Même les gouvernements « confiants » ont quelquefois tendance à riposter lorsque leur bilan en matière de droits de l’homme est contesté. Ces réactions excessives peuvent être révélatrices de la perception selon laquelle de bonnes performances sont particulièrement importantes dans le domaine des droits de l’homme et que les critiques sont moins bien acceptées ici qu’ailleurs.
Cela dit, dans certains cas, les gouvernements s’en prennent davantage aux messagers qu’ils ne répondent aux questions. Je suis parfois surpris que les hommes politiques de première importance parlent si souvent en termes négatifs – en privé, voire même en public – des défenseurs des droits de l’homme dans leur propre pays.
Les groupes non gouvernementaux de droits de l’homme, les journalistes et même les médiateurs sont accusés d’antipatriotisme – également en Europe – lorsqu’ils dénoncent les violations des droits de l’homme, notamment s’ils communiquent pour ce faire avec des organisations internationales ou des médias étrangers.
Des erreurs factuelles, même mineures, sont quelquefois utilisées pour prouver que ces défenseurs sont irresponsables ou agissent de mauvaise foi.
Cette attitude ne favorise pas l’instauration d’un dialogue sérieux. Il est déraisonnable d’exiger que les rapports des organisations non gouvernementales de droits de l’homme soient irréprochables, si l’on considère le peu de ressources dont elles disposent et le fait que les gouvernements eux-mêmes sont quelquefois plus que réticents à fournir les données de base. En réalité, la plupart de ces groupes font preuve d’un grand sérieux dans l’établissement de leurs rapports.
Le fait que certains gouvernements essaient de faire taire les défenseurs des droits de l’homme a fait l’objet d’un débat au sein de l’ONU il y a une trentaine d’années. En 1998, après de longues discussions, l’Assemblée générale a adopté la Déclaration des Nations Unies sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l'homme et les libertés fondamentales universellement reconnus.
Ces débats sont nés de rapports provenant de divers pays et faisant état d’une répression pure et simple des personnes qui essayaient de détecter et de dénoncer les violations, de jouer un rôle de médiateur entre les autorités et les groupes s’estimant lésés, ou celles qui essayaient tout simplement d’informer le citoyen lambda de ses droits. Ces personnes ont été définies en tant que défenseurs des droits de l’homme dans la Déclaration.
Aujourd’hui encore, ces individus sont, dans certains cas, privés de leurs libertés fondamentales comme la liberté de mouvement, d’expression, de réunion ou d’association. Certains font l’objet de poursuites pénales et sont victimes de procès iniques. D’autres sont arrêtés et torturés, voire exécutés. Le but de la Déclaration est de mettre un terme à ces actions injustifiables.
L’une des difficultés auxquelles les rédacteurs du texte se sont heurtés était de ne pas céder à la tentation de définir les défenseurs de droits de l’homme comme un groupe particulier habilité à recevoir une protection en raison de son appartenance à cette catégorie. En conséquence, aucun système d’autorisation ou d’agrément n’a été prévu, car cela aurait créé de nouveaux dangers, pour les personnes exclues d’une telle définition juridique.
Les droits dont les défenseurs devraient pouvoir jouir étaient tous déjà inscrits dans les normes internationales en matière de droits de l’homme. La Déclaration est donc davantage axée sur l’application effective de ces droits particulièrement importants pour ceux qui œuvrent à la promotion des droits de l’homme, et qui en sont souvent privés.
La Déclaration souligne que chacun a le droit, aux niveaux national et international, de promouvoir, de protéger et de défendre les droits de l’homme. Elle réaffirme le droit de former des organisations non gouvernementales, de s'y affilier et d'y participer.
Elle affirme également que chacun a le droit de détenir et de publier des informations sur les droits de l’homme et de se plaindre de la politique et de l'action gouvernementales. La Déclaration énonce le droit de s'adresser sans restriction à des organes internationaux et de se procurer ou de recevoir un financement pour la réalisation d’activités dans le domaine des droits de l’homme.
Le but recherché n’est pas de donner à certaines personnes des privilèges spéciaux mais de définir clairement que les personnes qui, individuellement ou en association avec d’autres, défendent les droits de l’homme ou œuvrent pour ces droits par d’autres moyens, devraient pouvoir le faire librement sans être accusés d’extrémisme ou être la cible de campagnes de diffamation, voire pire.
Par ailleurs, l’ONU voulait montrer que nous avons grand besoin de ces personnes. De manière générale, l’un des inspirateurs de la notion même de défenseurs de droits de l’homme était Andrei Sakharov, qui était encore en vie au moment de l’adoption de la déclaration.
Même enfermé dans un appartement à Gorky, Sakharov a continué à rédiger ses appels en faveur des prisonniers de conscience dans l’Union soviétique et d’autres pays. Il a transmis aux Russes et à d’autres un message moral encore présent aujourd’hui.
D’autres voix ont été réduites au silence et cela a eu de tristes conséquences. Lorsque la Déclaration a été adoptée, le Secrétaire Général de l’ONU Kofi Annan a tiré une conclusion indéniable : « lorsque les droits des défenseurs des droits de l’homme sont violés, tous nos droits sont menacés et notre sécurité à tous est mise à mal ».
Thomas Hammarberg