Retour Géorgie : protéger la liberté de réunion et d’expression, faire en sorte que les responsables de violations des droits humains rendent des comptes et mettre fin à la stigmatisation des ONG et des personnes LGBTI

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Géorgie : protéger la liberté de réunion et d’expression, faire en sorte que les responsables de violations des droits humains rendent des comptes et mettre fin à la stigmatisation des ONG et des personnes LGBTI

Le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Michael O'Flaherty, a effectué une visite en Géorgie du 21 au 23 janvier 2025. Il remercie les autorités géorgiennes pour leur coopération et pour le caractère ouvert des discussions. Au cours de sa visite, il s'est longuement entretenu avec les autorités et avec la société civile. Il salue la résilience de la société civile et des défenseurs des droits humains, qui travaillent dans des conditions de plus en plus difficiles.

Le Commissaire demande que des mesures soient prises pour remédier aux graves lacunes en matière de droits humains.

Le Commissaire Michael O'Flaherty se dit préoccupé par l'absence de suites données aux allégations selon lesquelles des membres des forces de l’ordre, ainsi que des individus masqués non identifiés (« titushkis ») se seraient rendus coupables d’arrestations illégales et de recours excessif à la force lors des manifestations publiques tenues en avril 2024 et depuis le 28 novembre 2024. À cet égard, il observe que les poursuites pénales contre les manifestants avancent, mais qu'en dépit de nombreuses informations crédibles faisant état de mauvais traitements, aucun membre des forces de l'ordre n'a encore été poursuivi, y compris des faits remontant aux manifestations du printemps 2024. En outre, le Commissaire attire à nouveau l'attention sur sa recommandation préexistante selon laquelle tous les membres des forces de l'ordre devraient porter des signes qui permettent de bien les identifier et donc de faciliter la poursuite et la sanction des auteurs d’exactions, conformément aux bonnes pratiques internationales.

Tout en reconnaissant que les forces de l'ordre ont fait preuve d'une plus grande retenue lors des manifestations qui ont continué durant la deuxième quinzaine de décembre, le Commissaire se dit préoccupé par les nouvelles restrictions imposées aux manifestations, notamment par certaines modifications de la loi relative « aux rassemblements et aux manifestations » et du Code des infractions administratives. Ces restrictions comprennent l'interdiction générale, pour les manifestants, de se couvrir le visage, l'élargissement des motifs d'arrestation administrative, de perquisition et de saisie, ainsi que des amendes plus sévères pour les infractions administratives liées aux manifestations publiques. Le Commissaire Michael O'Flaherty exprime aussi son inquiétude face à l'application quasi immédiate de ces nouvelles dispositions. « Il est essentiel de veiller à ce que le droit à la liberté de réunion pacifique ne soit pas compromis par des mesures administratives ou législatives », a déclaré le Commissaire. Il note que les modifications apportées à la loi sur la fonction publique affaiblissent la protection des fonctionnaires contre le licenciement. « Je regrette que ces lois qui ont d’importantes répercussions sur les droits humains aient été adoptées à la hâte, sans véritable processus de consultation. »

Lors de ses rencontres avec les autorités, le Commissaire a évoqué le cas de Mzia Amaghlobeli, une journaliste bien connue, à qui il a rendu visite en prison. Mzia Amaghlobeli est en grève de la faim depuis qu'elle a été arrêtée le 12 janvier 2025 pour avoir prétendument agressé un policier. « Sans préjuger d'une décision future sur le bien-fondé des accusations portées contre elle, j'estime que le maintien de Mzia Amaghlobeli en détention provisoire est injustifié et je suis très préoccupé par sa situation », a déclaré le Commissaire.

Le Commissaire s'inquiète face à la réduction de l'espace laissé aux organisations de la société civile, sous l'effet conjugué d'une désinformation qui se répand très vite et d'une législation stigmatisante. « Lors de mes discussions avec les autorités, j'ai rappelé la position que j'avais exprimée publiquement sur les conséquences, pour les droits humains, de la loi relative à la transparence de l'influence étrangère et j'ai répété qu'elle n'aurait pas dû être adoptée sous sa forme actuelle. » Selon cette loi, les ONG et les médias qui reçoivent plus de 20 % de leur financement de l'étranger sont tenus de s'enregistrer en tant qu'« organisations poursuivant les intérêts d'une puissance étrangère », même si rien ne prouve qu'elles agiraient en tant que telles. « Bien que les autorités n'aient pas encore infligé d'amende pour défaut d'enregistrement, la seule existence d'une telle présomption automatique, non prouvée et irréfutable représente déjà une restriction inutile et disproportionnée du droit à la liberté d'association », a ajouté le Commissaire.

Le Commissaire exprime sa vive préoccupation concernant la loi récemment adoptée loi sur « la protection des valeurs familiales et des mineurs », qu'il considère comme incompatible avec les normes des droits humains et qu'il a déjà qualifiée précédemment de discriminatoire et de stigmatisante. La loi interdit notamment les références positives aux personnes LGBTI dans la littérature, les films et les médias, ainsi que dans les établissements scolaires et lors de rassemblements publics. Elle interdit aussi la reconnaissance juridique du genre, rendant illégale la modification des marqueurs de sexe/genre sur les documents d'identité et les autres documents délivrés par l'État, et prévoit jusqu'à quatre ans d'emprisonnement pour les professionnels de santé qui dispensent des soins de santé spécifiques aux personnes transgenres. « Alors que la mise en œuvre de la loi n'a pas encore commencé, son impact se fait déjà sentir sur le terrain, avec un accès plus limité aux services de santé et autres services de base pour les personnes LGBTI, une crainte accrue d'être victimes d'infractions motivées par la haine, et l'exacerbation de la stigmatisation à laquelle ces personnes sont confrontées », a déclaré le Commissaire Michael O'Flaherty.

Le Commissaire observe que ces mesures législatives, auxquelles s'ajoutent l'absence de suites judiciaires rapides données aux violations des droits humains et la forte perception, au sein de la société civile, de l'impossibilité d'obtenir justice devant les tribunaux géorgiens, constituent en définitive une négation des droits humains des personnes LGBTI. Il demande instamment aux autorités d'aborder toute réforme en tenant bien compte de l'impact cumulatif de l'ensemble des lois et en respectant pleinement les normes internationales des droits humains.

Au cours de sa visite, le Commissaire a rencontré le vice-ministre des Affaires étrangères, Lasha Darsalia ; le vice-ministre de l'Intérieur, Aleksandre Darakhvelidze ; les vice-ministres de la Justice, Beka Dzamashvili et Niko Tatulashvili ; le Chef du Service spécial d'enquête, Koka Katsitadze ; le premier Procureur général adjoint, Giorgi Badashvili ; et le Défenseur public (Médiateur) de Géorgie, Levan Ioseliani.

Cette visite s'inscrivait dans le cadre des efforts déployés en permanence par le Commissaire pour dialoguer avec les États membres et promouvoir les normes les plus élevées en matière de protection des droits humains. Le Commissaire Michael O'Flaherty espère vivement pouvoir continuer à dialoguer ouvertement avec les autorités géorgiennes.

Tbilisi 24/01/2025
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