Telle était la principale conclusion d’une étude mondiale sur la violence à l’encontre des enfants réalisée par l’ONU en 2006. En 2015, la Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU chargée de la question de la violence à l’encontre des enfants a publié les résultats d’une vaste consultation, à laquelle ont participé des enfants du monde entier ; il en ressort que la protection contre la violence est leur deuxième priorité, immédiatement après l’éducation.
Les enfants ont le droit de vivre à l’abri de la violence
Le droit international impose aux Etats l’obligation de protéger les enfants contre la violence. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant garantit le droit, pour les enfants, d’être protégés contre « toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle ». La Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), qui interdit la torture et les traitements inhumains ou dégradants sous toutes leurs formes (article 3), s’applique aux enfants comme aux adultes. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme concernant la violence à l’encontre des enfants établit clairement que les Etats ont l’obligation positive de prendre des mesures effectives pour protéger les enfants contre les abus.
Le Conseil de l'Europe a aussi adopté la Convention d'Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, et la Convention de Lanzarote sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels.
La violence à l’encontre des enfants reste un phénomène répandu
Trop souvent, la violence à l’encontre des enfants continue à être considérée comme socialement acceptable et à être tolérée en Europe aujourd'hui.
En 2016, des enfants réfugiés qui ont fui la violence dans leurs pays d’origine sont victimes de violences physiques et psychologiques en Europe, dans des camps de réfugiés ou des lieux de détention, ou à proximité de frontières fermées. Les enfants migrants, notamment ceux qui voyagent seuls, sont aussi particulièrement vulnérables aux abus sexuels, à la traite et à l’exploitation. Pourtant, il arrive souvent qu’ils ne reçoivent pas la protection dont ils ont besoin de la part des services d’aide à l’enfance et des autres services publics dans les pays de transit ou d’accueil.
Les conséquences pour les enfants du conflit dans l’est de l’Ukraine sont peut-être moins connues, mais elles sont bien réelles. Lors de la visite que j’ai effectuée dans ce pays en mars 2016, j’ai appris que, en 2015, plus de 20 enfants avaient été tués et 40 avaient été blessés à cause du conflit. Environ 200 000 des 580 000 enfants qui vivent dans les zones non contrôlées par le gouvernement, près de la ligne de front, ont besoin d’un accompagnement psychosocial permettant d’atténuer leurs troubles post-traumatiques. Les mines et les munitions non explosées représentent une menace majeure pour la sécurité de ces enfants. En outre, plus de 215 000 enfants ont été déplacés dans d’autres parties du pays et beaucoup vivent dans la précarité.
Au cours des activités que j’ai menées ces quatre dernières années, j’ai aussi constaté que les enfants pris en charge par l’Etat, notamment ceux qui sont placés en institution, peuvent être exposés à des niveaux de violence élevés. Dans un rapport publié en 2014, à la suite d’une visite en Roumanie, j’ai fait état d’abus qu’auraient subis des enfants handicapés vivant en institution : gifles, strangulation, coups de poing, de genou et de bâton, écrasement des doigts à l’aide d’une porte, abus sexuels, ou encore impossibilité d’utiliser les toilettes la nuit.
Les enfants handicapés, notamment ceux qui présentent des déficiences intellectuelles ou psychosociales, qu’ils soient placés en institution ou non, sont trois à quatre fois plus exposés au risque de violences physiques ou sexuelles ou de négligence, selon une étude de l’UNICEF de 2014. A l’évidence, ces cas ne sont pas tous signalés et les enfants qui se plaignent risquent de ne pas être pris au sérieux parce qu’ils sont handicapés, comme l’a montré l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne dans un rapport de 2015.
Par ailleurs, le racisme et l’exclusion sociale alimentent la violence à l’encontre des enfants appartenant à des groupes minoritaires, tels que les enfants roms. En témoigne le cas tragique de ce jeune Bulgare d’origine rom qui, en avril 2016, a été frappé et humilié pour avoir osé dire à son interlocuteur qu’ils étaient tous deux égaux malgré leurs origines différentes. De plus, dans certains pays, les autorités ont souvent recours à la violence lors des évacuations forcées de Roms, à la suite desquelles des enfants se retrouvent à la rue, ce qui les rend vulnérables aux abus, ainsi que je l’ai rappelé dans des lettres adressées à sept Etats membres en 2016. Ce phénomène de rejet touche aussi les enfants LGBTI, qui sont victimes de harcèlement et de violence à la maison, en milieu scolaire et dans d’autres contextes.
Les mesures d’austérité ont encore aggravé la situation. Lors de mes visites au Portugal (2012), en Estonie (2012) et aux Pays-Bas (2014), j’ai constaté que les difficultés socio-économiques et la réduction massive des budgets consacrés à l’aide aux enfants et à leurs familles avaient fait augmenter les risques de violence domestique à l’égard des enfants. Les mesures d’austérité ont aussi réduit la capacité des services de protection de l’enfance à détecter et à prévenir la violence. A cela s’ajoute que, dans plusieurs pays, des enfants voient leurs parents partir à l’étranger pour travailler. Ces enfants courent un grand risque de négligence et d’abus.
Il s’est avéré que les abus commis sur des enfants, notamment en milieu scolaire, était un phénomène répandu dans plusieurs pays. Pourtant, il arrive encore trop souvent que les victimes n’obtiennent pas réparation et que le préjudice qu’elles ont subi ne soit pas reconnu. Par exemple, en 2014, la Cour européenne des droits de l'homme a conclu à la violation de la CEDH par l’Irlande, en raison du manquement de l’Etat irlandais à son obligation de protéger la requérante contre les abus sexuels dont elle avait été victime à l’école et en raison de l’impossibilité pour la requérante de faire reconnaître ce manquement par les juridictions nationales.
La violence dans le cercle de confiance
Les conflits armés, les déplacements et la pauvreté sont loin d’être les seules circonstances à favoriser la violence. En effet, la plupart des cas de violence se produisent dans la vie quotidienne, y compris dans la famille ou l’entourage de l’enfant. C’est pourquoi le Comité de Lanzarote, qui est chargé de veiller à la mise en œuvre de la Convention de Lanzarote, déjà mentionnée, a décidé de consacrer son premier cycle de suivi aux abus sexuels dans le cercle de confiance. Dans 70 à 85 % des cas, l’enfant victime de violences sexuelles connaît l’auteur des violences.
De plus, la violence continue à être considérée comme nécessaire à l’éducation d’un enfant dans certaines parties de l’Europe. En 2016, 18 Etats membres du Conseil de l'Europe n’ont pas encore interdit complètement les châtiments corporels dans tous les contextes, y compris à la maison. En 2015, le Comité européen des Droits sociaux a conclu que, faute d’une telle interdiction, la situation dans cinq Etats membres n’était pas en conformité avec la Charte sociale européenne.
La violence dans l’environnement numérique
Les enfants sont de plus en plus exposés à la violence sur internet. Ils risquent de tomber sur des contenus illégaux ou préjudiciables, y compris des documents à caractère pornographique ou faisant l’apologie de la toxicomanie, du suicide ou d’autres comportements autodestructeurs. En outre, internet est utilisé par des prédateurs pour prendre contact avec des enfants sous une fausse identité en vue d’abuser d’eux. Par ailleurs, des enfants peuvent eux-mêmes causer des préjudices, notamment en harcelant d’autres enfants sur les réseaux sociaux.
La violence à l’encontre des enfants a un coût élevé pour la société
Elle a de multiples conséquences sur la vie des enfants, y compris sur leur intégration sociale, leur état de santé – actuel et futur – et leur scolarité. De plus, un enfant exposé à la violence risque davantage d’adopter à son tour un comportement violent ; la violence tend ainsi à se transmettre d’une génération à l’autre.
Il est donc important que l’élimination de la violence à l’encontre des enfants figure parmi les objectifs de développement durable des Nations Unies pour 2030. C’est une manière de reconnaître que ce phénomène entrave considérablement le développement et d’encourager les Etats à mener des actions résolues pour combattre la violence à l’encontre des enfants. En 2016, l’ONU a d’ailleurs lancé un partenariat mondial contre la violence. La lutte contre la violence à l’égard des enfants est aussi l’une des priorités de la Stratégie du Conseil de l'Europe pour les droits de l’enfant (2016-2021).
Il est certes nécessaire de reconnaître l’existence du problème, mais ce n’est qu’une première étape. Les Etats membres doivent renforcer leur engagement politique pour protéger les enfants contre la violence dans tous les contextes.
Que devraient faire les Etats pour protéger les enfants contre la violence ?
- Ratifier les conventions de Lanzarote et d’Istanbul.
- Améliorer la collecte de données sur la violence à l’encontre des enfants, y compris au moyen d’études qualitatives et quantitatives régulières.
- Promouvoir une culture du respect des droits de l’enfant.
- Apporter une aide adéquate aux familles pour prévenir la violence domestique, l’éclatement des familles et le placement des enfants.
- Adopter une réponse à la violence qui reflète sa nature multidimensionnelle. Le Conseil de l'Europe a élaboré des lignes directrices qui donnent des orientations précises concernant les politiques et les mécanismes qu’il faudrait mettre en place pour protéger efficacement les enfants contre la violence. En voici quelques exemples :
- adopter des stratégies nationales assorties de mécanismes de suivi et d’évaluation efficaces ;
- adopter et faire appliquer des dispositions législatives interdisant toutes les formes de violence à l’encontre des enfants dans tous les contextes ;
- établir des mécanismes adaptés aux enfants qui leur permettent de signaler les violences en toute sécurité et en toute confiance ;
- veiller à ce que les enfants victimes de violence aient accès à des recours effectifs et adaptés aux enfants, notamment à une justice adaptée aux enfants et à des institutions comme un commissaire aux droits de l’enfant ;
- développer la capacité des services de protection de l’enfance à détecter et à traiter les cas de violence ; imposer aux professionnels qui sont en contact avec des enfants l’obligation de signaler les soupçons d’abus.
Les Etats membres devraient aussi :
- prendre des mesures effectives pour faire cesser l’usage de la violence à l’encontre des enfants migrants ou refugiés et de leurs familles, notamment aux frontières ; protéger les enfants exposés au risque de traite, conformément à la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains ; prévoir des régimes de tutelle pour les enfants migrants non accompagnés ; mettre fin à la détention des enfants migrants ;
- prévoir des mécanismes de plainte effectifs et des recours accessibles pour les enfants placés ; veiller à ce que toutes les institutions fassent régulièrement l’objet de contrôles indépendants ; mettre en œuvre des stratégies de désinstitutionalisation ;
- prendre des dispositions pour améliorer la protection des enfants sur internet, en les sensibilisant aux risques pour leur sécurité sur la Toile et en développant l’éducation aux droits de l'homme ;
- veiller à ce que les victimes d’abus commis sur des enfants à grande échelle obtiennent réparation et à ce que justice leur soit rendue ;
- mettre en place des moyens de favoriser la réadaptation des victimes de violence ; parmi les exemples de bonnes pratiques figure le modèle de la maison des enfants, où les enfants victimes de violences sexuelles peuvent bénéficier d’une prise en charge multidisciplinaire répondant à leurs besoins.
Si nous voulons que les enfants deviennent des citoyens pacifiques qui respectent les droits de l'homme et les valeurs démocratiques, nous devons cesser de tolérer des violations de leurs droits et nous devons créer les conditions leur permettant de grandir à l’abri de la violence.
Nils Muižnieks
Liste de documents utiles :
Conseil de l'Europe
- Lignes directrices sur les stratégies nationales intégrées de protection des enfants contre la violence, 2009
- Guide pour l’élimination de la violence à l’encontre des enfants : vision stratégique et action
- Stratégie du Conseil de l'Europe pour les droits de l’enfant, 2016-2021
Nations Unies
Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU chargée de la question de la violence à l’encontre des enfants
- Why children’s protection from violence should be at the heart of the post-2015 development agenda, a review of consultations with children on the post-2015 agenda, 2014
- “High time to stop violence against children” campaign
- Rapport annuel de la Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la question de la violence à l'encontre des enfants, 2016
UNICEF
- Hidden in plain sight, a statistical analysis of violence against children, 2014
- Child Alert June 2016, Danger every step of the way, A harrowing journey to Europe for refugee and migrant children
- Uprooted: the growing crisis for refugee and migrant children, 2016
Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne