Le président sortant Dmitri Medvedev a donné pour instruction au procureur général de Russie de vérifier la légalité de la condamnation de Mikhaïl Khodorkovski, l’ancien dirigeant de la société pétrolière Ioukos. Les affaires dans lesquelles sont coaccusés Platon Lebedev et 30 autres personnes devraient également être examinées. Bien que le délai fixé pour cet examen soit extrêmement court, cette initiative pourrait ouvrir la voie à un débat sur les procès politisés, attendu depuis longtemps.
Le carnet des droits humains de la Commissaire
Le carnet des droits de l'homme
Khodorkovski aurait pu à présent bénéficier d’une libération conditionnelle suite à sa condamnation initiale en 2005 pour évasion fiscale. Il a cependant été jugé une nouvelle fois en 2010 pour de nouveaux chefs d’accusation et condamné à une peine supplémentaire de six ans d’emprisonnement. Les milieux de défense des droits de l’homme, en Russie et à l’étranger, s’interrogent très sérieusement sur la durée de cette peine et sur l’équité du procès lui-même, c’est-à-dire sur le fait de savoir si la culpabilité de Khodorkovski était démontrée et s’il s'agissait d’un autre procès intenté pour les mêmes raisons.
Le fait que le Premier ministre de l’époque, Vladimir Poutine, n’ait pas fait mystère de ses opinions négatives à l’égard de Khodorkovski au moment du procès soulève d’autres interrogations. Il avait en effet publiquement déclaré que « la place d'un voleur est en prison », faisant ainsi clairement référence à la procédure engagée à l’encontre de l’ancien président de Ioukos.
De telles interventions politiques, sous cette forme ou sous une autre, ne sont pas exceptionnelles. Dans un rapport récemment consacré au système judiciaire en Ukraine, j’ai été amené à conclure que les juges de ce pays n’étaient toujours pas protégés contre les pressions extérieures, notamment de nature politique. Le rapport invitait instamment les autorités à examiner toute allégation d’influence indue ou d’ingérence, politique ou autre, dans le travail des institutions judiciaires, et garantir des recours effectifs.
La détention et les procès intentés contre d’anciens responsables gouvernementaux en Ukraine, parmi lesquels Ioulia Timochenko, Valeriy Ivachtchenko et Iouri Loutsenko, ont suscité de vives inquiétudes au sujet de l’équité et de l’impartialité des procédures dont ils ont fait l’objet.
Le problème généralisé des pressions politiques indues
Les pressions s’exercent également sur les juges de manière plus discrète. J’ai été informé d’un certain nombre de cas de « justice téléphonée », c'est-à-dire de situations dans lesquelles les cabinets de responsables gouvernementaux avaient secrètement contacté des juges pour leur indiquer comment ils devaient statuer dans des affaires sensibles.
Les instructions directes sont parfois inutiles, car les juges savent par avance ce que l’on attend d’eux. Ils sont informés des conséquences que leur refus de répondre à ces attentes aurait sur leur carrière.
Ces pratiques ne sont pas faciles à mettre en évidence dans les rapports habituellement consacrés aux droits de l’homme. J’ai personnellement eu connaissance de ces phénomènes au travers de conversations confidentielles, notamment avec des juges en poste ou à la retraite de plusieurs pays. J’ai ainsi acquis la conviction qu’il s’agissait là d’un problème grave et largement répandu.
L’exercice d’une influence politique indue sur les juges et leur manque d’indépendance se ressentent de manière particulièrement aiguë dans les pays « en transition » d’Europe centrale et orientale, où les juges étaient censés, à l’époque communiste, défendre les intérêts du régime politique et où ces habitudes perdurent plus qu’on le souhaiterait. J’ai cependant constaté que le principe de l’indépendance de la justice n’était pas systématiquement respecté même dans d’autres pays européens.
La protection de l’indépendance de la justice s’impose
L’indépendance des juges devrait être consacrée dans la Constitution ou au niveau juridique le plus élevé possible. Les dispositions structurelles prévues par ces lois fondamentales devraient attester de l’existence d’une nette séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Il incombe bien entendu aux autorités gouvernementales et parlementaires de mettre sur pied un système judiciaire efficace, régi par le droit, mais il importe qu’elles s’abstiennent de toute ingérence dans les affaires individuelles dont la justice est saisie.
De fait, il est indispensable que les gouvernements prennent des mesures proactives pour préserver le pouvoir judiciaire de toute ingérence indue. C’est ce que j’ai recommandé aux autorités géorgiennes dans un rapport publié l’an dernier. Il est nécessaire de prendre certaines mesures dans ce pays afin de protéger effectivement l’indépendance de chaque juge. Le rôle dominant du procureur dans le système judiciaire pénal pose à cet égard problème, dans ce pays comme dans beaucoup d’autres.
Les atteintes à l’indépendance et à l’impartialité de la justice ont également compromis la crédibilité du système judiciaire en Turquie. La réforme qui y est en cours doit se faire en profondeur et modifier l’attitude - tournée vers le pouvoir - de certains juges et procureurs.
Les juges ne devraient pas redouter les conséquences de leurs décisions
Nous avons constaté à quel point les procédures de nomination et de promotion des juges sont essentielles pour garantir l’indépendance de la justice. Aussi une mesure rétrograde récemment prise en Hongrie est-elle particulièrement préoccupante : le Parlement a en effet adopté une procédure qui confie ces décisions à une seule personne, dont la nomination revêt un caractère politique.
Il importe que la nomination et la promotion des juges reposent sur une structure indépendante et impartiale et qu’elles aient cette réputation d’indépendance et d’impartialité. Les décisions prises en la matière doivent se fonder sur des critères objectifs, qui privilégient la valeur et les qualifications professionnelles des intéressés.
Un autre principe est ici essentiel : les juges doivent être inamovibles jusqu'à l’âge de la retraite obligatoire et, plus capital encore, ils ne doivent pas craindre d’être révoqués pour avoir statué dans un sens qui pourrait déplaire à ceux qui sont au pouvoir.
Les responsables politiques doivent admettre que l’enceinte d’un tribunal n’est pas une arène politique.
Thomas Hammarberg
Strasbourg
20/03/2012
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