Plus de 70 ans après l’Holocauste, l’Europe connaît une montée de l’antisémitisme. Malgré l’absence de statistiques officielles dans de nombreux pays, des recherches montrent qu’une hostilité profondément enracinée continue de menacer la sécurité et la dignité humaine des juifs dans toute l’Europe.
L’antisémitisme se manifeste aujourd’hui sous des formes « traditionnelles » ou plus « modernes ». Ainsi, il y a un peu plus d’un an, un appel à recenser les juifs représentant « une menace pour la sécurité nationale », lancé lors d’une séance du Parlement hongrois, a ravivé le terrible souvenir des politiques nazies. En décembre, les autorités roumaines ont imposé une amende à une chaîne de télévision publique du pays qui avait diffusé un chant de Noël aux paroles antisémites. Les formes « modernes » d’antisémitisme sont cependant nombreuses, elles aussi. En juillet dernier, Twitter a fourni au parquet de Paris des données pouvant permettre d’identifier les utilisateurs qui avaient posté des messages antisémites sur le réseau social. Les autorités françaises viennent, en outre, de prendre fermement position contre l’incitation à la haine dirigée contre les juifs en condamnant les propos d’un ancien humoriste devenu militant. Dans de nombreux pays européens, les chants et saluts antisémites sont de plus en plus fréquents lors des matchs de football.
Les Etats doivent combattre la banalisation de l’antisémitisme
L’an dernier, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) a publié les résultats d’une enquête menée à la fin de l’année 2012 dans huit Etats membres de l’UE (Belgique, France, Allemagne, Hongrie, Italie, Lettonie, Suède et Royaume-Uni). Il en ressort que 76 % des personnes de confession juive ayant répondu avaient le sentiment que l’antisémitisme s’était aggravé dans leur pays au cours des cinq dernières années. Cependant, la majorité d’entre elles n’avait pas signalé les incidents antisémites dont elles avaient été victimes ; beaucoup considéraient en effet que cela n’aurait rien changé ou que de tels incidents se produisent en permanence. Par ailleurs, la moitié seulement des Etats membres de l’UE collectent des données sur les incidents antisémites signalés.
Les autorités doivent se prémunir contre la banalisation de ces manifestations et prendre pleinement conscience du danger que représentent pour la démocratie les actions visant à contester le droit d’une partie de la population à l’égalité et à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Il ne faut pas oublier que l’antisémitisme a servi – et continue de servir – de prétexte et de justification à la discrimination et à l’usage de la violence, voire au meurtre. En témoigne la tuerie qui a eu lieu en mars 2012 à Toulouse, dans l’établissement scolaire juif « Ozar Hatorah », et qui est l’une des plus graves attaques antisémites commises ces dernières années en Europe.
Nécessité d’une réponse effective
Les pays européens doivent s’employer activement à lutter contre l’antisémitisme. En l’absence de mesures effectives, les personnes victimes d’agressions antisémites continueront de souffrir sans s’adresser aux autorités et ces infractions, qui n’auront pas fait l’objet de poursuites, resteront impunies.
Il importe surtout que les responsables politiques nationaux condamnent avec fermeté les propos et agressions antisémites, en indiquant clairement que ces manifestations de haine sont inacceptables et seront sévèrement punies.
Les autorités nationales devraient collecter systématiquement des données sur les incidents antisémites et les analyser. Il est nécessaire qu’elles veillent à ce que le mobile antisémite des crimes de haine (y compris du discours de haine) soit pris en compte tout au long de la procédure, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme[1]. Il convient aussi de répondre de manière adéquate aux besoins de protection spécifiques des victimes d’actes antisémites.
Les Etats qui ne l’ont pas encore fait devraient renforcer leur législation, de manière à ce que l’apologie, la négation ou la banalisation intentionnelles et publiques de l’Holocauste soient punissables de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives, y compris lorsque ces actes ont été commis par des personnes morales. Ainsi que la Cour de Strasbourg l’a noté en 2003 dans l’affaire Garaudy c. France, « la contestation de crimes contre l’humanité apparaît comme l’une des formes les plus aiguës de diffamation raciale envers les Juifs et d’incitation à la haine à leur égard. La négation ou la révision de faits historiques de ce type remettent en cause les valeurs qui fondent la lutte contre le racisme et l’antisémitisme et sont de nature à troubler gravement l’ordre public. »
Dans ce contexte, les Etats membres de l’UE sont encouragés à transposer et à appliquer la Décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil de l’Union européenne du 28 novembre 2008 « sur la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal ». Les autorités nationales devraient poursuivre et sanctionner de manière effective tout groupe ou parti politique qui défend des arguments antisémites dans son discours ou ses activités.
Les Etats devraient adopter une approche globale
En matière de lutte contre l’antisémitisme, les pays européens devraient abandonner les approches fragmentées au profit de mesures pouvant avoir des effets larges et durables. Les institutions publiques, les représentants des communautés juives et d’autres organisations de la société civile devraient travailler ensemble à l’élaboration de ces mesures, qu’il s’agirait d’intégrer dans des stratégies et des plans d’action nationaux destinés à combattre l’intolérance, le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme.
Compte tenu de l’évolution technologique, les Etats devraient s’attaquer au problème croissant de l’antisémitisme sur internet. La campagne du Conseil de l’Europe contre le discours de haine est un bon moyen de préparer les jeunes à lutter contre ce phénomène. A cet égard, il pourrait aussi être utile de rappeler aux Etats membres le contenu de la Recommandation n° R (97) 20 sur le « discours de haine » du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe et de les inviter à déterminer dans quelle mesure ils ont effectivement mis en œuvre ces dispositions.
Enfin et surtout, les autorités nationales doivent redoubler d’efforts pour combattre l’ignorance et l’intolérance, y compris chez les générations futures, au moyen d’actions éducatives systématiques et permanentes, qui consistent notamment à enseigner l’Holocauste avec la plus grande rigueur historique. Après l’Holocauste, la réaction de beaucoup a été de dire « Plus jamais ça ! ». Les actes antisémites récents ne doivent pas seulement susciter la consternation, mais aussi des actions énergiques de la part des Etats, pour que les préjugés, la discrimination et la violence dirigés contre les personnes de confession juive appartiennent définitivement au passé.
Nils Muižnieks
Documents utiles
- Recommandation de politique générale n° 9 de l’ECRI : La lutte contre l’antisémitisme (2004)
- Résolution 1563 (2007) de l’APCE : Combattre l’antisémitisme en Europe
- Recommandation 1720 (2005) de l’APCE : Education et religion
- Cour européenne des droits de l’homme, Fiche thématique sur le discours de haine
- Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité, relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques (2003)
[1] Voir, entre autres, Natchova et autres c. Bulgarie, arrêt de Grande Chambre du 6 juillet 2005, §160.