Un porte-parole des autorités américaines a accusé de non-respect de la sainteté de la vie les trois détenus du camp de Guantanamo qui se sont suicidés récemment. Il a même ajouté que selon ses autorités, leur acte s’inscrivait dans le cadre d’une « guerre asymétrique » contre les États-Unis.
Il y a pourtant une autre interprétation possible de cet acte : les trois détenus en question étaient désespérés. Comme leurs codétenus, ils avaient été interrogés par des méthodes illégales et entièrement coupés de leur monde d’origine, à l’exception d’une correspondance sporadique et étroitement censurée.
On les maintenait en détention depuis quatre ans (l’un d’eux était un mineur de dix-sept ans lorsqu’il fut amené à Guantanamo), et ils ne savaient pas au juste combien de temps ils devraient encore rester dans ce camp.
Ils ne savaient même pas si on leur donnerait jamais l’occasion de contester le bien-fondé de leur détention. Selon le gouvernement des États-Unis, les détenus de Guantanamo étaient des « combattants illégaux ». Autrement dit, ils ne sont pas considérés comme prisonniers de guerre, et aucune procédure pénale n’a été instituée contre eux, alors que cela leur donnerait du moins le droit de se défendre devant un tribunal.
La Cour suprême des États-Unis vient de statuer contre les tribunaux militaires créés à Guantanamo. Elle n’a pas admis qu’ils tiennent des audiences dont les justiciables eux-mêmes peuvent être exclus, qu’ils prononcent des condamnations au vu de preuves dont les justiciables et leurs avocats ont été empêchés de prendre connaissance et qu’ils s’autorisent à recevoir des témoignages indirects, voire obtenus sous la contrainte.
Ce qui est important, de même, c’est que la Cour suprême ait fait clairement allusion aux normes internationales et aux Conventions de Genève et souligné qu’elles étaient applicables dans le système américain. La conclusion à en tirer est qu’il faut réfuter aussi l’autre « argument », à savoir qu’on maintient les intéressés en détention pour leur ôter toute possibilité de menacer les intérêts des États-Unis.
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s’est jointe au concert des voix exigeant que le camp de Guantanamo soit maintenant fermé et que les détenus soient libérés ou traduits devant des instances judiciaires appropriées.
Il est évident que beaucoup de détenus n’ont jamais été impliqués dans des actions terroristes, ce que le gouvernement américain a lui-même reconnu. Lorsque tout cela sera fini, les anciens détenus réclameront sans doute des indemnités pour leur privation illégale de liberté.
Si le scandale de Guantanamo préoccupe aussi l’Europe, ce n’est pas seulement parce que certains détenus sont ressortissants de pays de notre continent et que leurs gouvernements ont éprouvé des difficultés à les défendre.
Dans une optique plus large, ce qui est jeu n’est rien de moins que les principes essentiels de justice et de primauté du droit. Il est une norme cruciale selon laquelle nul ne peut être privé de sa liberté sans avoir eu un procès équitable, et c’est sur elle que la Cour suprême a fondé son important arrêt.
Il faut espérer que cet arrêt sera un premier grand pas vers la correction des fautes graves commises après le 11 septembre 2002. Nous devons combattre le terrorisme, mais nous ne pouvons accepter qu’un gouvernement prenne la liberté de capturer des gens à l’étranger et de les maintenir en détention au mépris du droit.
Thomas Hammarberg