Plusieurs assassinats de défenseurs des droits de l'homme, de journalistes d'investigation, d’avocats engagés et de leaders d'opinion critiques n’ont pas fait l’objet d’enquêtes sérieuses. Certains cas flagrants sont devenus les symboles du phénomène d’impunité, qui encourage à commettre d’autres meurtres et tend à paralyser le débat public.
Ces crimes politiques se sont multipliés au cours des dix dernières années. Ce sont des tragédies humaines, encore aggravées par une apparente volonté de cacher la vérité.
Une impunité systématique
L’absence regrettable d’enquête effective sur l’enlèvement et le meurtre de Guéorgui Gongadzé, intervenus en septembre 2000 en Ukraine, reste un exemple emblématique des formes que prend l’impunité. L’incohérence et la passivité des procureurs successifs semblent liées au fait que certains des comploteurs occupaient, ou occupent toujours, des postes importants.
De manière analogue, les enquêtes sur les meurtres d’Elmar Huseynov en Azerbaïdjan (mars 2005) et de Hrant Dink en Turquie (janvier 2007), deux éminents rédacteurs en chef, ont été beaucoup trop lentes et superficielles. Le traitement des affaires Gongadzé et Dink a déjà été condamné par la Cour européenne des droits de l'homme, qui est maintenant également saisie de l’affaire Huseynov.
Le meurtre de Natalia Estemirova en Fédération de Russie semble relever de la même catégorie. En juillet 2009, Mme Estemirova a été enlevée à son domicile de Grozny, puis retrouvée morte. Comme dans la plupart des autres cas de disparition et de meurtre en République tchétchène, l’enquête s’est heurtée à des obstacles majeurs, notamment au manque de coopération de la part de membres des forces de police et de sécurité.
Les ravages de l’impunité
Si ces affaires ont eu un retentissement international, il y a cependant bien d’autres exemples d’assassinats commandités ou résultant d’une collusion. Les instigateurs de ces meurtres appartiendraient à des milieux politiques non démocratiques, à des forces de police ou de sécurité ou à des organisations criminelles – dont les intérêts se rejoignent souvent.
Justice n’est pas faite dans ces affaires. Il y a des raisons de penser que les commanditaires de ces crimes - ou bien leurs supérieurs ou leurs représentants - exercent aussi sur les services de l’Etat une influence suffisante pour empêcher les enquêtes officielles ou pour les détourner, les entraver ou les prolonger indûment, de manière à les rendre inefficaces.
Il est indispensable de lutter contre l’impunité avec détermination pour prévenir de nouveaux crimes, faire respecter la prééminence du droit et préserver la confiance du public dans le système judiciaire. C’est aussi un moyen de permettre aux victimes d’obtenir réparation.
Rendre les enquêtes plus effectives
Préoccupé par le nombre important d’affaires concernant des violations graves des droits de l'homme qui n’ont pas été élucidées, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a adopté des lignes directrices dans lesquelles figurent des mesures concrètes que les gouvernements devraient prendre pour éliminer l’impunité.
Ces lignes directrices, adoptées en mars 2011, ont pour but « de prévenir et de lutter contre les pratiques institutionnelles qui favorisent, au sein de l’administration, l’impunité ». Elles soulignent l’importance de mener des enquêtes effectives et définissent en détail les critères d’une telle enquête : adéquation, approfondissement, indépendance, promptitude et publicité.
Lutter contre l’impunité en respectant ces grands principes suppose aussi de protéger efficacement les procureurs, les donneurs d’alerte et les témoins qui participent à l’élucidation d’affaires sensibles. Il faut bien faire comprendre que non seulement les auteurs des crimes seront sanctionnés, mais que les agents de l’Etat qui favorisent l’impunité auront également à rendre des comptes.
Toutes ces mesures semblent évidentes dans une société qui respecte la prééminence du droit. Pourtant, l’expérience montre que les efforts visant à établir les responsabilités peuvent se heurter à une résistance extrêmement tenace, voire brutale, dans les affaires politiques. Le seul véritable moyen de lutter contre l’impunité est de traduire en justice tous les complices du crime – quels qu’ils soient.
Thomas Hammarberg