Les crimes de haine font partie de la réalité quotidienne partout en Europe. De récents rapports fiables attestent que des personnes continuent de subir des violences au seul motif qu'elles sont noires, juives, gitanes ou musulmanes, ou à cause de leur orientation ou de leur identité sexuelles. Ils fournissent des exemples de gens agressés dans la rue, de vitres brisées ou de maisons incendiées. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics de mettre un terme à ces agressions abjectes.
Tant le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH) de l'OSCE que l'organisation non gouvernementale Human Rights First ont publié des rapports sur les violences motivées par l'intolérance et la haine. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) présente des faits et des analyses sur de tels crimes dans ses rapports nationaux et énonce des recommandations sur la manière de les pallier. Tous ces documents démontrent qu'il est dangereux de tolérer l'enracinement et la diffusion des préjugés envers autrui. Malheureusement, les discours haineux dégénèrent facilement en crimes haineux.
De nombreux incidents ont été signalés en Ukraine. L'année passée, un étudiant en médecine nigérian, George Itoro Ebong, a été frappé à la tête avec une bouteille tandis qu'il attendait le bus à Kiev. A leur victime ensanglantée, les agresseurs ont crié: “Rentre en Afrique; tu n'es qu'un singe!”. Ce n'est pas un fait isolé: plusieurs autres crimes racistes ont été commis en Ukraine ces dernières années, dont des meurtres.
Dans mon rapport d'évaluation sur les droits de l'homme en Ukraine(1), j'ai évoqué non seulement ce genre d'agressions racistes, mais aussi les violences à l'encontre des Roms et un regain préoccupant d'activité des mouvements antisémites. Les auteurs de crimes racistes sont généralement arrêtés, mais ils seraient été rapidement libérés par la police, que certains accusent d'accepter des pots de vin. Dans d'autres affaires, les tribunaux ont requalifié les agressions xénophobes en agissements de délinquants, et les auteurs ont donc été traités avec plus d'indulgence.
Des crimes violents similaires, motivés par la haine, sont constatés dans plusieurs autres pays. En Fédération de Russie, des groupes d'extrême droite ont commis de nombreux crimes haineux, et parfois même des meurtres, à l'encontre de membres de minorités ethniques, religieuses et nationales. Ces dernières années des Caucasiens, et en particulier des Tchétchènes, en ont aussi été la cible. La loi est claire et qualifie de telles motivations racistes et antisémites de facteurs aggravants, mais ce n'est pas toujours pris en compte dans les procès. Malgré les déclarations du gouvernement condamnant les violences racistes et antisémites, le problème persiste.
En Italie, de graves violences contre les Roms sont signalées depuis un an, y compris des agressions physiques et des incendies, suite à des discours empreints de préjugés de divers politiciens et à des reportages xénophobes de certains médias. L'ensemble de la communauté rom a été tenue pour responsable de crimes commis par un petit nombre de ses membres, et les politiciens n'ont pas vraiment assumé leur rôle de direction morale pour tenter d'endiguer cette vague d'antitsiganisme.
Les immigrés musulmans et leurs enfants sont par ailleurs victimes d'un mélange d'islamophobie et de racisme. Le phénomène s'est considérablement intensifié après les attentats du 11 septembre et les réactions des gouvernements aux attentats terroristes. Des musulmans ont été subi des agressions physiques et des mosquées ont été vandalisées ou incendiées dans plusieurs pays. Au Royaume-Uni, pas moins de 11 mosquées ont été attaquées après les attentats terroristes du 7 juillet 2005 et, en France, cinq mosquées ont été attaquées à l'explosif ou incendiées en 2006.
Des Gay prides ont essuyé des attaques dans plusieurs villes d'Europe comme Bucarest, Budapest et Moscou. A Riga, des extrémistes ont lancé des déjections et des oeufs sur des militants homosexuels et sur leurs partisans qui sortaient d'un office religieux. Il y a quelques années, un joueur suédois de hockey est mort poignardé, à Vasteras, après avoir révélé son homosexualité. A Porto, au Portugal, un groupe de garçons a attaqué et tué une transsexuelle brésilienne sans domicile fixe, et abandonné son corps dans un trou plein d'eau. Ces incidents ne sont que la partie émergée de l'iceberg.
Certaines de ces violences ont sans doute été commises par des personnes à l'esprit dérangé, mais nombre d'entre elles portent l'empreinte des groupes néonazis et d'autres bandes d'extrémistes qui sont en général à la fois racistes, antisémites, antitsiganes, antimusulmans, anti-arabes et homophobes. Certains s'en prennent aussi aux étrangers et aux handicapés.
La gravité de ces crimes et l'obligation pour les Etats de prendre les mesures nécessaires pour y mettre fin ont également été soulignées par la Cour européenne des droits de l'homme. Dans un de ses arrêts, elle a insisté sur l'importance d'une enquête efficace dans les affaires de violences à motivation raciste:
"Les violences racistes constituent une atteinte particulière à la dignité humaine et, compte tenu de la gravité de leurs conséquences, appellent de la part des autorités une vigilance accrue et une réaction énergique. C'est pourquoi les autorités doivent mettre en oeuvre tous les moyens disponibles dans la lutte contre le racisme et les violences racistes, ce qui renforcera la vision démocratique d'une société dans laquelle la diversité est perçue non comme une menace, mais comme une source d'enrichissement" (2).
Dans le même arrêt, la Cour soulignait également que les gouvernements ont le devoir de prendre toutes les mesures raisonnables pour dévoiler les motivations racistes et déterminer si la haine ou les préjugés ethniques ont joué un rôle dans les faits concernés.
Concrètement, quelles dispositions les gouvernements devraient-ils prendre pour la prévention des crimes haineux et la réaction à ceux-ci?
- créer des organismes de lutte contre la discrimination dotés d'un mandat étendu et de l'autorité nécessaire pour s'attaquer aux violences motivées par la haine en assurant la surveillance, les rapports et l'assistance aux victimes;
- instaurer des rapports de coopération avec les communautés minoritaires et les inviter à proposer des mesures de prévention et de réaction en cas d'incidents haineux concrets. De telles mesures renforceront la confiance au sein de la communauté et assureront les citoyens du fait que les déclarations de crimes haineux sont prises au sérieux;
- prendre les mesures nécessaires pour la surveillance des crimes motivés par les préjugés et la collecte des statistiques sur les faits et les circonstances correspondants. De nombreux pays manquent en effet des informations nécessaires parce que les pouvoirs publics ne font pas preuve de la détermination suffisante. L'Observatoire Européen des phénomènes racistes et xénophobes de l'UE – le précurseur de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne – a signalé en 2006 que sur l'ensemble des pays de l'Union, seuls la Finlande et le Royaume-Uni disposaient d'un système de collecte de données sur les crimes racistes qui puisse être qualifié de ‘complet’. En 2007, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a publié des lignes directrices pratiques pour aider les Etats membres à surveiller ce type de crimes et à les soumettre à des enquêtes efficaces(3).
- améliorer l'accès aux procédures de plainte pour les particuliers comme pour les associations de défense. Des efforts supplémentaires s'imposent dans ce domaine, car il est à craindre que dans le cas contraire, un grand nombre d'agressions ne seront pas signalées à cause de la crainte et des réticences des victimes elles-mêmes;
- veiller à la sévérité des réactions judiciaires aux crimes haineux. Plusieurs pays considèrent en effet les préjugés comme une circonstance aggravante, qui implique une peine plus lourde, quand ils ont motivé des agissements. L'ordre juridique d'autres pays préfère qualifier les crimes haineux en infractions indépendantes assorties de peines sévères. Par contre, il existe encore des Etats membres du Conseil de l'Europe qui ne prévoient aucun alourdissement de peine en cas de crime haineux. Dans d'autres, la définition des préjugés les limite à certains groupes de victimes. Ainsi, dans plusieurs pays, les violences à l'encontre des personnes en raison de l'orientation sexuelle ou du handicap sont absentes de la législation relative aux crimes haineux;
- assurer l'application rapide des lois contre les crimes haineux en vigueur afin d'augmenter leur effet dissuasif. Les procédures devraient être bien documentées et divulguées dans le public.
Parallèlement à ces mesures concrètes, il importe d'investir davantage d'énergie dans la prévention – c’est-à-dire d'informer et d'éduquer afin de traiter l'ignorance et les peurs qui sont souvent à l'origine de la xénophobie et de l'intolérance. La Cour de Strasbourg a ainsi souligné la responsabilité des enseignants dans la promotion d'une société de tolérance.
Le Conseil de l'Europe a produit d'excellents outils pédagogiques dans ce domaine, notamment dans le cadre de ses campagnes ‘Tous différents, tous égaux’ et ‘Dosta!’ (qui encourage à rencontrer les Roms). De nos jours, les programmes d'enseignement des Etats membres devraient prévoir des cours sur les autres religions et cultures dans un effort de lutte contre l'intolérance. De même, les médias ont la responsabilité de ne pas servir de relais pour la diffusion d'incitations à la haine et la promotion de la violence.
Il est à déplorer que certains politiciens sabotent de tels efforts en exploitant leurs plateformes pour alimenter et exploiter les préjugés au lieu de prendre position pour les droits de l'homme et le respect des différences de chacun. Ce faisant, ils ‘légitiment’ une intolérance qui risque d'attiser les incitations à la haine et d'encourager les crimes haineux. Ces personnes devraient rendre des comptes.
Thomas Hammarberg
Notes
1.Rapport du Commissaire aux droits de l'homme, M. Thomas Hammarberg, sur sa mission en Ukraine, 10 – 17 décembre 2006
2. Cour européenne des droits de l'homme, arrêt de Grande Chambre en l'affaire Nachova et autres c. Bulgarie (6 juillet 2005).
3. Recommandation de politique générale n° 11 de l'ECRI sur la lutte contre le racisme et la discrimination raciale dans les activités de la police, 29 juin 2007, section III.