Les enquêtes réalisées par le biais d’entretiens montrent qu’il existe un sentiment croissant d’amertume et d’exclusion parmi les musulmans européens. En Autriche, une femme citée par l’EUMC s’exprimait dans les termes suivants :
« Nous sommes confrontés à l’islamophobie dans notre vie quotidienne : ce sont de petits incidents, des choses insignifiantes. Par exemple, quelqu’un fait des plaisanteries ou échange des observations avec son voisin, mais à haute voix, pour que nous soyons obligés de les entendre : « Oh ! quelqu’un qui porte le voile n’a pas sa place dans ce pays ». Ou alors, c’est quelqu’un qui promène son chien et qui lui dit en désignant un musulman : « attrape-le » ou « mords-le ». « On essaie de ne pas se laisser atteindre par ce type de choses mais, à force, ça nous épuise ».
Malheureusement, il semble que ce type de harcèlement soit très largement répandu. Lors de mes missions, j’ai entendu parler de tendances similaires au cours des tout derniers mois. Les organisations non gouvernementales ont également signalé plusieurs incidents graves, à connotation raciste, dont des musulmans ont fait l’objet et qui vont des simples menaces verbales aux agressions physiques sur les personnes ou aux atteintes aux biens.
L’islamophobie n’est assurément pas un phénomène nouveau en Europe. Je n’en veux pour preuve que les difficultés rencontrées par de nombreuses communautés musulmanes lorsqu’elles ont tenté d’obtenir des permis de construire pour ériger leurs mosquées.
Cela dit, il ne fait aucun doute que la « guerre au terrorisme » inspirée par les Etats-Unis a considérablement aggravé la situation des musulmans en Europe également, ainsi qu’il apparaît à la lecture des rapports de suivi élaborés par l’ECRI dans les pays qu’elle visite. La lutte à outrance contre le terrorisme a été à l’origine d’un style de discours politique empreint de racisme et de xénophobie et, notamment, de sentiments hostiles à l’égard des musulmans. Par ailleurs, les interventions de la police – et surtout les contrôles d’identité répétés et les perquisitions – ont visé, dans une large mesure, des musulmans ou des personnes dont l’aspect pouvait laisser penser qu’elles étaient originaires de pays musulmans ou d’Asie du sud.
Ce comportement, à son tour, a été interprété par certains extrémistes de droite comme un encouragement à leur propagande xénophobe tandis que, dans le même temps, les musulmans se sentaient un peu plus « victimisés ». Cet effet collatéral de la politique de lutte contre le terrorisme doit être corrigé en priorité.
Le récent rapport de l’EUMC a mis l’accent sur la situation dans les Etats membres de l’Union européenne et a tenté d’apprécier les aspects davantage structuraux de la discrimination. Il concluait que de nombreux musulmans faisaient l’objet d’une inégalité de traitement dans les pays de l’Union européenne, que ce soit du point de vue de l’emploi, de l’éducation ou du logement. Ce sont plus particulièrement les jeunes musulmans qui sont confrontés à des obstacles majeurs pour gravir l’échelle sociale.
• Les tests effectués pour évaluer les inégalités de traitement au Royaume-Uni et en France ont montré que les personnes qui portent des patronymes à consonance musulmane ou qui sont originaires de pays où les musulmans sont majoritaires ont beaucoup moins de chance d’être convoquées pour un entretien d’embauche. Le taux de chômage parmi les musulmans dans plusieurs pays de l’Union européenne est très significativement supérieur à celui des personnes qui pratiquent d’autres religions.
• Les statistiques disponibles montrent que les musulmans sont également défavorisés par le système éducatif ; les résultats scolaires des élèves musulmans sont moins bons que ceux constatés pour les autres groupes. Ce phénomène peut s’expliquer en partie par des facteurs autres que ceux qui touchent à la religion – le chômage, la pauvreté, la langue ou le statut d’immigré, par exemple – mais il contribue très nettement à la persistance du cercle vicieux dans lequel s’inscrit la marginalisation sociale.
• Le logement est un autre problème. Les migrants – y compris ceux en provenance de pays où les musulmans sont majoritaires – occupent généralement des logements plus pauvres et moins sûrs que d’autres segments de la population. Et ce phénomène, à son tour, a une incidence sur l’éducation et les possibilités d’embauche.
Ces tendances à la discrimination existent également dans certains des pays européens qui ne font pas partie de l’Union. A cet égard, je me souviens que, récemment, j’ai visité à Kiev la mosquée d’une communauté à qui les autorités avaient refusé l’autorisation de construire un minaret, au motif que les habitants du voisinage auraient pu avoir une réaction négative. En outre, les sentiments négatifs qui se manifestent à l'égard des Caucasiens dans certaines parties de la Russie prend la forme d'un dangereux mélange de préjudices ethniques et religieux.
Les manifestations de l’islamophobie au sein des sociétés européennes ont pris la forme de préjugés tenaces, d’inégalités de traitement et, parfois, de phénomènes violents. Dans ses divers rapports, l’ECRI a également regretté l’inexactitude de l’image donnée de l’islam et dont les stéréotypes hostiles font paraître cette religion comme une menace.
Dans la plupart des pays, il existe maintenant des lois contre la discrimination ainsi que des procédures pour le dépôt des plaintes. Pour autant, il n’est pas toujours facile aux membres des groupes minoritaires de revendiquer leurs droits en cas de discrimination. Il est donc nécessaire de soutenir les initiatives prises à cet égard.
Au Royaume-Uni, la coopération entre le London Metropolitan Police Service et des groupes non gouvernementaux – dont le Forum contre l’islamophobie et le racisme (FAIR) – est une initiative de cette nature. Ce projet vise à lutter contre les crimes dont les musulmans font l’objet, à accorder une aide aux victimes et à renforcer la capacité des forces de police à contrôler l’islamophobie.
Pour mieux s’attaquer aux préjugés sur un front élargi, il conviendrait que les systèmes éducatifs proposent une connaissance davantage factuelle de l’islam (et des autres religions). A plusieurs reprises, lors des séminaires du Conseil de l’Europe organisés avec la participation de dignitaires religieux, l’accent a été mis sur l’importance d’un enseignement axé sur les religions « des autres ».
Le Luxembourg fournit un excellent exemple d’une telle pratique puisque un cours spécial est donné aux élèves de dernière année, qui porte sur le dialogue entre les croyants et sur les valeurs humaines véhiculées par les différentes religions. Tel est l’esprit dans lequel d’autres efforts doivent encore être faits pour mettre fin à l’islamophobie.
Thomas Hammarberg