Plus de 20 ans après la première guerre liée au démantèlement de la Yougoslavie, toute la région continue de souffrir des séquelles laissées par les violences passées. Ainsi, 12 200 personnes sont toujours portées disparues, 423 000 réfugiés et déplacés ne peuvent toujours pas retourner chez eux, environ 20 000 personnes sont apatrides ou risquent de le devenir et au moins 20 000 femmes ayant subi des violences sexuelles pendant les conflits auraient besoin de davantage de soutien.
Toutes ces séquelles, auxquelles s’ajoute l’impunité des crimes commis en temps de guerre, entravent la réconciliation et mettent en péril la pleine jouissance des droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit.
Mesures pour éliminer l’impunité
Pour avancer vers la réconciliation, il est indispensable de traduire en justice ceux qui ont commis des crimes liés à la guerre, notamment des violences sexuelles. Justice doit être rendue, non seulement parce que les auteurs de violations doivent répondre de leurs actes, mais aussi parce qu’il est nécessaire d’accorder réparation aux victimes ; celles-ci souffrent aujourd’hui de ne pas être soutenues et de ne pas voir reconnu le préjudice qu’elles ont subi.
Grâce à l’action du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), de hauts responsables impliqués dans des crimes liés à la guerre ont pu être poursuivis et jugés. Cependant, les pays de la région doivent redoubler d’efforts pour continuer ce travail au niveau national. Il faudrait renforcer les systèmes judiciaires nationaux, y compris les dispositifs de protection des témoins, de manière à ce qu’ils fonctionnent plus efficacement.
Autre aspect fondamental : l’amnistie, qui conduit à l’impunité de violations graves des droits de l’homme, n’est pas acceptable, comme l’ont souligné le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe en 2011 et la Cour européenne des droits de l’homme en 2012, dans son arrêt Marguš c. Croatie.
De nombreuses personnes toujours portées disparues ou déplacées
Selon le Comité international de la Croix-Rouge, 12 200 personnes sont toujours portées disparues à la suite des conflits en ex-Yougoslavie. Les Etats de la région ont l’obligation tant morale que légale d’intensifier leurs efforts pour élucider ces cas, afin d’apaiser la souffrance de la famille et des amis des personnes disparues.
Cela suppose une coopération effective entre les pays de la région. Cette coopération a récemment donné des résultats notables : dans la ville croate de Zadar, les corps de civils serbes ont été exhumés d’un charnier et à Sotin (toujours en Croatie), ce sont des victimes civiles de l’occupation serbe qui ont été exhumées.
Le HCR estime à environ 423 000 le nombre de réfugiés et de déplacés dans la région. Il faut trouver des solutions pour ces personnes, notamment pour celles qui vivent dans des centres collectifs. Des mesures importantes ont été prises dans le cadre du Processus de Sarajevo, qui vise à trouver des solutions durables pour les réfugiés. De nouveaux logements sont en train d’être construits avec l’aide de la Banque de développement du Conseil de l’Europe.
Des solutions doivent aussi être trouvées pour les 20 000 personnes, dans ou de la région, qui sont apatrides ou risquent de le devenir, notamment des Roms.
L’accès à la vérité
La vérité est indispensable à la réconciliation. L’initiative RECOM, prise par des ONG dans le but d’établir la vérité sur les crimes de guerre et de diffuser ces informations, a permis aux peuples de la région de mieux comprendre l’importance du processus de réconciliation. Pendant les dernières années du mandat du TPIY, des efforts considérables seront consacrés au programme de sensibilisation du Tribunal, qui vise à mieux faire connaître la justice transitionnelle aux citoyens des pays de la région, notamment aux jeunes. D’aucuns ont déclaré craindre que ce processus n’intervienne trop tard et que les populations de la région n’éprouvent un sentiment d’injustice, suscité par certains aspects de l’activité du TPIY. Il est essentiel que ces craintes puissent être exprimées et débattues ouvertement dans le cadre du programme de sensibilisation du Tribunal.
Les systèmes éducatifs des pays de la région jouent un rôle central à cet égard. Toutefois, l’éducation est soumise à des clivages ethniques dans les Balkans, ce qui entrave beaucoup la réconciliation. Le projet régional du Conseil de l’Europe intitulé Education inclusive – droits de l’homme, groupes vulnérables et minorités peut contribuer à lever cet obstacle.
Dialogue et coopération dans la région
Récemment, des progrès majeurs ont été faits sur la voie du dialogue et de la réconciliation entre les pays de la région. Ainsi, en avril dernier, le Président serbe, Tomislav Nikolić, a présenté des excuses sans équivoque pour les crimes perpétrés par les forces serbes à Srebrenica, en déclarant : « Je me mets à genoux et demande pardon au nom de mon peuple pour le massacre commis à Srebrenica. »
De plus, en janvier dernier, la Bosnie-Herzégovine a signé un protocole avec la Serbie sur la coopération en matière de poursuites pour crimes de guerre ; en avril, le Kosovo et la Serbie ont signé un accord politique sur le nord du Kosovo.
Une responsabilité commune
La confrontation avec le passé compte parmi les grands défis que doivent relever les sociétés qui sortent d’un conflit. Des progrès importants ont été enregistrés, mais il reste beaucoup à faire. La réconciliation dans les Balkans doit passer par la justice, c’est-à-dire que les crimes liés à la guerre doivent faire l’objet d’enquêtes et de poursuites effectives et que toutes les victimes de la guerre doivent obtenir une réparation adéquate. Cela ne peut plus attendre – il appartient aux gouvernements d’intensifier leurs efforts.
Nils Muižnieks
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