La nationalité est le « droit d’avoir des droits ». L’absence de nationalité va de pair non seulement avec l’absence de droits politiques mais aussi souvent avec celle de droits économiques et sociaux. Au niveau symbolique, la nationalité signifie être membre à part entière d’une communauté nationale, et même de la communauté des hommes.
Des centaines de milliers de personnes en Europe n’ont pas de nationalité. Le temps n’efface pas l’apatridie qui se transmet de génération en génération. Les Etats devraient agir avec plus de détermination pour rompre ce cycle en prenant des mesures propres à mettre fin à l’apatridie, en particulier parmi les enfants.
Il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’avoir une nationalité
L’Europe ne devrait compter aucun enfant apatride. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, que tous les Etats membres du Conseil de l’Europe ont ratifiée, dispose que tout enfant a droit à une nationalité. Le principe général de la Convention est le suivant : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants […] l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Il est à l’évidence dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’avoir une nationalité à la naissance.
Si les enfants sont vulnérables, les plus pauvres et exclus – minorités, personnes déplacées, réfugiés, orphelins et personnes analphabètes – sont le plus menacés par l’apatridie. Celle-ci expose les enfants à de graves violations des droits de l’homme : traite, exploitation sexuelle et exploitation du travail ainsi qu’adoption illégale. En d’autres termes, les enfants apatrides sont confrontés à des formes multiples de marginalisation qui se renforcent mutuellement.
Les enfants apatrides sont omniprésents en Europe
Les origines de l’apatridie en Europe sont diverses. Dans certains cas, l’apatridie découle de lois sur la nationalité contradictoires et de migrations. Dans d’autres, elle est une conséquence de la succession d’Etat ou du rétablissement d’Etat. De nombreux Roms ont du mal à prouver ou à acquérir une nationalité, faute de papiers d’identité personnels, en particulier de certificats de naissance.
Si les données ventilées par âge sont rares, le HCR estime que les Etats qui ont succédé à l’ancienne Yougoslavie comptent environ 22 000 personnes apatrides. Dans ces pays, 22 000 à 50 000 personnes supplémentaires risquent de le devenir, ce qui signifie souvent qu’elles n’ont pas de papiers d’identité. Si certaines sont originaires d’anciennes républiques yougoslaves, la plupart sont des Roms, des Ashkali et des Egyptiens locaux. Les ONG estiment que ces vingt dernières années, environ 15 000 Roms apatrides de l’ex‑Yougoslavie se sont installés en Italie sans avoir la nationalité de ce pays ni d’aucun autre.
De nombreux enfants apatrides vivent aussi en Lettonie et en Estonie. La législation lettone accorde un statut spécial à 304 000 « non‑ressortissants » tandis que l’Estonie enregistre quelque 92 000 « étrangers » ou « personnes de nationalité non déterminée ». Parmi celles‑ci, on comptait à la fin de 2011 environ 1 500 enfants apatrides de moins de 15 ans en Estonie et approximativement 9 000 en Lettonie. Si les parents ont le droit de faire enregistrer ces enfants comme citoyens, beaucoup ne le font pas, soit parce qu’ils ne savent pas que cette possibilité existe, soit parce qu’ils sont à ce point marginalisés qu’ils choisissent de laisser leurs enfants apatrides. Les gouvernements estonien et letton n’ont rien fait pour mettre fin à cette situation, permettant aux parents de choisir un statut qui n’est pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
La Russie et l’Ukraine sont deux autres pays européens qui comptent un nombre important de personnes apatrides : les principaux groupes à risque comprennent des Roms et des personnes appartenant à des minorités qui ont été déportées sous Staline. D’après un recensement récent, le nombre de personnes s’étant déclarées apatrides en Fédération de Russie est de 178 000. En Ukraine, il serait d’environ 40 000, ce qui comprend près de 7 000 personnes anciennement déportées qui sont revenues en Crimée.
Ce que les Etats devraient faire
Les Etats devraient multiplier les contacts avec les groupes vulnérables comme les Roms et s’assurer que tous les enfants sont déclarés à l’état civil immédiatement à la naissance. Ils devraient accorder automatiquement la nationalité à la naissance aux enfants nés sur leur territoire qui, autrement, seraient apatrides sans laisser aux parents la possibilité de choisir une option qui à l’évidence n’est pas dans l’intérêt de l’enfant. Ils devraient aussi mettre en place des procédures administratives efficaces et accessibles pour que toute personne acquière une nationalité, en accordant un accès prioritaire aux enfants et à leurs tuteurs. Les ONG et les ordres des avocats qui donnent des conseils et offrent une aide juridictionnelle gratuite peuvent jouer un rôle essentiel en la matière.
Pour être efficace, une politique doit reposer sur des données fiables. Les Etats devraient réunir, périodiquement, des données ventilées sur les cas d’apatridie. Ils devraient aussi coopérer plus efficacement pour résoudre ces cas dans les régions touchées par une succession d’Etat, comme l’ex‑Yougoslavie où les personnes doivent avoir accès à des documents de différents pays pour établir leur nationalité. Pour finir, ils devraient adhérer aux conventions internationales applicables en matière d’apatridie (Conventions des Nations Unies de 1954 et de 1961 et Conventions du Conseil de l’Europe de 1997 et de 2006).
Les gouvernements devraient cesser de rejeter la faute sur l’histoire, les autres Etats ou des « parents irresponsables », mais s’attacher à traiter le problème de l’apatridie et à accorder un degré de priorité élevé à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Nils Muižnieks