Ces dernières années, l’Europe a perdu plusieurs grands journalistes d’investigation, victimes de meurtres odieux : Hrant Dink en Turquie, Guéorgui Gongadzé en Ukraine et Elmar Huseynov en Azerbaïdjan. Le 7 octobre 2011, cela fera cinq ans qu’Anna Politkovskaïa a été tuée en Russie. Il faut à tout prix arrêter et traduire en justice les auteurs de ces meurtres, mais aussi leurs commanditaires.
Il y a malheureusement bien d’autres cas de violence dirigée contre des journalistes. Depuis 1992, plus d'une centaine de journalistes ont en effet été tués dans les Etats membres du Conseil de l'Europe à cause de leurs activités professionnelles. Et ils sont beaucoup plus nombreux encore à avoir été agressés ou menacés.
L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui a recensé près de 30 meurtres de journalistes commis en Europe depuis 2007, a constaté qu’il n’y avait guère que dans un cas sur 10 que des suspects avaient été arrêtés et que les poursuites avaient abouti. Ces chiffres mettent sérieusement en doute l’efficacité des services répressifs et du système judiciaire. Les droits de l'homme sont bafoués lorsque les autorités tolèrent que des meurtriers restent impunis.
Une composante essentielle de la démocratie
Des médias libres, indépendants et pluralistes, bénéficiant de la liberté d’information et d’expression, sont indispensables au bon fonctionnement de la démocratie. La liberté des médias est également essentielle à la protection de tous les autres droits de l’homme. Ainsi, ce sont des journalistes d'investigation qui ont révélé bien des cas d’abus de pouvoir, de corruption, de discrimination et même de torture.
Le journaliste n’a pas pour vocation de plaire aux puissants ni de se faire le porte-parole du gouvernement. Son rôle essentiel est celui d’observateur critique de la vie publique.
Une forme de censure
Des menaces dirigées contre un journaliste peuvent avoir pour effet dévastateur de réduire beaucoup de ses confrères au silence. La menace de violence est donc devenue une forme de censure.
C’est également le cas des lois restrictives et des autres méthodes de contrôle des médias. Par exemple, la diffamation reste une infraction pénale dans plusieurs pays d’Europe et des journalistes peuvent être emprisonnés pour avoir diffusé certaines informations. Ces infractions devraient être dépénalisées et traitées par des juridictions civiles, de manière proportionnée.
Les gouvernements doivent assurer la sécurité des journalistes
Les pouvoirs publics, la société civile et la communauté internationale, ainsi que les propriétaires de médias et les organisations de journalistes, doivent tous contribuer à la sécurité des journalistes dans le cadre de leurs missions respectives : de l’application des lois et de l’éducation à la déontologie et à l’autorégulation, en passant par le suivi et l’élaboration de normes universelles.
Cette question doit être considérée comme prioritaire par tous les acteurs de la justice :
• c’est principalement aux services répressifs et aux autorités judiciaires qu’il incombe de faire en sorte que des enquêtes soient menées avec diligence et efficacité sur les meurtres et les autres crimes violents commis à l’encontre de journalistes ;
• les gouvernements et les parlements doivent veiller à ce que les procureurs et les enquêteurs soient indépendants, formés et aptes à exercer leurs fonctions, et à ce qu’aucune ingérence politique ne les empêche de faire leur travail dans les affaires sensibles ;
• les juges et les procureurs doivent être conscients de l’importance de traduire en justice quiconque est responsable d’actes de violence à l’encontre de journalistes. Si les vrais coupables ne sont pas poursuivis, jugés et punis, ils risquent fort de continuer à planifier et à commanditer des assassinats de journalistes.
Le droit pour les journalistes de faire leur travail dans des conditions de sécurité satisfaisantes, sans craindre d’être harcelés, agressés, battus ou tués, est un sujet d’une importance capitale pour la liberté de la presse et la liberté d’expression en Europe aujourd’hui.
Thomas Hammarberg
Pour en savoir plus : Document de discussion thématique sur la protection des journalistes contre la violence (anglais uniquement)
Lien vers la vidéo de la Discussion ouverte : La protection des journalistes en Europe en version originale, en anglais et en français
Intervenants : Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe ; Dunja Mijatović, représentante de l'OSCE pour la liberté des médias ; Sergueï Sokolov, rédacteur adjoint du journal Novaïa Gazeta.