Ces derniers mois, un certain nombre de familles roms ont, dans plusieurs pays européens, été expulsées de leur logement par la force, la décision d’expulsion étant le plus souvent prise par les autorités locales. Les locataires n’étaient pas prévenus suffisamment de temps à l’avance et aucune alternative réelle ne leur était proposée. Plusieurs de ces expulsions constituent une violation manifeste des normes européennes et internationales en matière de droits humains.
Plusieurs cas graves m’ont été signalés. Dans le village de Dorojni, dans la région de Kaliningrad, plus de 200 Roms ont été expulsés fin mai – début juin, et leurs maisons détruites par des bulldozers. Ces expulsions ont eu lieu à la suite de procédures judiciaires accélérées, que des organisations non gouvernementales dignes de confiance ont qualifiées d’inéquitables pour les Roms.
Dans le village d’Elbasan, en Albanie, une action similaire a été menée en juillet contre 109 citoyens roms. Ceux-ci n’ont semble-t-il pas été autorisés à emporter leurs affaires personnelles avant la destruction de leur maison et un grand nombre d’entre eux seraient maintenant sans domicile. A Patras, en Grèce, 13 maisons de Roms Makrigianni ont été détruites à la fin du mois de juillet, alors que leurs résidents s’étaient absentés pour des emplois saisonniers.
J’ai aussi eu connaissance d’expulsions pratiquées ou planifiées dans d’autres régions de la Fédération de Russie et en Bulgarie, en République tchèque, en France, en Turquie et au Royaume-Uni. Dans certains cas, les destructions des maisons et des biens se sont accompagnées de violences et de propos racistes.
Ces informations, dont beaucoup sont confirmées par le Centre européen pour les droits des Roms de Budapest, sont inquiétantes à plusieurs titres. D’une part, les décisions d’expulsion et la manière dont elles sont appliquées semblent comporter une dimension alarmante de racisme ou d’antitziganisme.
D’autre part, ces décisions ont naturellement des conséquences dramatiques pour les familles elles-mêmes et notamment pour leurs enfants. Privées d’un réel logement, elles peuvent difficilement faire valoir leurs droits, en particulier les droits à l’éducation et à la santé. Un processus de ségrégation sociale est ainsi pérennisé.
Un argument plusieurs fois invoqué pour justifier les expulsions est la nécessité de construire de nouveaux logements plus modernes dans le même secteur. Cependant, les familles roms se voient rarement offrir un logement dans ces nouvelles constructions. Les Roms restent d’ailleurs surreprésentés parmi les personnes sans domicile et celles qui vivent dans des logements déplorables. Notre continent compte, aujourd’hui encore, des ghettos et des bidonvilles réservés aux Roms.
Mon prédécesseur en tant que Commissaire aux droits de l’homme a déclaré à plusieurs reprises que les conditions de logement déplorables des Roms étaient une des raisons majeures de leur exclusion en Europe. Il n’acceptait pas, à juste titre, le vieil « argument » selon lequel les Roms, seraient un peuple nomade et que, par conséquent, ils n’éprouveraient ni le besoin ni l’envie de disposer d’un logement convenable.
Il peut naturellement arriver que les décisions de déplacer des personnes en raison de nouveaux plans d’urbanisme soient justifiées. Toutefois, les modalités d’élaboration et d’application de ces décisions doivent être conformes aux normes des droits humains et aux garanties procédurales communément acceptées.
En raison de ces normes, les expulsions forcées ne peuvent être pratiquées que dans les cas exceptionnels et d’une manière raisonnable. Toute personne concernée doit avoir la possibilité de s’adresser à un tribunal pour faire examiner, avant leur exécution, la légalité des expulsions prévues. Cette possibilité implique à la fois l’existence de recours juridiques et d’un accès à une assistance judiciaire. Des alternatives à l’expulsion doivent être recherchées dans le cadre d’une consultation authentique avec les personnes concernées. Par ailleurs, une indemnisation et un relogement adéquat doivent être proposés en cas d’expulsion forcée.
Les normes ci-dessus s’appliquent aussi aux autorités locales. Le fait que les décisions injustifiées soient parfois prises au niveau local n’exempte pas les gouvernements centraux des responsabilités découlant de leurs obligations internationales. Les Etats doivent superviser et le cas échéant réglementer l’action des autorités locales.
Les mécanismes de contrôle de la Charte sociale européenne ont déjà identifié plusieurs pays qui n’ont pas respecté leurs obligations internationales en matière de droit au logement pour les Roms. Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’Homme a jugé que les conditions de logement médiocres pouvaient, dans certains cas, être considérées comme des violations de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants contenue dans la Convention européenne. Le Comité des Nations unies contre la torture a adopté une position similaire.
Les autorités nationales, régionales et locales doivent prendre des mesures dès maintenant. Dans une recommandation en date de 2005, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a donné à tous les Etats membres des directives claires sur l’amélioration des conditions de logement pour les Roms. Plutôt que d’expulser des familles roms, il convient de respecter leur droit à un logement convenable. A cette fin, il est indispensable qu’une réelle consultation soit organisée avec les Roms eux-mêmes.
L’histoire de l’Europe est entachée par les discriminations et les dures répressions dont les Roms ont été la cible. Aujourd’hui encore, ils font couramment l’objet de préjugés dans de trop nombreux pays de notre continent. Il est donc capital que les gouvernements soient vigilants vis-à-vis du risque que les Roms subissent des traitements injustes et dégradants – y compris de la part des autorités locales.
Thomas Hammarberg