Chacune des grandes religions – bouddhisme, christianisme, hindouisme, islam et judaïsme – recèle un corpus de valeurs éthiques. Or, la morale que ces religions expriment est en rapport étroit avec les principes des droits de l'homme. Les valeurs en question ont du reste figuré, après la deuxième Guerre mondiale, parmi les sources d’inspiration des rédacteurs de la Déclaration universelle.
Les chefs et les maîtres religieux ont joué, eux aussi, un rôle important dans l’explication et la défense des droits de l'homme au sein de leurs communautés respectives. Un aspect essentiel de ce message était la tolérance vis-à-vis de ceux qui sont différents, y compris lorsqu’ils appartiennent à une autre communauté.
Les religions ont cependant attiré aussi des éléments extrémistes qui ont déformé les valeurs fondamentales. Des militants se sont livrés à des agitations contre « les autres » en les présentant comme une menace pour leur communauté, voire comme des ennemis. L’hostilité vis-à-vis des autres est devenue l’essence même de leur unité. Il y a là une perversion tragique et une difficulté considérable à résoudre pour les maîtres religieux éclairés.
Il est plus nécessaire que jamais de construire des ponts. Mon prédécesseur au poste de Commissaire aux droits de l’homme a organisé plusieurs séminaires avec des chefs et penseurs religieux d’Europe. J’ai pris part au dernier en date, qui s’est tenu à Kazan en février, et j’ai pu y constater la valeur de ce dialogue, qui consiste à apprendre les uns des autres dans un esprit de respect mutuel.
Le séminaire de Kazan a recommandé – il est intéressant de le souligner – la création d’un centre européen pour servir l’enseignement systématique des religions (au pluriel). Le raisonnement est logique : l’ignorance peut entraîner des préjugés pouvant aboutir à l’intolérance, laquelle risque elle-même de déboucher sur des discriminations et des violations des droits de l'homme.
Pour ne citer qu’un exemple, la connaissance de l’Islam est faible à l’heure actuelle dans plusieurs pays européens, où les musulmans font par conséquent l’objet d’un traitement discriminatoire.
L’idéal serait que des réunions de dialogue interreligieux comme celle de Kazan soient organisées au niveau national. Le but en serait de faciliter la compréhension mutuelle et de définir des mesures concrètes pour améliorer l’enseignement des religions.
Le respect mutuel est inséparable non seulement de la prévention des tensions et conflits, mais aussi de la protection de la liberté de religion, une des pierres angulaires de tout le travail en matière de droits de l'homme. La Convention européenne des Droits de l'Homme formule ce droit dans les termes suivants :
« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. »
« Toute personne », cela signifie tout le monde. Ce droit doit donc s’appliquer sans discrimination aucune à l’encontre de toute religion ou croyance. À cet égard, les pays où il existe une religion d’État, ont une difficulté à surmonter : comment veiller à ce que des individus se réclamant d’« autres » religions ou croyances aient la même possibilité de les manifester « par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites » ?
Le même dilemme se pose aux États laïques où une religion est dominante. Au sein de ces deux types de société, l’enseignement portant sur les autres religions tend à être particulièrement opportun. Dans la réalité, la lutte pour la liberté de religion ou de croyance (y compris l’athéisme) est souvent liée aux droits des minorités.
Il va de soi aussi qu’aucune liberté ne saurait être totale. La Convention européenne admet qu’il peut y avoir des limites au droit de manifester sa religion. Cela ne doit se régler, cependant, que par voie législative et lorsque c’est nécessaire, par exemple pour protéger les droits d’autrui.
Parmi les « autres » il y a les enfants. La Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant vise à établir un équilibre entre le droit des parents et des gardiens de guider l’enfant pour ce qui touche à la religion et celui de l’enfant de se former ses propres opinions et de les voir respecter. Les « capacités d’évolution de l’enfant » constituent à cet égard une expression-clé : plus l’enfant est grand et mûr, plus il possède, à l’évidence, une liberté individuelle de pensée, de conscience et de religion.
Pour que cela passe dans les faits, il importe que l’enfant puisse s’instruire à l’école sur la religion, y compris les croyances des « autres ». La Convention des droits de l’enfant vient à l’appui de l’esprit de Kazan, selon lequel les enfants ont le droit de connaître leur identité culturelle, mais aussi les cultures et civilisations différentes des leurs.
Ces deux aspects vont de pair. Grâce à une image plus claire de leurs cultures, les gens deviennent plus ouverts aux messages qui démystifient l’inconnu. Le but devrait être non seulement de promouvoir la tolérance mais aussi le respect d’autrui.
Thomas Hammarberg