Retour Le Sénat français devrait modifier la proposition de loi relative à la sécurité globale pour en assurer la compatibilité avec les droits de l’homme

Lettre
Le Sénat français devrait modifier la proposition de loi relative à la sécurité globale pour en assurer la compatibilité avec les droits de l’homme

Dans une lettre adressée au Président et aux membres de la commission des lois du Sénat français, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, exhorte les sénateurs à amender de manière substantielle la proposition de loi relative à la sécurité globale, afin de la rendre plus respectueuse des droits de l’homme.

La Commissaire invite ainsi les sénateurs à supprimer l’interdiction, érigée par l’article 24 de la proposition de loi, de diffuser, dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un membre des forces de l’ordre agissant dans le cadre d’une opération de police. « Cette interdiction constitue une atteinte au droit à la liberté d’expression, laquelle inclut la liberté d’informer, et elle est de nature à aggraver la crise de confiance entre une partie de la population et une partie des forces de l’ordre, ce qui ne saurait concourir à la protection de ces dernières », souligne la Commissaire. Elle rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu le rôle crucial des médias dans l'information sur la gestion des manifestations publiques par les autorités et estime que l’atteinte portée par l’article 24 à la liberté d’informer semble d’autant moins justifiée que la protection de l’intégrité des membres des forces de l’ordre est déjà assurée par des nombreuses dispositions du droit en vigueur.

La Commissaire recommande également de renforcer la protection du droit à la vie privée. Ceci implique de délimiter plus strictement les conditions d’accès aux images de vidéosurveillance de la voie publique et de certains espaces privés énoncées aux articles 20 à 20 ter de la proposition de loi.

Ceci requiert, de plus, une meilleure définition du cadre juridique présidant à l’utilisation des « caméras piéton ». La Commissaire Mijatović note que la possibilité, introduite par la proposition de loi, de recourir à ces caméras aux fins « d’information du public sur les circonstances des interventions » ne semble pas tant destinée à accroître la transparence qu’à permettre aux policiers et gendarmes de répliquer devant l’opinion publique à des images diffusées par des tiers. « Ceci ne m’apparaît pas constituer un but légitime justifiant une ingérence dans le droit à la vie privée des personnes filmées », écrit la Commissaire. Elle invite, en outre, la commission des lois du Sénat à préciser les conditions et modalités d’accès direct aux images par les personnes ayant procédé à leur enregistrement, de manière à garantir l’intégrité effective des enregistrements et à assurer le respect du droit à la vie privée, y compris la protection des données personnelles des personnes filmées.

La Commissaire recommande également de renforcer les garanties des droits de l’homme et des libertés fondamentales des personnes soumises à la surveillance opérée par les caméras aéroportées, ou « drones ». Elle invite la commission des lois à définir plus strictement les motifs de recours à cette technologie, à améliorer les modalités d’information des personnes visées et à veiller à ce que les conditions d’enregistrement, de traitement et de conservation des images soient conformes aux normes internationales en matière de protection de la vie privée, des données à caractère personnel, ainsi que de la liberté de réunion pacifique. « L’utilisation de l’enregistrement d’images à des fins d’identification, y compris au moyen de logiciels de reconnaissance faciale, devrait être limitée aux circonstances dans lesquelles des infractions pénales sont effectivement commises ou dans lesquelles il existe un soupçon raisonnable de comportement criminel imminent », rappelle la Commissaire.

Par ailleurs, la Commissaire estime que la modification des conditions d’accès aux fonctions de sécurité privée, l’accroissement des compétences des agents privés de sécurité, ainsi que la faculté offerte à certaines communes d’expérimenter l’élargissement du domaine d’intervention de leur police municipale requièrent des précisions. Elle invite les sénateurs à accroître la lisibilité du cadre juridique proposé et à exclure tout risque de discrimination, en tenant pleinement compte des avis formulés par les structures nationales des droits de l’homme à cet égard. 

« Resserrer les liens entre les forces de l’ordre et la population implique d’améliorer la protection effective et harmonieuse des droits des unes et de l’autre. Il ne fait aucun doute que les opérations des forces de l’ordre peuvent s’avérer complexes et sont parfois menées dans un contexte de violence. A cet égard, comme je l’avais indiqué dans mon Mémorandum de février 2019 sur le maintien de l’ordre et la liberté de réunion dans le contexte du mouvement des « gilets jaunes », j’estime primordial d’éviter, autant que possible, de placer les forces de l’ordre dans des situations de tension extrême et d’assurer le respect effectif des droits économiques et sociaux de leurs membres, qui est à la fois une obligation à l’égard de ces derniers et un facteur important de diminution des risques d’abus et d’usage excessif de la force, contre lesquels il est impératif de lutter », conclut la Commissaire Mijatović.

Strasbourg 18/12/2020
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