La Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatović, a publié aujourd'hui un mémorandum sur les conséquences de la guerre en Ukraine en matière de droits humains. Il vise à aborder certaines des conséquences de la guerre sur le plan humanitaire et en matière de droits humains et à mettre en évidence les questions qui nécessitent une attention urgente. Il décrit dans un premier temps certains des schémas de violations des droits humains et du droit international humanitaire identifiés par la Commissaire dans son travail d’établissement des faits et de suivi, en particulier sa visite dans les zones de la région de Kiev qui ont été parmi les plus touchées par la guerre. Le mémorandum se concentre ensuite sur certaines catégories de personnes les plus vulnérables et sur la nécessité d’établir la responsabilité pour les violations flagrantes des droits humains et les crimes internationaux.
L'attaque de la Fédération de Russie a donné lieu à des violations graves et massives des droits humains et du droit international humanitaire, avec des effets désastreux sur l’exercice de pratiquement tous les droits humains par la population en Ukraine. La Commissaire a été confrontée à des schémas incontestables de violations du droit à la vie commises par les troupes russes, notamment des exécutions arbitraires et des disparitions forcées ; des violations du droit à la propriété, dont la destruction massive d'infrastructures civiles ; des cas de torture et de mauvais traitements, de violence fondée sur le genre et de violence sexuelle en temps de guerre ; et de violations du droit à la liberté et à la sécurité, dont des enlèvements et des détentions arbitraires ou au secret. Les schémas identifiables de certains types de violations du droit international humanitaire, y compris les attaques de caractère généralisé ou systématique, pointent vers une possible qualification de nombre de ces violations en crimes de guerre et/ou crimes contre l'humanité.
Alors que la plupart des violations du droit à la vie auraient été causées par l'utilisation par les forces russes d'armes explosives à large impact, de munitions à fragmentation ou de roquettes non guidées dans des zones densément peuplées, les troupes russes se seraient également livrées à des exécutions extrajudiciaires en ciblant ou en tirant au hasard sur des civils. Certaines des victimes auraient été torturées ou maltraitées avant d'être exécutées. Dans de nombreuses régions, les attaques ont détruit ou endommagé des infrastructures civiles, notamment des hôpitaux et des écoles, et ont coupé l'approvisionnement en électricité, gaz, nourriture, eau et autres produits de première nécessité, piégeant de nombreux civils dans des conditions désespérées. « Les énormes pertes en vies humaines et l'ampleur des destructions défient l'entendement », a déclaré la Commissaire, appelant au respect du droit international relatif aux droits humains et du droit international humanitaire.
Des centaines de cas de disparition forcée, d'enlèvement, de détention au secret ou de disparition de personnes ont été signalés parmi les défenseurs des droits humains, les fonctionnaires locaux, les journalistes, les bénévoles, les militants de la société civile, les anciens combattants ou les civils ordinaires, dans les zones de l'Ukraine sous contrôle des troupes russes ou des troupes contrôlées par la Fédération de Russie. Quelques possibles cas de disparition forcée ou d'enlèvement ont également été signalés sur le territoire contrôlé par le gouvernement ukrainien. « Toutes les personnes qui ont été privées de leur liberté de manière arbitraire devraient être immédiatement libérées, et tous les cas de disparition forcée ou de détention arbitraire ou au secret devraient faire l'objet d'une enquête approfondie et les responsables devraient être punis », a souligné la Commissaire.
La Commissaire a également reçu des informations sur la pratique répandue du transfert forcé de citoyens ukrainiens vers des zones sur le territoire ukrainien non contrôlées par le gouvernement ou vers le territoire de la Fédération de Russie, par le biais du processus dit de « filtration ». Cette pratique, qui semble présenter de nombreuses caractéristiques du crime international de transfert forcé de population, devrait faire l'objet d'une enquête rapide. Toutes les évacuations humanitaires devraient être volontaires, sûres et effectuées en connaissance de cause. « J'appelle les membres de la communauté internationale à soutenir tous les efforts susceptibles d'aider les citoyens ukrainiens qui ont été transférés en Fédération de Russie contre leur gré », a déclaré la Commissaire.
De nombreux rapports font également état de violences sexuelles en temps de guerre qui auraient été commises par les troupes russes. Si toutes ces allégations devraient faire l'objet d'une enquête approfondie, « la priorité doit être maintenant de créer des conditions sûres pour les survivants, de leur assurer un accès effectif aux voies de recours et à la justice, et de privilégier la protection de leur dignité et de leur bien-être », a souligné la Commissaire.
La situation de plusieurs catégories de personnes vulnérables requiert une attention particulière et urgente. La guerre, et les destructions et l'insécurité qui en ont résulté, ont entraîné la violation du droit à la vie de centaines d'enfants ainsi que de leurs droits à la santé et à l'éducation. Elle a également eu un impact particulièrement disproportionné sur les personnes âgées d'Ukraine, notamment les femmes. Beaucoup d'entre elles n'ont pas pu ou voulu être évacuées en lieu sûr, et certaines auraient perdu la vie en raison des répercussions de la guerre, notamment du fait de l'impossibilité d'accéder à des soins médicaux adéquats. De nombreuses personnes handicapées, y compris des enfants, auraient été séparées de leurs réseaux de soutien ou laissées sans soins adéquats en raison de la guerre.
La guerre a déplacé des millions d'Ukrainiens, à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Pour beaucoup d'entre eux, ce déplacement a entraîné un risque accru de traite des êtres humains, d'exploitation et d'abus. « La communauté internationale devrait continuer à soutenir les personnes qui ont fui la guerre ainsi que les pays et les communautés qui les accueillent à long terme, en accordant une attention particulière aux besoins des groupes vulnérables », a souligné la Commissaire. Certaines des autorités locales des pays d'accueil sont confrontées à des difficultés considérables pour répondre aux besoins tant des personnes déplacées que de leurs propres résidents. « Si les besoins fondamentaux des personnes fuyant la guerre, tels que le logement, l'emploi et l'éducation, ne sont pas satisfaits, cela pourrait ajouter un stress supplémentaire pour les gouvernements, les personnes déplacées et la cohésion sociale. »
De multiples attaques contre des journalistes et des professionnels des médias couvrant la guerre en Ukraine ont également été signalées, avec de nombreux tués ou blessés. Les faits établis suggèrent que certaines des personnes tuées ou blessées pourraient avoir été délibérément ciblées par les forces russes. « Les attaques délibérées contre les journalistes sont interdites par le droit international humanitaire. Elles empêchent également les journalistes de faire leur travail et portent atteinte au droit à l'information de la population. Les États membres devraient apporter un soutien accru aux journalistes qui couvrent la guerre afin d'accroître leur sécurité et de poursuivre les responsables des crimes commis à leur encontre », a souligné la Commissaire.
La Commissaire rappelle l’impératif de rendre justice aux victimes d'atrocités et souligne que la Fédération de Russie et l'Ukraine ont toutes deux l'obligation d'enquêter et de poursuivre les auteurs de violations massives des droits humains et d'infractions graves au droit humanitaire international. Se félicitant des mesures prises par les autorités ukrainiennes pour faire progresser l'obligation de rendre des comptes pour les graves crimes internationaux qui ont été commis en Ukraine depuis février 2022, la Commissaire les encourage à finaliser le processus d'alignement du cadre juridique du pays sur les normes internationales pertinentes dans ce domaine.
Si les parties au conflit sont dans l'obligation de faire rendre des comptes aux responsables de crimes internationaux graves, compte tenu de la tâche, l'implication de mécanismes judiciaires régionaux et internationaux est un élément supplémentaire important pour garantir la justice. La Commissaire souligne l'importance d'une coordination efficace dans le domaine de la justice entre les acteurs nationaux et internationaux et la nécessité de donner la priorité aux intérêts des victimes et de leurs familles.
Seule l'application équitable et impartiale de la justice servira les intérêts des victimes et renforcera le respect des droits humains et du droit humanitaire international. « Rendre justice à toutes les victimes de la guerre en Ukraine nécessitera un engagement constant et à long terme de la part des acteurs concernés, notamment par le biais d'une coopération efficace avec la Cour pénale internationale et un soutien à long terme au système judiciaire ukrainien. »
- Lire le mémorandum de la Commissaire sur les conséquences de la guerre en Ukraine en matière de droits humains (en anglais, également en russe et en ukrainien)