen de l’impact potentiel de l’IA sur la relation médecin-patient.