En 2017, en Bosnie-Herzégovine, un groupe local de militantes écologistes très déterminées a manifesté pendant 500 jours contre la construction de nouveaux barrages hydroélectriques sur la rivière Kruščica. Le combat, mené par des villageoises, dénommées par la suite « Les femmes courageuses de Kruščica », s’est heurté à de nombreux obstacles, dont des violences physiques et des arrestations, mais n’a pas été vain : il a permis de préserver l’accès des résidents à de l’eau potable fraîche et de protéger l’habitat de nombreuses espèces animales, que menaçaient ces projets.
Deux ans plus tard, en 2019 au Royaume-Uni, après plus de dix ans de manifestations et de pressions des militants écologistes, le gouvernement a instauré un moratoire sur la fracturation hydraulique, une méthode controversée d’extraction de gaz souterrain, au grand soulagement des riverains des sites d’extraction qui craignaient de subir des secousses sismiques et d’autres dommages environnementaux en cas d’accident.
En Espagne, presque vingt ans de campagnes acharnées et de bataille juridique ont conduit les écologistes espagnols à la victoire en octobre 2020, lorsque la Cour suprême du pays a rendu un arrêt mettant fin à un vaste projet d’aménagements résidentiels qui menaçait un parc naturel côtier reconnu pour ses habitats marins protégés.
Et en mars 2021, en France, un décret ministériel fixant de très faibles distances de sécurité entre les habitations humaines et les zones traitées par des pesticides extrêmement toxiques a été jugé inconstitutionnel grâce aux efforts collectifs de plusieurs ONG nationales et régionales de défense de l’environnement, soutenues par des associations de citoyens et de consommateurs et des organisations de protection de la santé.
Ces quelques exemples tirés de la vie réelle montrent comment des actions en faveur de l’environnement ont bénéficié aux droits de l’homme et à la sécurité collective de communautés entières en Europe. De nombreux autres récits d’expériences réussies peuvent être trouvés, notamment sur le tout nouveau site web Voices of Nature, créé par la Convention de Berne du Conseil de l’Europe. D’innombrables autres expériences de ce type existent dans le monde. Certaines font la une des journaux. Beaucoup passent inaperçues.
Les défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement
Les personnes à l’origine de ces actions extrêmement importantes sont des défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement. Ce terme désigne les défenseurs des droits de l’homme qui s’occupent de questions environnementales. Nombre d’entre eux sont des citoyens ordinaires qui exercent simplement leurs droits fondamentaux, ou que les circonstances, ou la pure nécessité forcent à agir ; certains entrent dans cette catégorie qu’ils se considèrent ou non comme des défenseurs des droits de l’homme. L’idée qu’il existe une interdépendance entre les droits de l’homme et l’environnement s’est progressivement imposée dans le débat sur les droits de l’homme, comme je l’ai fait observer dans mon carnet des droits de l’homme de 2019, intitulé « Vivre dans un environnement sain, un droit négligé qui nous concerne tous ». Il va de soi aujourd’hui que les dommages environnementaux portent atteinte à l’exercice des libertés et des droits fondamentaux, tels que le droit à la vie, le droit à la santé, le droit au respect de la vie privée ou le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants. C’est pourquoi ceux qui agissent pour protéger l’environnement et prévenir sa dégradation, changement climatique compris, contribuent à la protection de nos droits fondamentaux.
La contribution essentielle qu’apportent à nos sociétés les défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement n’est pas passée inaperçue. En témoignent, par exemple, la résolution sur les défenseurs des droits de l’homme liés à l’environnement adoptée par le Conseil des droits de l’homme en 2019 et qui fera date, et la « Feuille de route de Genève », conçue pour faciliter sa mise en œuvre effective. Leur rôle a aussi été reconnu par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme et l’environnement, notamment dans un rapport novateur énonçant des Principes-cadres relatifs aux droits de l’homme et à l’environnement. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), en collaboration avec le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et le Groupe des droits universels, a créé un portail de ressources et défini des règles de conduite pour soutenir les défenseurs de l’environnement. En ce qui concerne le Conseil de l’Europe, cette année, la 9e édition du Forum mondial de la démocratie rend hommage à leur travail sous le thème « Défendre les défenseur(e)s », dans le cadre de la campagne consacrée tout au long de l’année à l’interaction complexe entre démocratie et protection de l’environnement. Dans de nombreux endroits en Europe, les responsables nationaux et locaux de l’élaboration des politiques ont invité les défenseurs des droits environnementaux à leur table, reconnaissant la valeur de leur parole, de leur expérience et de leur expertise.
Dans le même temps, les gouvernements d’Europe considèrent souvent les défenseurs et la défense de l’environnement, au mieux comme une nuisance, au pire comme une menace, et répondent au militantisme légitime par des représailles. Certains laissent simplement le développement économique débridé prendre le pas sur les préoccupations environnementales légitimes des citoyens, ou laissent les intérêts financiers et les puissants acteurs non étatiques étouffer le militantisme. En raison de leurs activités, les défenseurs de l’environnement se sont fait de redoutables ennemis et aujourd’hui, nombreux sont les endroits en Europe où parler haut et fort pour défendre l’environnement ou dénoncer les effets du changement climatique peut coûter très cher.
Une augmentation des agressions et des représailles contre les défenseurs de l’environnement
La persécution des défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement n’est pas un phénomène nouveau en Europe. Dans son rapport de 2014 intitulé “A Dangerous Shade of Green” (« Une dangereuse nuance de vert »), l’ONG Article 19 présente une dizaine d’exemples de meurtres et d’agressions violentes de militants écologistes perpétrés sur le continent. D’autres exemples, provenant essentiellement d’anciens pays de l’Union soviétique, peuvent être trouvés dans le rapport “Dangerous work: Reprisals against environmental activists” (« Un travail dangereux : représailles contre les militants écologistes »), publié en 2019 par l’ONG Crude Accountability. Malheureusement, ces agressions et incidents n’ont pas décru – ils ont plutôt gagné en intensité. Ce n’est que récemment que plus de 400 universitaires étudiant le changement climatique et environnemental ont publié une lettre ouverte faisant part de leur inquiétude face à la tendance croissante à réprimer et à réduire au silence les militants écologistes dans le monde, qu’ils perçoivent comme une « nouvelle forme de refus antidémocratique d’agir sur le climat ».
Le soutien de l'action des défenseurs des droits de l'homme, leur protection et la création d’un environnement propice à leurs activités figurent parmi les principaux axes de mon mandat de Commissaire aux droits de l'homme. C’est dans cet esprit qu’en décembre dernier, j’ai organisé une table ronde en ligne avec des défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement de toute l’Europe, dont des avocats, des militants et des représentants d’ONG locales et internationales de différents pays européens. Leurs témoignages ont révélé que l’oppression et l’intimidation des défenseurs s’étaient intensifiées ces dernières années en Europe. Comme l’indiquent les conclusions du compte-rendu de la table ronde, ceux qui font la lumière sur les questions environnementales et sont en première ligne de la lutte contre le changement climatique sont actuellement attaqués sur tous les fronts.
Malheureusement, il existe aujourd’hui en Europe des endroits où les défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement sont frappés, menacés, agressés verbalement, intimidés ou empêchés d’une autre manière d’exercer leurs activités légitimes en toute sécurité et liberté. Pour ne citer que quelques exemples parmi les plus flagrants : un militant écologiste de Russie a été grièvement frappé par des assaillants inconnus et hospitalisé avec des fractures du crâne et un nez cassé. En Ukraine, un militant écologiste qui enquêtait sur la pollution d’une rivière locale, apparemment causée par une usine de traitement des déchets située à proximité, a été retrouvé pendu dans des circonstances suspectes. La lutte contre l’exploitation forestière illégale dans les forêts primaires de Roumanie a déjà coûté la vie à plusieurs gardes forestiers et a mis quelques militants en danger de mort. J’ai personnellement écouté le témoignage poignant d’un militant écologiste qui a raconté comment il avait été quasiment battu à mort en 2015 ; bien que ses assaillants aient été filmés et identifiés par un témoin oculaire, ils n’ont jamais été traduits en justice.
Lorsqu’on leur présente des informations faisant état d’actes de violence ou d’intimidation contre des défenseurs des droits de l’homme liés à l’environnement, les forces de police ferment trop souvent les yeux. Fait inquiétant, cette attitude est devenue assez courante dans certains pays européens. Les représailles du gouvernement, ou l’incapacité ou le manque d’empressement des pouvoirs publics à assurer la sécurité et la protection des militants écologistes, a conduit certains d’entre eux à chercher refuge ailleurs. Une militante écologiste influente, responsable de l’une des plus anciennes organisations écologistes de Russie, a dû fuir le pays après avoir été victime de harcèlement judiciaire dans le cadre de plusieurs procédures factices. Plusieurs autres militants écologistes qui luttaient contre le passage d’une autoroute à travers une forêt primaire, qui s’opposaient à l’exploitation illégale de forêts protégées, ou qui réclamaient plus d’ouverture concernant les retombées d’un incident nucléaire, ont dû quitter la Russie par crainte pour leur sécurité et celle de leur famille. Un défenseur de l’environnement originaire de Roumanie m’a dit qu’il avait dû déménager à l’étranger après avoir été informé que sa tête avait été mise à prix par des criminels en raison de ses activités écologistes, doutant de la capacité des forces de police à assurer sa protection.
Stigmatisation, surveillance et autres restrictions subies par les militants écologistes
Toutefois, les agressions violentes ne sont de loin pas le seul problème auquel ont à faire face les défenseurs de l’environnement aujourd’hui. De plus en plus, les gouvernements considèrent et présentent les organisations de défense de l’environnement comme suspectes et adoptent des lois ou des mesures visant à restreindre leur champ d’action. Les lois relatives aux prétendus « agents étrangers » sont des exemples représentatifs de ce type de législation qui pèse de manière disproportionnée sur le militantisme écologiste légitime. Ces lois forcent de nombreuses organisations de défense de l’environnement soit à éviter purement et simplement de se faire enregistrer officiellement, soit à mettre fin à leurs activités, sous peine de se voir infliger de lourdes amendes et d’autres mesures punitives, comme des poursuites pénales, le harcèlement judiciaire ou la dissolution. La première de ces lois, adoptée par la Russie en 2012, a fait l’objet d’une intervention de mon prédécesseur dans une affaire pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme. Malheureusement, ce mauvais exemple a été imité par d’autres pays d’Europe. Une loi similaire a été adoptée en Hongrie en 2017, malgré les critiques de mon bureau – et a été jugée contraire à la législation de l’Union européenne en juin 2020. En mai 2020, le ministre de l’environnement polonais a annoncé qu’une loi analogue était à l’étude et qu’un groupe de travail avait été créé à cette fin ; il a aussi accusé certaines organisations écologistes d’agir non pas par souci de l’environnement, mais sur les instructions d’obscurs « intérêts plus puissants ». En Slovénie, le gouvernement a inséré dans un projet de loi concernant les aides économiques liées à la covid-19 une disposition limitant la capacité des militants écologistes à participer aux études d’impact environnemental ; la constitutionnalité de cette proposition est en cours d’examen.
Les défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement qui ont pris part à la table ronde ont évoqué divers autres procédés utilisés par les gouvernements pour restreindre délibérément leur champ d’action et entraver les efforts collectifs visant à mettre fin aux conséquences négatives de la dégradation de l’environnement et du changement climatique. Des procédés qui peuvent, par ricochet, avoir des effets dissuasifs sur l’ensemble de la société. Dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe, les défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement sont délibérément tournés en ridicules, utilisés comme bouc-émissaires, marginalisés, voire assimilés à des extrémistes et désignés par des qualificatifs péjoratifs, comme celui d’« (éco)terroriste » – y compris par des responsables publics, des organes de presse, ou même des autorités judiciaires. Certains gouvernements et entreprises ont recours à des campagnes de relations publiques offensantes et stigmatisantes pour isoler les militants écologistes et rendre les attaques dont ils font l’objet plus justifiables aux yeux de l’opinion publique. Leurs organisations sont également la cible d’actions de dénigrement en ligne visant à ternir leur réputation et les militants sont régulièrement victimes de cyberharcèlement. Dans certains États membres, les forces de police perturbent les activités légitimes des organisations de défense de l’environnement en faisant des descentes dans leurs bureaux et en saisissant leurs équipements, de façon à les stigmatiser encore davantage aux yeux de l’opinion publique.
Fait inquiétant, la participation à des manifestations pour la protection de l’environnement est également de plus en plus assimilée à une activité illégale ou interprétée comme une raison d’imposer à titre préventif des restrictions individuelles à la liberté de circulation ou au droit à la liberté. Les règles relatives aux rassemblements publics sont parfois appliquées de manière sélective au détriment des manifestations des groupes de défense de l’environnement. La participation publique aux sommets mondiaux sur l’environnement a souvent été restreinte et de nombreux militants écologistes ont été placés sous surveillance. Ces dernières mesures en particulier constituent une atteinte importante au droit au respect de la vie privée des personnes visées, mais sont difficiles à détecter et à contester juridiquement en raison de leur caractère déguisé.
Par exemple, avant la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP21) de 2015, la France a imposé des mesures de surveillance à un certain nombre de militants écologistes de base et a assigné certains d’entre eux à résidence à titre préventif. La législation adoptée par la Pologne avant la conférence de la COP24 en 2018 a conféré de larges pouvoirs de surveillance à la police et aux services secrets, les autorisant à recueillir des données à caractère personnel sur les participants et à empêcher la tenue de rassemblements pacifiques spontanés dans la ville où se déroulait le sommet. En 2019, un tribunal de Moscou a condamné un jeune militant du climat et gréviste solitaire à six ans de détention pour sa manifestation pacifique dans le cadre de la campagne mondiale de grèves scolaires pour le climat. Au Royaume-Uni, le projet de loi sur la police, la criminalité, les condamnations et les tribunaux – en cours d’examen par le Parlement – a été critiqué par des militants écologistes au motif qu’il pourrait avoir un impact négatif sur la liberté de réunion et de manifestation pacifique, ainsi qu’un effet dissuasif sur la participation des populations aux manifestations en faveur de l’environnement.
Intimidation et harcèlement des journalistes spécialistes de l’environnement
Les tactiques agressives utilisées contre les défenseurs des droits de l’homme liés à l’environnement sont aussi fréquemment étendues aux journalistes d’investigation, en raison des dommages environnementaux qu’ils pourraient révéler, et du rôle qu’ils jouent en aidant les militants à diffuser leurs messages. Les participants à la table ronde ont par exemple fait état de poursuites abusives intentées contre un journal par une compagnie pétrolière ou de menaces adressées à des journalistes désireux de couvrir des campagnes en faveur de l’environnement. En mars de cette année, dans apparente une tentative de provoquer un accident de la route, deux boulons ont été retirés de la roue d’une voiture appartenant à une journaliste d’investigation française réputée pour ses enquêtes dans le secteur agricole ; cet incident faisait suite à de précédentes menaces contre elle et sa famille et à l’empoisonnement de son chien. Une autre journaliste indépendante connue pour ses enquêtes sur la dégradation de l’environnement due à l’épandage de pesticides toxiques par l’industrie agroalimentaire a été poursuivie en diffamation par de puissants entrepreneurs. Bien que ces plaintes infondées aient finalement été retirées, il s’agissait principalement, par ces poursuites vexatoires connues sous le nom de « poursuites stratégiques contre la mobilisation publique » (SLAPP), d’intimider la journaliste pour qu’elle abandonne ses enquêtes.
La voie à suivre
L’inquiétante situation décrite ci-dessus est inacceptable. Si les gouvernements européens – au niveau central et local – sont vraiment décidés, comme ils s’y sont engagés, à lutter contre la pollution de l’environnement et le changement climatique, il est grand temps qu’ils reconnaissent et assument résolument leurs responsabilités envers les défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement et les journalistes spécialistes de l’environnement.
Premièrement, les États membres du Conseil de l’Europe doivent offrir auxdits défenseurs un environnement propice et sûr pour qu’ils puissent exercer leurs activités sans craindre la violence, les intimidations, le harcèlement ou les menaces. Ils doivent adopter une politique de tolérance zéro à l’égard des atteintes aux droits fondamentaux des défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement et des journalistes spécialistes de l’environnement, condamner rapidement et fermement toute menace ou violence envers ces derniers ou leurs organisations – y compris lorsqu’elles émanent d’acteurs non étatiques, mener des enquêtes complètes et effectives sur toute menace ou violence dont ils auraient fait l’objet afin de traduire leurs auteurs en justice, et donner accès à des voies de recours effectives aux victimes de telles violations.
Deuxièmement, nous devons mettre fin à la stigmatisation des défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement en Europe, y compris lorsqu’elle émane d’acteurs non étatiques et qu’elle a lieu en ligne. Les responsables politiques et les leaders d’opinion doivent s’abstenir de désigner les défenseurs de l’environnement par des termes péjoratifs et de chercher à donner une représentation trompeuse de leur travail ou à le décrédibiliser. Au lieu de cela, ils devraient soutenir publiquement et fermement leurs activités et reconnaître l’importance fondamentale de leur engagement et de leur contribution à nos sociétés. Ils devraient aussi abroger toute loi qui porte atteinte à la capacité des organisations de défense de l’environnement à travailler librement et de manière indépendante. Il ne saurait y avoir de place en Europe pour des lois de type « agent étranger » ou d’autres lois visant à étouffer le militantisme légitime de la société civile.
Troisièmement, les manifestations et les campagnes publiques comptent parmi les outils de défense de l’environnement les plus efficaces – et je dirais même indispensables – pour sensibiliser l’opinion publique et amener des changements. Les États devraient respecter la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique en relation avec les questions environnementales et protéger l’exercice de ces droits contre toute atteinte, y compris de la part d’acteurs non étatiques.
Quatrièmement, nous devons tenir dûment compte de l’opinion des défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement. Les pouvoirs publics et les entreprises privées devraient assurer une participation réelle, effective et transparente des organisations de défense de l’environnement, des communautés et des individus à la prise de décision sur toutes les politiques et projets susceptibles d’avoir un impact sur l’environnement. Les États devraient recueillir et diffuser des informations sur l’environnement et mettre en place des procédures permettant aux individus concernés d’agir lorsqu’ils sont confrontés à des dégradations de l’environnement, leur garantissant notamment le droit de bénéficier d’un accès effectif, en temps utile et à un prix abordable à des informations sur les questions environnementales. Conformément aux observations écrites que j’ai récemment adressées à la Cour européenne des droits de l’homme dans une affaire concernant l’impact négatif du changement climatique sur les droits de l’homme, les États devraient aussi assurer le respect du droit de disposer d’un recours et supprimer les obstacles entravant l’accès à la justice des victimes de violations des droits de l’homme causées par la dégradation de l’environnement ou le changement climatique.
À cet égard, je réitère mon appel à tous les États membres du Conseil de l’Europe qui ne l’ont pas encore fait à ratifier rapidement la Convention d’Aarhus de 1998 et la Convention du Conseil de l’Europe sur l’accès aux documents publics de 2010 (Convention de Tromsø) et à faciliter leur mise en œuvre effective. J’invite aussi les États qui ont déjà ratifié la Convention d’Aarhus à envisager de soutenir le développement d’un mécanisme d’intervention rapide qui traiterait des cas de harcèlement et de menaces contre les défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement.
L’obligation de respecter les droits des défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement incombe aussi aux acteurs non étatiques. Les entreprises européennes devraient intégrer dans leur responsabilité d’entreprise celle de respecter les droits de l’homme, conformément au cadre « Protéger, respecter, réparer » défini par les Nations Unies. Dans le contexte européen actuel, où les entreprises sont incitées à appliquer plus rigoureusement leur devoir de vigilance en matière de droits de l’homme, il est aujourd’hui plus important que jamais qu’elles soient perçues comme des acteurs positifs et responsables, notamment en ce qui concerne les droits de l’homme liés à l’environnement et ceux qui les défendent.
Enfin, l’Europe a besoin de davantage de défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement. Les États doivent s’efforcer de sensibiliser l’opinion publique aux questions environnementales et d’éduquer les populations dès le plus jeune âge à la nécessité de préserver l’environnement et à la manière de le faire. J’ai appris avec intérêt qu’en Suède et en Finlande, par exemple, des cours sur l’environnement et sur ce qu’il représente pour les individus et les sociétés étaient intégrés dans les programmes scolaires à tous les niveaux éducatifs. De telles initiatives sont essentielles pour former une nouvelle génération de citoyens dotés d’une conscience écologique et disposés à agir pour l’environnement. Le Conseil de l’Europe propose des ressources éducatives extrêmement utiles dans ce domaine.
Nous ne pouvons prétendre vouloir vraiment protéger l’environnement et lutter contre le changement climatique si nous ne protégeons pas ceux qui prennent des risques dans ce but. Je rends hommage aux défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement pour leur travail désintéressé et les sacrifices qu’ils font afin que nous puissions continuer de mener une existence digne sur cette planète. Sans leur vision et leur courage, l’environnement dans lequel nous vivons serait voué à subir de graves dommages – tout comme nos droits fondamentaux et notre bien-être. Défendre les défenseurs n’est pas seulement un impératif moral et politique. Cela devrait être, au minimum, un réflexe de survie collective.
Je continuerai d’attirer l’attention sur le sort réservé aux défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement, en dialogue avec les autorités, et à prendre la parole chaque fois qu’ils subiront des attaques, des représailles ou des restrictions injustifiées. J’appelle également chacun à prendre fermement leur défense. Alors qu’ils sont de plus en plus pris pour cible, inversons la tendance et faisons de l’Europe un lieu sûr pour le militantisme écologiste.
Dunja Mijatović