Des millions de personnes voient déjà leur vie quotidienne bouleversée par les effets du réchauffement climatique : désertification, sécheresses, inondations, cyclones. Les droits de l’homme sont aussi menacés, comme les droits à la vie, à la santé, à l’alimentation, à l’eau, à l’hébergement ou à la propriété. Ceux qui vont le plus souffrir sont ceux qui sont déjà vulnérables, au premier chef les habitants des régions pauvres et, parmi eux, les personnes âgées, les femmes et les enfants. C’est pourquoi il est crucial, y compris pour la protection des droits de l’homme, de sceller un accord ambitieux à la Conférence des Nations Unies sur le climat qui se tiendra en décembre à Copenhague.
Aux termes de la Déclaration universelle des droits de l’homme, « toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que [ses] droits et [ses] libertés (…) puissent y trouver plein effet ». Cet ordre est aujourd’hui fragilisé par le défaut d’action effective contre le changement climatique.
Mary Robinson, ancienne Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, écrivait récemment que « nous avons collectivement sous-estimé l’ampleur et l’urgence du problème. Le changement climatique révèle d’innombrables failles dans notre architecture institutionnelle, y compris dans les mécanismes de protection des droits de l’homme. Pour y faire face efficacement, il faudra transformer l’ensemble de nos moyens d’action – depuis la collecte d’informations et la prise collective de décisions jusqu’aux mécanismes d’application et à la répartition des ressources. »
Le défi qui nous attend à Copenhague est de remédier à ces dysfonctionnements et commencer à mettre en place les moyens d’une action coordonnée contre le danger que représente la poursuite du réchauffement climatique, tout en prenant les mesures nécessaires pour compenser les dégradations qui se sont déjà produites ou ne peuvent déjà plus être évitées.
Cette démarche nécessitera un esprit de solidarité mondiale sans précédent. Nous devons prendre acte de notre interdépendance. Les pays riches sont ceux qui ont le plus contribué au réchauffement climatique alors que, jusqu’à présent, ce sont principalement les plus pauvres qui ont subi des conséquences.
Les réductions d’émissions de carbone auxquelles les Etats développés se sont engagés n’ont absolument pas répondu aux attentes du monde en développement, pas plus que les fonds d’adaptation qui devaient aider les nations pauvres à protéger leurs populations contre les effets du changement climatique. De ce fait, les pays en développement sont moins disposés à limiter l’augmentation de leurs propres émissions.
Jusqu’à présent, il y avait une autre lacune dans le débat sur le changement climatique : on ne mettait pas l’accent sur les droits de l’homme. Les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) décrivent, certes, les conséquences sociales du réchauffement, mais ils ne proposent pas d’analyse sous l’angle des droits de l’homme.
Toutefois, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a fort opportunément publié un rapport sur les liens entre les changements climatiques et les droits de l’homme. Ce document expose les effets du changement climatique sur les individus et les populations et rappelle que le droit international fait obligation aux Etats de protéger les personnes dont les droits sont lésés par les effets du réchauffement climatique ou par les politiques et les mesures prises pour y faire face1.
Un autre rapport récent, publié par le Conseil international pour l’étude des droits humains affirme qu’il est temps d’abolir la frontière entre droit de l’environnement et droit des droits de l’homme2 . Il montre que la politique de réduction des niveaux d’émission (atténuation) aussi bien que la stratégie de renforcement de la capacité des sociétés à faire face aux incidences du changement climatique (adaptation) peuvent être plus efficaces si elles sont liées aux droits de l’homme.
Une analyse sous l’angle des droits de l’homme apporterait sans aucun doute des éclairages essentiels dans les négociations sur l’action à mener contre le changement climatique. Surtout, elle permettrait de mieux comprendre quelles sont ses conséquences concrètes sur la vie quotidienne des gens et soulignerait ainsi que l’enjeu est ici celui de la souffrance humaine.
Il importe de comprendre quelles personnes sont en danger et comment elles peuvent être mieux protégées. La connaissance des incidences du changement climatique sur les droits fondamentaux des individus et des populations suscitera, espérons-le, une prise de conscience qui évitera les réactions en chaîne telles que les déplacements de masse et les conflits. Elle permettra en outre d’orienter les mesures d’assistance vers les groupes les plus vulnérables.
Les normes et les principes des droits de l’homme constitueraient aussi des garanties qui devraient être intégrées dans les programmes et les politiques de lutte contre le changement climatique. Les droits économiques et sociaux seront protégés par une utilisation optimale des ressources disponibles. En d’autres termes, ils devraient recevoir une attention prioritaire.
Cela suppose que les populations concernées aient le droit d’être convenablement informées et de participer aux décisions pertinentes dans le cadre de processus véritablement démocratiques. Ces intentions sont énoncées dans la Convention d’Aarhus de 1998, qui contient des dispositions relatives à la circulation proactive de l’information et à la participation des personnes concernées à l’élaboration des plans et programmes de lutte contre les risques environnementaux3 .
Par ailleurs, il est plus que temps de parler de la responsabilité. En appliquant les normes en matière de droits de l’homme, les Etats peuvent définir des critères minima pour les politiques d’atténuation et d’adaptation. Il convient de faire entendre clairement que les dommages environnementaux dont les effets préjudiciables sur les droits de l’homme dépassent un certain seuil sont inacceptables et illicites.
Mary Robinson a mentionné la nécessité d’affûter les mécanismes de protection des droits de l’homme face aux nouveaux défis du changement climatique. Il faut disposer de procédures effectives pour établir les responsabilités et offrir réparation aux victimes. Toutefois, il ne sera pas facile d’établir les responsabilités concrètes lorsqu’elles sont partagées entre de multiples acteurs ou que le responsable des dommages se trouve dans un autre pays que celui où ils surviennent.
La Cour européenne des droits de l’homme a, dans une certaine mesure, reconnu des droits environnementaux (principalement au titre de l’article 8 de la Convention européenne). Dans une affaire, la Cour a noté que « des atteintes graves à l’environnement peuvent toucher le bien-être des personnes et les priver de la jouissance de leur domicile de manière à nuire à leur vie privée et familiale »4 .
La Cour a également confirmé l’obligation qui incombe aux Etats de réaliser des études appropriées avant d’autoriser une activité susceptible de nuire à l’environnement et de porter ces études à la connaissance du public5.
Elle a par ailleurs conclu à une violation du droit à la vie dans une affaire où les autorités n’avaient pas pris de mesures préventives alors qu’elles étaient au courant de l’existence d’un risque accru de coulées de boue de grande ampleur, et n’avaient pas tenu la population informée de ce risque6 .
La Charte sociale européenne, dans son article garantissant le droit à la santé (article 11), demande aux Etats parties « d’éliminer, dans la mesure du possible, les causes d'une santé déficiente ». Sur cette base, le Comité européen des droits sociaux a estimé qu’il était de la responsabilité des Etats d’afficher des progrès mesurables en matière de réduction des niveaux de pollution7 . La même décision pourrait s’appliquer aux risques nucléaires, aux risques liés à l’amiante ou à la sécurité sanitaire des aliments.
Tout cela n’est qu’un début. La prise de conscience croissante des effets nocifs du changement climatique va imposer une clarification des obligations dont doit être assorti le droit à un environnement sain.
La première Conférence des Nations Unies sur l’environnement, tenue à Stockholm en 1972, déclarait déjà que l’homme a droit « à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être (…) ».
La Déclaration ne s’arrêtait pas là : elle affirmait expressément que nous avons tous « le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures ». On ne saurait mieux dire.
Thomas Hammarberg
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Notes:
1. Rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme sur les liens entre les changements climatiques et les droits de l'homme (A/HRC/10/61)
2. Climate Change and Human Rights. A Rough Guide (Changements climatiques et droits humains : Guide sommaire), publié par le Conseil international pour l’étude des droits humains, 2009. La citation de Mary Robinson est tirée de l’avant-propos de ce rapport.
3. Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès a la justice en matière d’environnement (1998).
4. Affaire LOPEZ OSTRA c. Espagne, requête n° 16798/90, arrêt du 9 décembre 1994, § 51.
5. Affaire TAŞKIN et autres c. Turquie, requête n° 46117/99, arrêt du 30 mars 2005.
6. Affaire BUDAYEVA et autres c. Russie, requête n° 15339/02, arrêt du 29 septembre 2008.
7. Décision du Comité européen des droits sociaux dans l’affaire Fondation Marangopoulos pour les Droits de l’Homme (FMDH) c. Grèce, réclamation n° 30/2005, décision sur le bien-fondé du 6 décembre 2006, §§ 203 et 205.