Les expulsions de Roms se multiplient en Europe
Ces dernières années, la question des Roms a été largement débattue en Europe. Toutefois, cette attention portée à la minorité d’Europe la plus exposée aux discriminations ne s’est guère accompagnée de mesures gouvernementales concrètes. Face à cette situation d’urgence en matière de droits de l’homme, les pays européens appliquent trop souvent encore les vieilles méthodes, comme le montre la multiplication des expulsions, qui ont déjà touché des milliers de Roms dans toute l’Europe.
En France, près de 5 000 Roms auraient été évacués de leurs campements entre juillet et septembre 2012. Bien qu’une circulaire interministérielle diffusée en août dernier demande aux autorités de proposer une solution de relogement adéquate aux personnes évacuées, celles-ci ne reçoivent généralement aucune aide et se retrouvent souvent sans abri, à Paris, à Marseille et dans d’autres grandes villes françaises.
En Italie, les expulsions forcées se sont poursuivies, malgré l’engagement du gouvernement de cesser d’appliquer la politique de « l’urgence nomade ». Au cours du seul mois de septembre 2012, à Rome, 250 personnes ont été expulsées, avec pour seule perspective d’être regroupées sur des sites à l’écart du reste de la population.
En République tchèque, des familles roms ont été évacuées au cours de l’été 2012 des bâtiments délabrés où elles vivaient depuis des années, dans la ville d’Ostrava. Elles ont été relogées dans des hôtels qui, de l’avis des services sociaux, ne sont pas adaptés à l’hébergement d’enfants. Les Roms étant fréquemment expulsés des logements sociaux dans certaines régions du pays, de nombreuses familles roms sont contraintes de mener une vie itinérante.
En Serbie, 1 000 Roms ont été évacués de force de Belvil, un quartier de Belgrade, en avril 2012. Certains d’entre eux ont dû s’installer dans une autre ville, tandis que d’autres ont été relogés dans des conteneurs, à la périphérie de Belgrade, où ils n’ont aucune possibilité de travailler et aucun accès aux services de santé et aux autres services de base.
Au Royaume-Uni, des Gens du voyage qui avaient été expulsés de leur propre terrain à Dale Farm, dans l’Essex, en octobre 2011, ont de nouveau reçu des avis d’expulsion. Il leur est maintenant demandé de quitter le terrain privé, situé en bord de route, qu’ils occupent depuis leur évacuation. Ils affirment n’avoir nulle part où aller et craindre l’approche de l’hiver.
Brisons le cercle vicieux des expulsions
Les expulsions sont inefficaces si elles ne s’accompagnent pas d’un projet d’intégration et de protection sociale. Ce n’est pas en chassant les Roms que l’on règlera le problème de l’exclusion et de la misère extreme dans laquelle vivent nombre d’entre eux. Beaucoup de ces expulsions sont contraires aux normes internationales des droits de l’homme, qui prévoient des garanties spécifiques en cas d’expulsion, notamment la mise à disposition d’un logement de remplacement décent et l’accès à des voies de recours juridiques. En particulier, la Charte sociale européenne impose des obligations précises aux Etats parties concernant le logement, l’accès aux services de santé et aux services sociaux et, dans ce contexte, la protection des droits de l’enfant.
De plus, les expulsions sont contre-productives car elles perturbent souvent très sérieusement la scolarité des enfants, qui est un élément essentiel de l’intégration des Roms. Elles entravent aussi les efforts des personnes qui dispensent aux Roms des soins médicaux de base, en organisant des campagnes de vaccination, par exemple.
Lors de nombreuses expulsions, la police aurait eu recours à la force de manière excessive. En outre, des médias et des personnalités politiques ont profité des expulsions pour exacerber les préjugés et les sentiments anti-Roms de la population. Des groupes de Roms évacués qui devaient se réinstaller ailleurs ont été en butte à des manifestations d’hostilité, voire de violence, de la part de leurs nouveaux voisins.
Il est temps d’abandonner les politiques répressives
Il faut en priorité combattre la discrimination et les préjugés profondément enracinés, qui constituent un obstacle majeur à tout progrès dans l’insertion des Roms. En particulier, les responsables politiques et les décideurs devraient cesser de tenir des propos qui stigmatisent les Roms, y compris les migrants d’origine rom.
Les Etats européens devraient réorienter leur action en délaissant les mesures répressives pour des stratégies d’intégration. Les bonnes pratiques qu’appliquent certains devraient être davantage développées et diffusées.
L’une des mesures à prendre de toute urgence est de trouver des solutions adaptées aux problèmes de logement des Roms. Le droit à un logement décent détermine en effet la possibilité de bénéficier de nombreux autres droits de l’homme. Les Etats devraient donc investir dans des formes de logement sûres et abordables pour les Roms, en étroite concertation avec les intéressés.
Des programmes et pratiques de logement qui se traduisent par une ségrégation forcée sont contraires au principe de non-discrimination. De plus, l’expérience montre qu’ils ne peuvent jamais être considérés comme une solution viable.
Aucune expulsion ne devrait intervenir en l’absence d’une possibilité de relogement adéquate et abordable.
Il faut aussi s’attaquer aux causes profondes qui poussent les Roms à migrer, au rang desquelles figurent la discrimination institutionnalisée, la ségrégation, la répression et la pauvreté dans leurs pays d’origine. Collectivités locales, gouvernements nationaux, organisations internationales et société civile : nous sommes tous concernés par ces objectifs.
En plus d’être inefficaces et coûteuses, ces expulsions sont surtout inhumaines. Il faudrait y mettre un terme et passer à des politiques d’intégration effectives, dont ne bénéficieraient pas seulement les familles roms concernées, mais la société tout entière.
Nils Muižnieks