Seule une action concertée de l’Europe permettra de répondre de manière effective aux mouvements actuels de réfugiés sur notre continent, mais les Etats doivent continuer à respecter leurs obligations en matière de droits de l'homme. « Je constate avec préoccupation que la Hongrie ne s’est pas montrée à la hauteur de ce défi », a déclaré Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, à l’issue d’une visite de trois jours en Hongrie. Avec l’arrivée à ses frontières de près de 400 000 personnes en quête de protection internationale en 2015, la Hongrie a été mise face à une tâche d’une ampleur sans précédent dans ce domaine. Toutefois, une série de mesures prises hâtivement ces derniers mois ont rendu l’accès à une protection internationale extrêmement difficile et ont criminalisé de manière injustifiable les migrants et les demandeurs d'asile.
Le Parlement a instauré en juillet 2015 une procédure d’asile accélérée qui, sans être assortie des garanties essentielles, est appliquée en pratique à la grande majorité des demandeurs. Par la suite, les autorités ont fait ériger une clôture de barbelés le long de la frontière avec la Serbie, puis de la frontière avec la Croatie, et créé à la hâte des « zones de transit », où s’applique une procédure d’asile extrêmement accélérée (dite « procédure à la frontière »). Dans le cadre de cette procédure, les demandes d’asile ne sont presque jamais examinées quant au fond. « Il y a des personnes dont la demande d’asile a été traitée en moins d’une journée et qui ont été renvoyées en Serbie directement depuis la zone de transit de Röszke », a indiqué le Commissaire, qui s’est rendu dans cette zone de transit lors de sa mission.
Le Commissaire note que le Gouvernement a instauré, en septembre 2015, un « état de crise causé par une migration massive », qui peut être décrété en réponse à un afflux de demandeurs d'asile dans le pays et durant lequel s’applique la « procédure à la frontière ». « Des mesures de crise ne sont plus nécessaires maintenant que le nombre de migrants qui arrivent en Hongrie est redevenu très faible. La nouvelle procédure à la frontière et les zones de transit doivent être remplacées par une procédure d’asile respectant pleinement les droits de l'homme », a estimé le Commissaire.
Autre initiative inquiétante : la Hongrie a criminalisé les migrants et les demandeurs d'asile en érigeant en infraction pénale le franchissement illégal de la clôture construite le long de la frontière et en instaurant une procédure pénale accélérée, spécialement applicable à ces infractions, qui est problématique du point de vue des normes relatives à un procès équitable. En outre, les dispositions pénales incriminant l’aide au franchissement d’une frontière risquent d’être appliquées aux bénévoles qui apportent une assistance humanitaire aux migrants, ce qui pourrait décourager les actes de solidarité. « Les migrants et les demandeurs d'asile ne sont pas des criminels et ne devraient jamais être traités comme tels », a rappelé le Commissaire, qui a demandé instamment aux autorités de retirer les dispositions établissant de nouvelles infractions pénales liées aux migrations.
Le Commissaire est également très préoccupé par le risque de refoulement vers la Serbie de demandeurs d'asile et de personnes transférées vers la Hongrie par d’autres Etats membres de l’UE en application du règlement de Dublin au motif que leurs demandes ne sont pas recevables. Ce risque est imputable au fait que le Gouvernement hongrois considère la Serbie comme un pays tiers sûr, bien que le HCR soit d’un avis contraire. En pratique, étant donné que la quasi-totalité des demandeurs d'asile arrivent en Hongrie via la Serbie, cela constitue un sérieux obstacle à la protection internationale et crée un risque réel de refoulement de demandeurs d'asile contraire aux exigences de la Convention européenne des droits de l'homme et de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.
Le recours accru à la détention administrative des demandeurs d'asile et des personnes renvoyées en application du règlement de Dublin pose aussi de graves problèmes. A la suite de sa visite du centre de détention administrative pour demandeurs d'asile de Debrecen, le Commissaire s’est déclaré vivement préoccupé par le risque d’arbitraire et l’absence de garantie de la qualité du contrôle juridictionnel des décisions de placer ou non en détention des personnes demandant une protection internationale. « Le recours à la détention administrative des demandeurs d’asile a de nouveau augmenté ces derniers mois, ce qui est particulièrement préoccupant car un régime de détention très restrictif est appliqué à ces personnes, qui devraient être traitées avec davantage d’humanité, et non pas comme si elles étaient des criminels », a déclaré le Commissaire. Il a jugé très inquiétante l’absence de système fiable permettant de repérer, parmi les demandeurs d’asile en détention administrative, les personnes vulnérables, telles que les victimes de la torture et de la traite des êtres humains ou les personnes souffrant de troubles post-traumatiques. Alors que les personnes vulnérables sont en principe exemptée de placement en détention administrative, le Commissaire a été frappé d’apprendre que des personnes qui étaient probablement mineures avaient été détenues à la suite d’une détermination de leur âge par des examens d’une fiabilité très discutable. Il a demandé instamment aux autorités d’améliorer les conditions de détention et d’établir un système rigoureux d’identification de tous les besoins spéciaux, de manière à éviter que des personnes vulnérables soient placées en détention administrative. Il a aussi appelé les autorités à veiller à ce que la légalité de la détention administrative des demandeurs d’asile fasse l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif, comme le prévoit la Convention européenne des droits de l’homme.
Enfin, le Commissaire a souligné qu’il était nécessaire de revenir sur les changements apportés récemment à la législation applicable aux migrants, aux réfugiés et aux demandeurs d’asile, mais qu’il fallait aussi que les membres du Gouvernement et les autres responsables politiques s’abstiennent de tenir un discours xénophobe rendant les migrants responsables des problèmes sociaux et de l’insécurité ; en effet, de tels propos compliquent encore plus l’intégration des quelques migrants qui s’installent en Hongrie. « Au lieu de tenir un discours susceptible d’alimenter le sentiment anti-migrants dans la population, le Gouvernement devrait établir un véritable programme d’intégration, qui permette aux migrants d’apprendre le hongrois et d’avoir accès à un logement, à un emploi et à d’autres droits sociaux. »