The Huffington Post - 02/02/2017
Lors du Conseil européen organisé vendredi à Malte pour discuter de la réponse de l’Union aux migrations, les dirigeants européens doivent garder à l’esprit que toute initiative en la matière doit tenir compte d’un facteur essentiel : l’obligation, pour les Etats, de respecter les droits de l'homme des migrants.
Il y a en effet urgence. Depuis 2014, plus de 17 000 migrants sont morts en Méditerranée, des centaines de milliers sont détenus, souvent dans de mauvaises conditions, en Europe et dans des pays tiers partenaires de l’UE, et des milliers de mineurs non accompagnés sont portés disparus.
Certes, les flux de réfugiés, de demandeurs d'asile et d’autres migrants exercent depuis quelques années une pression considérable sur les pays européens ; ils mettent leurs systèmes d’asile à rude épreuve et pèsent sur leurs budgets, déjà serrés. Il est toutefois inacceptable que ce défi migratoire serve de prétexte à nombre d’États pour négliger leur obligation de protéger ceux qui fuient la guerre et les persécutions. Des lois, des accords et des pratiques qui rendent plus difficile de traverser les frontières et de demander l’asile en Europe et d’en bénéficier ont trop souvent été mis en place.
Face à cette situation, il est indispensable que le Conseil européen élabore un programme ambitieux, qui permette de réduire la pression exercée sur les États membres tout en respectant les droits de l'homme des migrants, y compris des demandeurs d'asile.
Cela suppose de changer de paradigme en matière de politiques européennes d’immigration et d’asile. A plusieurs occasions, j’ai souligné une triple nécessité : établir un système fondé sur les principes de la solidarité entre les Etats et du partage équitable des responsabilités ; mettre davantage de ressources et d’outils à la disposition des États membres et de leurs collectivités locales pour renforcer la capacité à accueillir des réfugiés et des migrants et à les intégrer ; enfin, accélérer la relocalisation des demandeurs d'asile qui attendent en Grèce et Italie, et permettre aux centres d’enregistrement situés dans les principaux pays d’arrivée d’évaluer efficacement les demandes d'asile et de les répartir équitablement entre les pays européens.
Toutes ces mesures restent à prendre. Dans le même temps, il faut éviter de conclure des accords de coopération avec des pays tiers sans prévoir les garanties nécessaires en matière de droits de l'homme. Ainsi que l’a montré l’accord UE-Turquie, ce genre de pacte risque non seulement d’être illégal, mais aussi de causer de graves préjudices aux migrants, y compris aux demandeurs d'asile, sans arrêter pour autant les flux migratoires. Ces risques sont particulièrement importants lorsque des accords de coopération sont signés avec certains pays partenaires, comme la Libye, où la situation des droits de l'homme est préoccupante et l’instabilité politique est grande.
Si l’UE veut continuer à conclure de tels accords, elle doit prévoir un certain nombre de garanties, pour que ses décisions et ses crédits ne favorisent pas les violations des droits de l'homme des migrants par des pays tiers.
Avant de conclure un accord, la Commission européenne devrait évaluer soigneusement les risques courus par les migrants et rendre cette évaluation publique. En cas de menaces pour les droits de l'homme des migrants, en particulier pour leur droit à la vie, leur droit à ne pas être soumis à la torture et leur droit à avoir pleinement accès à des procédures d’asile effectives, il faudrait renoncer à l’accord tant que des améliorations tangibles ne sont pas observées dans le pays tiers concerné.
Une fois l’accord conclu, l’Union européenne et les États membres doivent suivre, de manière permanente et indépendante, l’évolution de la situation sur le terrain, en rendre compte et établir des mécanismes permettant de réagir rapidement en cas d’informations sur des menaces pour les droits de l'homme des migrants. L’ensemble du processus devrait être totalement transparent et faire l’objet d’un contrôle public et démocratique, notamment exercé par le Parlement européen. Il faudrait appliquer les recommandations formulées récemment par la Médiatrice de l’UE, qui a préconisé d’assurer dûment le suivi de la situation des droits de l'homme dans le cadre de l’accord UE-Turquie.
Ce qui importe aussi, c’est de veiller à ce que ces accords n’entraînent pas de refoulements, mesures contraires aux normes européennes en matière de droits de l'homme, que certains pays européens et partenaires n’hésitent pourtant pas à mettre en œuvre. Cette pratique rend impossible d’évaluer les besoins de protection des migrants, ce qui porte atteinte au droit, pour toute personne, de chercher asile et de bénéficier de l’asile, inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Les refoulements sont également contraires à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, dont les arrêts sont contraignants pour tous les États membres de l’UE et qui a systématiquement appliqué ces normes, y compris à des opérations menées par des États hors de leur territoire national.
Si ces accords peuvent sauver la vie de migrants, ils méritent évidemment d’être encouragés. Cependant, ils ne doivent jamais exempter l’UE et les États membres de leur obligation de veiller à ce que les pays partenaires respectent les droits de l'homme des migrants et des réfugiés. Ils ne doivent pas non plus permettre de justifier ou de tolérer des mesures législatives ou des pratiques illégales, en Europe ou ailleurs.
Le respect et la protection de la dignité humaine et des droits de l'homme, y compris des non-ressortissants, sont les valeurs sur la base desquelles les États européens se sont reconstruits après la seconde guerre mondiale. Il conviendrait que le Conseil européen montre que ces valeurs restent au cœur de l’action de l’Europe aujourd'hui.