L’Europe connaît une intensification inquiétante des activités d’organisations extrémistes racistes, y compris de partis politiques. Selon certains commentateurs, ce phénomène s’est développé au point de devenir « une première forme de terrorisme d’extrême droite ».
Ce qui me préoccupe beaucoup, c’est que les responsables politiques européens et nationaux ne semblent pas être pleinement conscients de la gravité de la menace que ces organisations font peser sur l’état de droit et sur les droits de l’homme.
L’idéologie des organisations extrémistes racistes consiste pour l’essentiel à considérer que les « autres » (principalement les migrants et les membres de minorités nationales, ethniques ou religieuses) ne devraient pas avoir accès aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales. Ces organisations inventent des « ennemis » à combattre et à éliminer.
En Grèce, par exemple, entre octobre 2011 et décembre 2012, environ 220 agressions racistes ont été signalées au réseau d’observation de la violence raciste, dirigé par le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés et la Commission nationale des droits de l’homme. Cela représente environ une agression tous les deux jours. Dans mon récent rapport concernant la Grèce, j’ai d’ailleurs souligné la nécessité d’enrayer l’augmentation des crimes de haine et de combattre l’impunité.
Influence sur les parlements nationaux
Ce phénomène est d’autant plus grave qu’il s’accompagne d’une influence accrue des partis extrémistes racistes dans les gouvernements et les parlements nationaux, ainsi que de tentatives de ces partis de renforcer leur position au niveau européen par le biais d’alliances.
En Hongrie, par exemple, le Jobbik, qui se revendique comme « radicalement patriote », est entré au parlement en 2010 et y forme le troisième parti le plus important en nombre de sièges. En Suède, les élections témoignent de la popularité grandissante des Démocrates suédois (SD), un parti d’inspiration néonazie ; la situation est analogue en Grèce, avec le parti Aube dorée.
Cette présence dans les institutions confère une légitimité et une crédibilité à un extrémisme politique souvent impliqué dans des crimes racistes et d’autres infractions motivées par la haine. Les principales cibles sont les migrants et les musulmans, ainsi que des groupes sociaux particulièrement vulnérables, notamment des minorités comme les Roms. De nombreuses agressions de cette nature ont été recensées, en Hongrie, en Italie et en Serbie, par exemple.
Faible sensibilisation des responsables politiques et des forces de l’ordre
Les partis politiques européens et les parlements nationaux devraient prendre toute la mesure de cette tendance. Or, il arrive souvent que des responsables politiques, par leurs déclarations et leurs décisions, confortent encore l’idéologie, fondée sur le racisme, la xénophobie et l’intolérance, défendue par des organisations politiques d’extrême droite.
Plusieurs cas graves montrent aussi que la police et les services de renseignements ne prennent pas toujours les dispositions qui s’imposent contre l’extrémisme raciste. Ainsi, en Allemagne, des membres de la Clandestinité nationale-socialiste (NSU) ont tué 10 personnes entre 2000 et 2007 sans que la police établisse de lien entre ces meurtres. En Suède, un homme a tiré sur sept personnes, dont deux sont décédées, en 2009-2010. Longtemps, la police a imputé ces agissements à la criminalité organisée.
Mesures à prendre
- Les Etats européens doivent respecter pleinement la Convention internationale de 1966 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et donner effet aux principes qu’elle énonce ; cela vaut particulièrement pour l’article 4, qui concerne la condamnation des organisations racistes.
- Dans ce contexte, les Etats devraient revoir leur législation de manière à ce que la participation à des groupes extrémistes racistes soit effectivement punissable.
- Il est nécessaire de mettre à jour et de renforcer la législation nationale en vigueur relative à l’extrémisme raciste en s’inspirant de la décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil de l’Union européenne sur la lutte contre le racisme et la xénophobie.
- Les parlements et les partis politiques devraient prendre des mesures disciplinaires sévères et dissuasives à l’encontre des députés qui tiennent des propos haineux ou participent à des activités racistes.
- Les autorités nationales devraient faire en sorte qu’une formation continue à la lutte contre le racisme soit dispensée systématiquement à tous les membres des forces de l’ordre, juges et procureurs qui participent aux enquêtes et poursuites concernant des crimes racistes.
- Les Etats devraient veiller à ce que les victimes de l’extrémisme aient accès sans entrave à la justice nationale et à une protection effective. Une attention particulière devrait être accordée aux victimes qui sont des migrants en situation irrégulière.
- Les autorités nationales devraient s’attacher tout spécialement à détecter l’extrémisme raciste au sein des forces de l’ordre et à éradiquer l’impunité, notamment grâce à des mécanismes de plaintes indépendants et efficaces.
- L’éducation aux droits de l’homme devrait être systématiquement développée et avoir une place accrue dans les établissements scolaires.
Nécessité d’une approche fondée sur les droits de l’homme
Plus que d’autres formes de violence, la violence raciste a des effets destructeurs sur la dignité humaine et la cohésion sociale. D’où la nécessité de s’y attaquer plus sérieusement encore.
Les personnes et les organisations impliquées dans de tels actes sapent les fondements de la démocratie. Elles fragilisent les droits de l’homme que défendent les pays démocratiques et mettent en danger la prééminence du droit. Les Etats doivent garantir le respect des droits de l’homme en éradiquant l’impunité, en protégeant efficacement les victimes et en menant une action de sensibilisation continue et systématique, notamment par le biais de l’éducation.
Il est nécessaire que les autorités nationales soient vigilantes et combattent le racisme et l’extrémisme à tous les niveaux de la société.
Nils Muižnieks
Documents utiles :
- la Recommandation n° R (97) 20 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur le « discours de haine » ;
- la Résolution 1754 (2010) de l’APCE intitulée « Lutte contre l’extrémisme : réalisations, faiblesses et échecs » ;
- la Recommandation de politique générale n° 10 de l’ECRI intitulée « Lutter contre le racisme et la discrimination raciale dans et à travers l’éducation scolaire » ;
- la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste (1998) ;
- les lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe pour éliminer l’impunité pour les violations graves des droits de l’homme (2011) ;
- les résultats de la FRA concernant la nécessité d’un accès des victimes à la justice et à une protection effective.