La nouvelle administration américaine a pris des initiatives encourageantes pour redresser la politique préjudiciable à la protection des droits de l’homme menée par ses prédécesseurs : rejet de la torture, fermeture prévue du centre de détention de Guantanamo et renoncement à utiliser des prisons secrètes pour les interrogatoires. Mais un autre grand pas reste à franchir : cesser le travail de sape de la Cour pénale internationale.
Les atrocités commises dans les Balkans au début des années 1990 nous rappellent la nécessité d’un mécanisme de justice internationale, effectif et indépendant, pour mettre fin à l’impunité pour les crimes les plus atroces : génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Le Statut de Rome a été adopté en 1998 après de longues négociations intergouvernementales qui ont débouché sur la création en 2002 de la Cour pénale internationale (CPI) après la ratification du Traité par 60 Etats. Aujourd’hui, avec 108 Etats parties, la Cour reste confrontée à d’importants problèmes.
D’emblée, l’administration américaine a considéré la Cour avec suspicion et hostilité. Au sein de l’administration Clinton, on craignait qu’elle ne soit instrumentalisée à des fins politiques en engageant des poursuites contre des ressortissants américains. Il n’en reste pas moins que le Président Clinton a signé le Statut le 31 décembre 2000, le dernier jour où celui-ci était encore ouvert à la signature, tout en déclarant que sa ratification n’était pas imminente et qu’elle ne serait proposée au Sénat que si la Cour démontrait sa capacité à faire preuve d’impartialité politique.
Son successeur ne voulait même pas aller aussi loin. Juste avant l’entrée en vigueur du Statut, le Président George W. Bush a déclaré, dans une lettre au Secrétaire Général de l’Organisation des Nations Unies, que son administration ne ratifierait pas le Traité et qu’elle n’acceptait pas les obligations découlant de cette signature. En réalité, avec cette « non-signature », le gouvernement américain signifiait qu’il ne se sentait plus obligé de s’abstenir d’actes qui priveraient le Statut de Rome de son objet et de son but.1
L’administration Bush s’est ensuite engagée dans une campagne tous azimuts contre la CPI. En 2002, elle a fait pression sur le Conseil de sécurité des Nations Unies pour adopter une Résolution qui demandait à la CPI de ne pas mener d’enquêtes ou de poursuites « concernant des responsables ou des personnels en activité ou d’anciens responsables ou personnels» d’un Etat n’ayant pas ratifié le Statut. Cette exception a été renouvelée en juin 2003 pour une période de douze mois mais les tentatives ultérieures visant à la reconduire n’ont pas obtenu de soutien suffisant. Les Etats-Unis ont fini par retirer la Résolution.
Dans un deuxième temps, l’administration Bush a demandé à d’autres gouvernements de conclure des accords bilatéraux d’immunité avec Washington qui protègeraient de la compétence de la Cour des responsables, des militaires ou des personnels américains, en activité ou anciens responsables, y compris les non-ressortissants américains travaillant pour ce pays et les ressortissants des Etats-Unis.2 Aucune clause ne garantissait les poursuites pénales de suspects au niveau national.3
La pression politique et diplomatique exercée pour obtenir ces accords fut sans précédent. Des programmes de formation militaire et même d’aide au développement ont été résiliés pour les Etats qui les refusaient. En 2002, la loi américaine sur la protection des membres des services des Etats-Unis (ASPA - American Service-Members Protection Act) interdisait aux Etats-Unis de participer à des activités bilatérales et multilatérales visant à coopérer avec la CPI ou à la soutenir et autorisait le recours à la force pour libérer tout ressortissant américain détenu à La Haye par ordre de la Cour.
En outre, une modification apportée à une loi sur l’aide économique qui porte le nom de son auteur, le membre du Congrès George Nethercutt, pénalisait gravement plusieurs pays pauvres qui avaient décidé, par position de principe, de ne pas porter tort au Statut de Rome.
Les institutions européennes étaient clairement sceptiques aussi bien sur le fond que sur les méthodes de cette campagne, qui plaçait dans une position très embarrassante les gouvernements désirant entretenir de bonnes relations à la fois avec l’Union européenne et avec l’administration américaine. La Roumanie et l’Azerbaïdjan, par exemple, ont signé l’accord bilatéral d’immunité avec les Etats-Unis mais ne l’ont jamais ratifié.
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a examiné cette question à plusieurs reprises. En 2003, en déplorant la campagne américaine, elle a déclaré que les accords en question enfreignaient le Statut de Rome. Elle continue ainsi :
« L'Assemblée condamne les pressions exercées sur un certain nombre d'Etats membres du Conseil de l'Europe afin qu'ils concluent un accord de ce type et déplore les demandes contradictoires dont ces pays font l'objet par les Etats-Unis d'une part, et l'Union européenne et le Conseil de l'Europe d'autre part: une situation qui les place devant un faux dilemme entre les solidarités européenne et atlantiste. L'Assemblée considère que chaque pays devrait être libre d'adopter sa position propre à l'égard de la CPI en se fondant uniquement sur des considérations de principe.” 4
En définitive, seuls quatre Etats européens ont ratifié l’accord d’immunité : l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie et « l’ex-République yougoslave de Macédoine ». Dans les discussions que j’ai eues ensuite avec des représentants des gouvernements de ces pays, je n’ai constaté aucun enthousiasme de leur part pour cet accord.
Il est d’ailleurs significatif que moins de la moitié des accords sont devenus juridiquement contraignants, de nombreux gouvernements n’ayant jamais tenu les promesses qu’ils avaient faites à l’administration américaine. Sur les 102 accords signés, seuls 21 ont été ratifiés par voie parlementaire et 18 autres ont été qualifiés de décisions exécutives ne demandant pas de ratification.
Même au sein de l’administration Bush, l’enthousiasme semble être retombé avec le temps. Le nombre des exceptions à l’ASPA a augmenté, et les mesures punitives ont fini par ne plus être appliquées.
La nouvelle administration est certainement plus positive. Les sanctions prévues par les accords bilatéraux ont été abolies et la Secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, a annoncé à une Commission du Sénat la fin de « l’hostilité » à la CPI. L’approbation par les Etats-Unis de l’action de la CPI au Soudan peut faire pressentir qu’une nouvelle ère s’ouvre pour la justice internationale.
Il est grand temps que la politique américaine à l’égard de la CPI soit revue par l’administration Obama, dans l’esprit d’une coopération active et positive avec la Cour. Le gouvernement américain doit en particulier réaffirmer son soutien en réactivant sa signature, abolir l’ASPA et participer aux travaux de la Conférence de Révision en 2010.
En outre, l’administration Obama devrait maintenant demander au Sénat de ratifier le Statut de Rome et contribuer à faire de la Cour un instrument effectif de dernier recours contre l’impunité pour des crimes restés à ce jour, malgré leur nature barbare, bien trop souvent impunis.
Les dirigeants européens devraient chercher à renouer le dialogue sur cette question en dépit des cicatrices laissées par l’attitude intimidante de l’administration Bush. Les inquiétudes américaines persistantes pourraient sûrement être clarifiées et apaisées. Ces négociations devraient aussi encourager les Etats européens qui n’ont pas signé ou ratifié le Statut de Rome à le faire. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a récemment recommandé à tous les Etats membres de coopérer pleinement avec la Cour.5
La participation universelle, telle doit être notre ambition ! Les événements qui se sont déroulés depuis l’adoption du Traité il y dix ans ont hélas prouvé à quel point la Cour pénale internationale est indispensable.
Thomas Hammarberg
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Notes :
1. Article 18 (a) de la Convention de Vienne sur le droit des Traités de 1969 prévoit qu’un Etat signataire d’un Traité doit s'abstenir d'actes qui priverait le traité en question de son objet et de son but.
2. Ces accords ont aussi été appelés « accords au titre de l’article 98 ». Selon l’article 98(2) du Statut, “La Cour ne peut poursuivre l'exécution d'une demande de remise qui contraindrait l'État requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en vertu d'accords internationaux selon lesquels le consentement de l'État d'envoi est nécessaire pour que soit remise à la Cour une personne relevant de cet État, à moins que la Cour ne puisse au préalable obtenir la coopération de l'État d'envoi pour qu'il consente à la remise ». De nombreux spécialistes du droit international s’accordent à dire que ces accords sont contraires au droit international et au Statut de Rome.
3. Le Statut de Rome offre des garanties très complètes contre les abus à des fins politiques. Selon son préambule, la CPI est complémentaire des juridictions pénales nationales et son article 17 prévoit que la Cour exerce sa compétence uniquement lorsque l’Etat qui est compétent en l’espèce n’a pas la volonté ou est dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites.
5. Résolution de l’APCE 1644 (2009) - Coopération avec la Cour pénale internationale (CPI) et universalité de cette instance. L’Assemblée invite en outre l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Fédération de Russie, la Moldova, Monaco, la République tchèque, la Turquie et l’Ukraine ainsi que deux Etats observateurs, Etats-Unis et Israël, à ratifier le Statut.