Les défenseurs des droits de l'homme et les organisations de la société civile qui œuvrent à la protection des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes jouent un rôle essentiel en Europe. En effet, ils apportent aux victimes de la violence fondée sur le genre l’aide dont elles ont grand besoin, combattent la discrimination à l’égard des femmes, contribuent à la consolidation de la paix et demandent aux autorités de rendre des comptes sur le respect de leurs obligations en matière de droits de l'homme. Malheureusement, comme je l’ai appris lors d’une table ronde avec un groupe de défenseurs des droits des femmes organisée en juillet à Vilnius, ces militants rencontrent aussi de sérieux obstacles dans leur travail.
Multiples défis en tant que défenseurs des droits de l'homme et promoteurs des droits des femmes
La situation et l’environnement de travail des défenseurs des droits des femmes, comme d’autres militants des droits de l'homme, sont affectés par plusieurs tendances négatives dans la région du Conseil de l’Europe. Ainsi, la législation restrictive et les pratiques répressives dont la société civile fait l’objet en Azerbaïdjan, en Fédération de Russie et au Bélarus ont aussi des répercussions sur les personnes qui œuvrent pour protéger les droits des femmes et promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes. En Hongrie, plusieurs organisations de défense des droits des femmes figuraient parmi les bénéficiaires du Fonds civil norvégien (dit « Fonds ONG ») et ont fait l’objet de campagnes de dénigrement, d’audits et d’inspections.
De plus, les défenseurs des droits des femmes se heurtent à des obstacles particuliers lorsqu’ils remettent en question des valeurs patriarcales, des stéréotypes sexistes et la répartition traditionnelle des rôles entre les hommes et les femmes. Ils peuvent être présentés comme des destructeurs des valeurs familiales et des traditions nationales ou comme des agents de ce qui a été appelé péjorativement « l’idéologie du genre ». J’ai soulevé ce problème dans mon dernier rapport sur l’Arménie, où des personnes et des organisations défendant les droits des femmes ont été la cible d’attaques violentes en 2013 lors du débat et de l’adoption de la loi sur l’égalité des droits et l’égalité des chances pour les femmes et les hommes.
Les défenseurs des droits des femmes rencontrent bien d’autres obstacles encore : intimidations, pressions, menaces, attaques, diffamation, cyberattaques et sabotage de services d’assistance téléphonique destinés aux victimes. Ceux qui travaillent sur les droits sexuels et reproductifs ou qui défendent les droits des femmes victimes de violence domestique ont souvent été particulièrement visés. Par exemple, en Irlande, des défenseurs travaillant sur la question de l’avortement ont fait l’objet de stigmatisation et d’une campagne de dénigrement. Dans de nombreux pays, les instigateurs de ces attaques appartiennent à des mouvements ultraconservateurs, à des groupes d’extrême droite ou religieux extrémistes. L’’impunité de ces actes reste un problème préoccupant. Bien trop souvent, les autorités manquent à leur devoir de protection des défenseurs de droits de l’homme, qui implique que des enquêtes effectives soient menées sur ces violations et à ce que les responsables soient dûment sanctionnés.
La plupart des défenseurs des droits des femmes sont des femmes. Ces militantes sont particulièrement exposées au risque de violence fondée sur le genre, de viol et d’autres formes de violence sexuelle, de harcèlement et d’injures, ainsi que d’atteintes à leur réputation, en ligne et hors ligne. Un phénomène inquiétant observé récemment est le développement du discours de haine visant les défenseures des droits de l'homme. Ainsi, en Serbie, des membres de l’ONG Femmes en noir ont subi des agressions parce qu’elles étaient des femmes et en raison de leur engagement en faveur des droits de l'homme.
Les autorités nationales omettent souvent de consulter ou d’écouter les défenseurs des droits des femmes sur les politiques et les lois relatives à ces droits. Dans certains pays, les militants indépendants se sentent éclipsés par des organisations non gouvernementales qui sont proches du gouvernement – aussi appelées « GONGO » (organisations non gouvernementales organisées par le gouvernement). Autre fait troublant : les défenseurs des droits des femmes ne sont pas considérés comme des pairs par certains défenseurs des droits de l'homme, qui estiment à tort que les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes sont des questions d’importance secondaire.
Dans la période d’austérité actuelle, il est particulièrement difficile pour les organisations de la société civile de trouver des sources de financement durables et à long terme. Des ONG qui gèrent des foyers accueillant des femmes victimes de violence, par exemple, subissent les conséquences des coupes pratiquées dans les services publics au niveau local.
Moyens d’améliorer l’environnement de travail des défenseurs des droits des femmes
Les difficultés rencontrées par les défenseurs des droits des femmes montrent que les progrès réalisés sur la voie de l’égalité entre les femmes et les hommes n’ont pas été totalement consolidés. Les défenseurs de l’égalité entre les sexes étant en majorité des femmes, la discrimination qui persiste à l’égard des femmes peut avoir des répercussions directes sur leur travail. Aujourd'hui encore, il est donc indispensable de rappeler que l’égalité entre les femmes et les hommes est un droit fondamental et un élément essentiel de l’agenda des droits de l'homme.
Je demande instamment aux Etats membres du Conseil de l'Europe de réaffirmer leur détermination à mettre fin à la discrimination et aux violations des droits de l'homme fondées sur le sexe et le genre, et de respecter les obligations nationales et internationales leur incombant en la matière. En particulier, j’appelle tous les Etats membres à ratifier et mettre en œuvre la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (la Convention d’Istanbul).
Les Etats sont également tenus de protéger les défenseurs des droits de l'homme et de créer un environnement favorable à leurs activités, exempt d’intimidations et de pressions. Ces obligations sont rappelées dans la Déclaration de l'ONU sur les défenseurs des droits de l'homme, adoptée en 1998, et dans la Déclaration de 2008 du Comité des Ministres sur l’action du Conseil de l’Europe pour améliorer la protection des défenseurs des droits de l’homme et promouvoir leurs activités. Les Etats doivent notamment s’abstenir de mettre en place des politiques, des lois et des pratiques contraires à la liberté de réunion, d’association et d’expression. En 2013, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution spécialement consacrée à la protection des « défenseuses des droits de l’homme/défenseurs des droits des femmes », dans laquelle elle se déclare préoccupée par la discrimination et la violence subies par ces personnes et exhorte les Etats à les protéger et à soutenir leur travail. En juillet 2015, le Comité de l'ONU pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a appelé les Etats parties à veiller à ce que les défenseures des droits de l'homme aient accès à la justice et reçoivent une protection contre le harcèlement, les menaces, les représailles et la violence.
Au niveau national, je demande instamment aux Etats membres d’adopter et d’appliquer des lois interdisant la discrimination fondée sur le sexe et le genre, ainsi que des dispositions juridiques spécialement destinées à combattre les infractions motivées par la haine et le discours de haine à l’encontre des femmes. J’encourage aussi les Etats membres à élaborer des lignes directrices nationales et à prendre d’autres mesures pour soutenir et protéger les défenseurs des droits de l'homme, et à intégrer une perspective de genre dans ce travail. Il est temps de mettre fin à l’impunité des violations dont les défenseurs des droits de l'homme sont victimes en raison de leurs activités. Il importe que le gouvernement et les institutions expriment leur soutien au travail des défenseurs des droits des femmes, notamment en incluant ces personnes de manière effective dans les consultations officielles sur les questions qui les concernent.
Les défenseurs des droits de l'homme doivent être solidaires et coopérer entre eux pour se protéger et promouvoir leur action. Les réseaux internationaux, régionaux et nationaux de défenseurs des droits de l'homme contribuent beaucoup à aider les défenseurs qui rencontrent des difficultés dans leur travail et dont la sécurité personnelle est menacée. Il est donc indispensable que toute la communauté des défenseurs des droits de l'homme soutienne les défenseurs des droits des femmes et coopère pleinement avec eux.
Les défenseurs des droits de l'homme travaillent en étroite collaboration avec les structures nationales des droits de l'homme (SNDH) sur de nombreuses questions d’intérêt commun. Toutefois, il arrive souvent que les médiateurs, les commissions des droits de l'homme et les organismes de promotion de l’égalité n’aient pas encore suffisamment gagné la confiance des défenseurs des droits des femmes pour que ceux-ci demandent de l’aide à ces institutions lorsqu’ils sont menacés. Il faudrait que les SNDH et les défenseurs des droits de l'homme intensifient leur coopération et leur action conjointe pour faire avancer la cause des droits de l'homme et soutenir les militants en danger. J’encourage les SNDH à intégrer pleinement dans leur mandat les questions relatives aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes, et à travailler dans ce domaine avec les défenseurs des droits des femmes.
A plusieurs occasions, des défenseurs des droits des femmes ont établi un partenariat avec les médias et ont ainsi réussi à contrer des attaques, notamment des campagnes de dénigrement, et à sensibiliser le public à leur travail et à l’importance de protéger les droits des femmes et de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes. A mon avis, il est extrêmement utile de s’inspirer de ces expériences pour favoriser une culture des droits de l'homme et renforcer l’interaction entre Ies défenseurs et la population.
Il est temps que les défenseurs des droits des femmes obtiennent la reconnaissance, le soutien et la protection qu’ils méritent pour leur engagement et leur travail.
Nils Muižnieks