« L’Allemagne a beaucoup fait dans le domaine de l’asile ces dernières années ; elle a notamment lancé trois programmes d’admission humanitaire pour des réfugiés syriens (qui ont concerné 20 000 personnes) et enregistré plus de 200 000 demandes d’asile en 2014. Toutefois, étant donné que le nombre de demandes d’asile pourrait atteindre 400 000 cette année, plusieurs défis importants restent à relever », a déclaré Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, à l’issue d’une visite de six jours en Allemagne. Cette visite était axée sur les droits de l'homme des demandeurs d'asile, des réfugiés et des migrants, mais aussi sur la lutte contre le racisme et l’extrémisme et sur le cadre juridique et institutionnel de la protection et de la promotion des droits de l'homme.
« Parmi ces défis figurent des difficultés à faire enregistrer certaines demandes d’asile, la longue durée des procédures d’asile et un processus d’intégration entravé par le manque de cours de langue officiels. L’accès des demandeurs d'asile aux soins de santé reste aussi problématique dans plusieurs Länder », a expliqué le Commissaire. Il s’est réjoui de la décision récente du Gouvernement d’augmenter les effectifs de l’Office fédéral des migrations et des réfugiés (BAMF). Cependant, il a attiré l’attention des autorités sur la nécessité de veiller à ce que les centres d’accueil pour demandeurs d'asile soient, eux aussi, dotés d’un personnel suffisant. Au cours de sa visite, le Commissaire s’est rendu dans quatre de ces centres, à Karlsruhe et Berlin. Il a été impressionné par le dévouement et le professionnalisme du personnel, mais aussi par l’aide apportée par la population locale, sous la forme de dons en nature et de travail bénévole. En revanche, il a aussi observé avec une vive inquiétude des signes clairs d’une montée de l’intolérance dans le pays, dont témoignent notamment la multiplication des attaques contre des structures pour demandeurs d'asile et les manifestations régulières contre une « islamisation » supposée de l’Allemagne et de l’Europe.
La visite en Allemagne a aussi été l’occasion, pour le Commissaire, de poursuivre son évaluation des effets, sur les droits de l'homme, du système d’asile européen, à partir de données concrètes. Prenant note du nombre de demandeurs d'asile qui retournent en Allemagne ou quittent ce pays en application des règlements de Dublin, il a déclaré : « Le système de Dublin est problématique du point de vue de la protection des droits de l'homme, mais c’est aussi un système qui ne fonctionne pas et qui est maintenu en vie artificiellement. ». Nils Muižnieks a appelé les autorités allemandes à lancer un processus de réflexion au niveau européen, compte tenu de la nécessité absolue de repenser le partage des responsabilités en matière de protection des demandeurs d'asile, selon des modalités qui garantissent le plein respect des droits de ces personnes et qui reposent sur une véritable solidarité entre les Etats.
Concernant la lutte contre le racisme et l’extrémisme, une attention particulière a été accordée aux suites données à l’affaire du Mouvement clandestin national-socialiste (NSU), qui a mis en évidence une partialité des institutions et d’autres insuffisances graves des services de police et de sécurité dans le cadre du traitement des infractions à motivation raciste. « Je constate avec inquiétude que les changements opérés jusqu’ici restent apparemment limités : la création d’un centre spécialisé dans la lutte contre l’extrémisme de droite et de gauche et le nationalisme violent, de nouvelles bases de données et la promesse de faire en sorte que la composition de la police reflète davantage la diversité de la population. » Constatant notamment l’accent mis sur la répression des infractions commises par des groupes extrémistes, le Commissaire a demandé instamment aux autorités allemandes de profiter de la réforme en cours pour améliorer leur réponse aux infractions à motivation raciste en général. « Seules une partie des infractions à motivation raciste sont commises par des membres de groupes extrémistes organisés. Or, le système de justice pénale doit être en mesure de réprimer avec professionnalisme l’ensemble de ces infractions. » A cet égard, le Commissaire a pris note avec satisfaction de la modification apportée au Code pénal, qui permet désormais de prendre en compte la motivation raciste d’une infraction lors de la détermination de la peine. Il reste toutefois nécessaire de prendre bien d’autres mesures concrètes, et notamment d’élaborer des consignes obligatoires pour les policiers et les procureurs et de prévoir une formation spécialisée pour les juges.
Lors de son examen du cadre juridique et institutionnel de la protection et de la promotion des droits de l'homme, le Commissaire s’est intéressé à l’efficacité du système allemand de contrôle des services de renseignement et de sécurité, thème qui est devenu d’une brûlante actualité en Allemagne et en Europe à la suite des révélations récentes concernant à la fois des violations des droits de l'homme et un mépris général du principe de la prééminence du droit. De l’avis du Commissaire, il faut donner plus de poids à la commission de contrôle parlementaire en renforçant considérablement ses services d’appui et leurs compétences techniques. Reste aussi ouverte la question de la surveillance exercée par les services de renseignement allemands en dehors de l’Allemagne, à l’égard de personnes qui ne sont pas des ressortissants allemands. Selon le Commissaire, « l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit le droit au respect de la vie privée, s’applique à toutes les activités des Etats parties à la Convention, et notamment à toutes celles qui concernent la sécurité nationale et le renseignement ».
Enfin, le Commissaire Muižnieks a constaté avec préoccupation qu’en Allemagne, plusieurs institutions de protection et de promotion des droits de l'homme ne disposent ni des moyens ni des pouvoirs nécessaires et/ou ne sont pas assez indépendantes. Il est encourageant de noter que l’Institut allemand des droits de l'homme aura bientôt un fondement juridique, mais cette institution, l’Agence fédérale de lutte contre la discrimination et l’Agence nationale de prévention de la torture ont besoin d’être considérablement renforcées pour pouvoir remplir efficacement leur mandat.
Le Commissaire publiera prochainement un rapport sur sa visite en Allemagne.