La crise des réfugiés syriens, une des plus graves que le monde ait connues récemment, a lieu aux portes de l’Europe, mais elle se heurte à l’indifférence de la plupart des gouvernements européens. La Syrie compte près de 4 millions de personnes déplacées, et quelque 3 millions de Syriens ont quitté le pays depuis le début du conflit. La grande majorité des réfugiés bénéficient de l’hospitalité des pays voisins, dont la Turquie, qui supportent le fardeau de cette crise humanitaire. Pour ce qui est du reste de l’Europe, les réactions se sont limitées jusqu’à présent à apporter une aide humanitaire à certains de ces pays. Mais quand il s’agit de recevoir des réfugiés, l’Europe se montre beaucoup moins généreuse et, souvent, peu empressée de respecter ses obligations en matière de droits de l’homme.
J’ai constaté personnellement l’étendue de la crise et les multiples problèmes qu’elle pose à l’Europe au cours de la dernière semaine que j’ai passée à visiter les camps et centres de réfugiés syriens en Turquie, en Bulgarie et en Allemagne. Plus de la moitié des réfugiés qui fuient la Syrie sont des enfants, dont la majorité est âgée de moins de 12 ans. Plusieurs milliers d’entre eux sont non accompagnés ou isolés ; souvent, ils ne sont pas enregistrés et risquent de devenir apatrides. On estime que, sur plus du million d’enfants en âge scolaire réfugiés dans les pays voisins de la Syrie, plus de la moitié se voient privés de leur droit à l’éducation. Bien qu’ils soient nombreux à vouloir étudier, la pénurie de ressources les empêche d’entamer ou de reprendre une scolarité.
On estime en revanche qu’un enfant sur dix travaille. Des enfants qui ont à peine atteint l’âge de scolarisation passent leurs jours dans les rues à chercher du travail ; ils finissent par être exploités dans des travaux qui les exposent souvent à des conditions dangereuses. Ils mettent un terme soudain à leur enfance et endossent la lourde responsabilité d’être les soutiens de leurs familles.
Ce n’est pas une fatalité. Il est réconfortant de voir combien les enfants peuvent rapidement s’épanouir à nouveau, même en exil, pour peu qu’on leur en donne l’occasion ou que l’on respecte leurs droits. Je l’ai constaté en Turquie où un enseignement est dispensé à plus de 45 000 enfants dans les 21 camps de réfugiés mis en place par les pouvoirs publics, même si l’accès à l’éducation en dehors des camps reste difficile.
L’Europe n’est pas à la hauteur de la situation
En dépit de l’ampleur et de la proximité de cette tragédie humaine, la Turquie est le seul pays à avoir ouvert largement les bras aux Syriens dans le besoin, ayant reçu à elle seule un million de réfugiés selon les estimations. Ce chiffre est au moins dix fois supérieur au nombre de Syriens accueillis au total dans les 46 autres pays du Conseil de l’Europe. L’Allemagne, la Suède et l’Arménie ont, elles aussi, pris des mesures pour recevoir des réfugiés syriens par le biais de l’admission humanitaire et ont facilité le regroupement familial.
Pour autant, ces programmes n’offrent que quelques milliers de places (quelque 15 000 places en tout pour la réinstallation), ce qui a amené certains Syriens à chercher un lieu sûr en Europe par leurs propres moyens. Mais ils se sont heurtés à des mesures comme le durcissement des critères en matière de visa et de regroupement familial. Pire encore, on signale de plus en plus souvent que des Syriens cherchant refuge ont été non officiellement rapatriés, et littéralement refoulés hors des frontières de certains pays européens qu’ils ont tenté de rejoindre et, dans certains cas, qu’ils ont été gravement maltraités pendant ces opérations.
J’ai malheureusement aussi vu des Syriens qui, ayant réussi à rejoindre le territoire de certains Etats membres pour y demander l’asile, ont été placés en rétention ou soumis à des conditions de vie déplorables, voire dégradantes.
La réponse : solidarité et respect des droits de l’homme
Les pays européens doivent aider tous les Syriens qui ont besoin d’aide et de protection internationale. Ils doivent répondre avec générosité aux appels du HCR, non seulement pour apporter une aide financière mais aussi pour faire venir les réfugiés des pays limitrophes de la Syrie sur leur propre territoire. Ils doivent s’acquitter pleinement de leurs obligations en matière de droits de l’homme et de droit d’asile, notamment celles découlant de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Convention des Nations Unies sur les réfugiés. Ils devraient au moins :
- garder leurs frontières ouvertes pour permettre aux réfugiés syriens d’accéder à leur territoire afin d’y demander et d’y obtenir l’asile, notamment en accordant des visas humanitaires ;
- cesser immédiatement toutes les expulsions de Syriens hors de leurs frontières ou d’autres pratiques contraires au principe du non‑refoulement ;
- adopter un moratoire officiel sur le retour des réfugiés syriens en Syrie ;
- s’abstenir de renvoyer les réfugiés syriens dans les pays voisins de la Syrie, pour ne pas ajouter aux problèmes auxquels sont confrontés leurs gouvernements et leurs collectivités territoriales ;
- s’abstenir d’appliquer le « règlement de Dublin » pour renvoyer les réfugiés syriens dans d’autres pays européens dont les systèmes d’asile sont déjà surchargés, en particulier la Bulgarie, la Grèce, l’Italie et Malte ;
- veiller à ce que les Syriens qui ont obtenu le statut de réfugiés, ainsi que ceux bénéficiaires d’autres formes de protection internationale, aient les moyens de s’intégrer dans leurs communautés d’accueil.
Enfin, les pays européens doivent être à la hauteur de leurs responsabilités pour aider les enfants syriens à retrouver leur enfance et à construire leur avenir. Chaque jour sans aide et sans droit est un jour volé à leur vie et à l’humanité toute entière.
Nils Muižnieks