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Les droits humains devraient faire partie intégrante de tous pourparlers de paix sur l’Ukraine

Dans un contexte de bouleversements géopolitiques et de recul du multilatéralisme, nous assistons à la mise à l’écart des droits humains. Les pourparlers de paix en cours relatifs à la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine en sont une illustration frappante.

Chaque jour depuis le début de l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie, le peuple ukrainien subit des bombardements, des déplacements en masse, des violations des droits humains et des souffrances d’une ampleur inimaginable. Et pourtant, j’ai été frappé par le peu d’attention accordée aux préoccupations urgentes en matière humanitaire et de droits humains et à la situation des personnes touchées par la guerre dans les discussions relatives aux conditions d’une future paix en Ukraine. « Où est l’aspect humain dans les négociations de paix ? », demande rhétoriquement Oleksandra Matviichuk, du Centre ukrainien pour les libertés civiles, lauréat du prix Nobel de la paix. Sa question met en évidence une lacune majeure qu’il convient de combler pour parvenir à une paix juste et durable.

Pour ce faire, il est urgent d’élaborer un plan visant à faire des droits humains le principe directeur de tous les efforts de paix actuels et futurs. Les considérations relatives aux droits humains et une approche centrée sur les victimes doivent être prises en compte. Elles doivent être rendues audibles dans les discussions sur les moyens d’instaurer la paix en Ukraine.

En m’appuyant sur le droit international, sur les bonnes pratiques mondiales et sur mon expérience personnelle, je considère que les éléments suivants sont essentiels à une feuille de route en matière de droits humains pour une paix juste, durable et effective et que tout effort déployé en vue d’un futur accord de paix devrait en tenir compte.

Obligation de rendre des comptesLes auteurs de violations graves des droits humains et de crimes de guerre doivent être traduits en justice. Cela suppose de soutenir fermement et activement la Cour pénale internationale, et la création d’un tribunal spécial pour le crime d’agression contre l’Ukraine et la capacité nationale de l’Ukraine à poursuivre et à juger les criminels de guerre. Nous devons également commencer à réfléchir le plus tôt possible aux mécanismes non judiciaires qui contribuent au maintien de la paix, tels que la recherche de la vérité ou le travail de mémoire.

Mécanismes de réparation pour les victimes

Toutes les victimes de l’agression russe doivent obtenir réparation. D’ores et déjà, des fonds suffisants devraient être affectés à cette fin. Le Conseil de l’Europe apporte une contribution essentielle à cet égard en ayant établi le Registre des dommages pour l’Ukraine et en travaillant actuellement à la mise en place d’une commission d’indemnisation, qui pourra mettre en œuvre les efforts de réparation.

Prisonniers, enfants et personnes disparues

La libération des prisonniers de guerre et des civils détenus, le rapatriement des enfants ukrainiens emmenés en Russie ainsi que la localisation des victimes de disparitions forcées et de toutes les autres personnes portées disparues à cause de la guerre constituent des questions qui ne devraient pas être ignorées dans les pourparlers de paix, comme l’a aussi récemment demandé la société civile ukrainienne.

Personnes Déplacées à l’intérieur du pays et réfugiés

Le respect des droits humains doit être au cœur de toute planification du retour des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et des personnes réfugiées.

Personnes dans les territoires temporairement occupés

Les droits humains doivent être respectés dans les territoires ukrainiens temporairement occupés par la Russie. L’accès à ces territoires devrait être garanti aux organes internationaux de suivi en matière de droits humains. Les droits humains doivent également être respectés dans les territoires libérés de l’Ukraine.

Sortie de la loi martiale

Il convient d’aider l’Ukraine dans le cadre de l’assouplissement des restrictions en matière de droits humains lors d’une sortie de la loi martiale à terme.

Reconstruction

Si nous voulons que la reconstruction de l’Ukraine soit axée sur la dignité humaine, les droits humains doivent être le fil conducteur de tous les efforts de reconstruction et de relance. Cela signifie que les premiers efforts de reconstruction devraient cibler les personnes les plus démunies, notamment celles dont les habitations ont été endommagées ou détruites.

Adhésion à l’UE

Le processus d’adhésion à l’UE s’accompagnera d’obligations en matière de droits humains, comme cela devrait être le cas de tout accord de paix. Ces deux ensembles d’engagements importants devront être mis en adéquation et renvoyer l’un à l’autre.

Rôle des femmes

Conformément à la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité des Nations Unies, tout processus de paix doit reconnaître le rôle important que jouent les femmes dans le règlement des conflits et inclure une perspective de genre. Comme le montre régulièrement la situation dans le monde, il n’est pas possible d’avoir un bon processus de paix si les femmes ne sont pas représentées sur un pied d’égalité et ne sont pas pleinement associées à tous les efforts de paix. 

Participation

En tant que victime d’agression, l’Ukraine devrait toujours être présente à la table des négociations et il convient d’y associer pleinement sa société civile. En outre, les dimensions de la paix relatives aux droits humains seront mieux prises en compte si les organisations multilatérales concernées participent activement. Dans le contexte particulier de l’Ukraine, le rôle du Conseil de l’Europe est déjà évident et je le soutiendrai du mieux que je pourrai dans le cadre de mon mandat.

Ignorer les droits humains aujourd’hui, c’est compromettre la paix de demain. Si la souffrance des personnes et leur quête de justice sont occultées, tout accord risque de s’avérer fragile. Les Ukrainiens et les Ukrainiennes sont en droit d’attendre d’un processus de paix qu’il place les questions humanitaires et les droits humains au cœur des préoccupations.

Je n’aurai de cesse de rappeler l’importance des droits humains dans le contexte des discussions visant à définir les critères devant guider l’Ukraine sur la voie de la paix. J’ai hâte de continuer ces discussions lors de ma prochaine visite dans le pays.

Strasbourg 11/03/2025
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