Idéalement, tout parlementaire est aussi un défenseur des droits de l’homme. Le travail parlementaire devrait privilégier la promotion des libertés, la protection de la justice et le respect des droits de l’homme, notamment par des mesures visant à remédier aux lacunes observées en ce domaine. Il peut aussi contribuer à l’instauration durable d’une véritable culture des droits de l’homme. Voyons comment !
Le rôle des parlements dans l’adoption des lois est déterminant pour la construction d’une justice fondée sur les droits. Dans le cadre des processus de ratification, ces assemblées prennent position sur les conventions internationales, et notamment européennes, en matière de droits de l’homme.
L’activité législative et les processus de ratification doivent être corrélés afin que les lois nationales tiennent compte des traités internationaux. L’intégration de la Convention européenne des droits de l’homme dans le droit interne de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe a largement contribué à assurer cette cohérence.
Les parlements devraient analyser les propositions de loi sous l’angle du respect de la Convention européenne des droits de l’homme1 et suivre le développement de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg pour veiller à ce que celle-ci soit respectée dans le droit interne.
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a souligné plus d’une fois l’importance du rôle des parlements nationaux dans le suivi de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme2. Malheureusement, certains pays mettent beaucoup trop longtemps à donner suite aux décisions de la Cour, surtout pour ce qui est de prendre les mesures générales requises pour prévenir de nouvelles violations de même nature.
L’activité législative n’est pas le seul aspect du travail parlementaire qui présente un intérêt dans le domaine des droits de l’homme. L’adoption du budget de l’Etat est également lourde de conséquences pour les droits individuels.
La Convention des Nations Unies relatives aux droits de l’enfant impose aux Etats l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires à la mise en œuvre des droits qu’elle reconnaît « dans toutes les limites des ressources dont ils disposent ». Le Pacte international de l’ONU relatif aux droits économiques, sociaux et culturels comporte des dispositions comparables. La priorité devrait être accordée aux droits conventionnels chaque fois que des décisions sont prises concernant l’allocation de ressources. En théorie, le parlement devrait, avant de prendre sa décision finale, analyser la proposition de budget annuel sous l’angle des droits.
La promotion et la protection de presque tous les droits fondamentaux nécessitent des ressources financières. Par exemple, la garantie du droit à l’éducation et à des soins de santé appropriés recouvre des actions de grande ampleur qui pèsent lourdement sur le budget de l’Etat.
Toute analyse de budget sous l’angle des droits de l’homme devrait s’accompagner d’un examen attentif des incidences des propositions budgétaires sur les groupes vulnérables de la société tels que les enfants en situation difficile, les personnes âgées et les personnes handicapées. Les principes des droits de l’homme exigent de considérer le traitement de ces derniers et d’autres groupes défavorisés comme relevant de la responsabilité collective et non de la charité.
En Europe, plusieurs parlements nationaux ont adopté des plans d’action spécifiques en matière de droits de l’homme, dont certains ont été imposés ou inspirés par des conférences ou des traités internationaux et portent, par exemple, sur les droits de l’enfant, l’égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre la traite des êtres humains ou les droits des personnes handicapées.
Au Conseil de l’Europe, des propositions ont été faites en vue d'élaborer un plan national complet de mise en œuvre systématique des droits de l’homme. La systématisation des activités de réalisation des droits fondamentaux était au cœur d’une conférence organisée à Stockholm, au mois de novembre 2008. Le rapport doit être publié cette semaine3.
Lorsque les parlements adoptent des plans d’action relatifs aux droits de l’homme, ils doivent aussi exiger de l’exécutif des rapports leur permettant de faire le point sur la mise en œuvre de ces plans.
De plus, ils doivent veiller à mettre en place un système de réclamation permettant aux particuliers de porter plainte et d’obtenir une réponse, en confiant par exemple au médiateur indépendant, au défenseur public ou à la commission des droits de l’homme (selon l’appellation en usage dans le pays) la mission de recevoir les plaintes et de trouver des solutions aux problèmes concrets qui lui sont soumis.
Tous les Etats membres du Conseil de l’Europe disposent à présent de structures de ce type, même si leurs attributions diffèrent quelque peu. Dans certains pays, les personnes en poste dans ces institutions sont nommées par le gouvernement, dans d’autres elles sont élues par le Parlement. Il est, à mon avis, préférable que les parlements s’intéressent de près ces structures, qu’ils participent au recrutement de leurs principaux responsables et aussi qu’ils reçoivent et examinent leurs rapports.
L’Allemagne a adopté une approche assez originale : les assemblées élues au niveau des Länder et de la Fédération se sont dotées de commissions parlementaires à même d’être directement saisies de plaintes individuelles auxquelles elles donnent suite soit en mettant le plaignant en relation avec les autorités compétentes, soit en adoptant une proposition ou toute autre initiative parlementaire.
Cette méthode a l’avantage de familiariser les responsables politiques avec les préoccupations de tout un chacun. Les rapports des commissions peuvent donner une indication des problèmes structurels qui se posent au niveau des autorités.
Plusieurs parlements ont mis sur pied une commission politique chargée des droits de l’homme. L’une des plus puissantes est probablement la commission mixte sur les droits de l’homme, composée de 12 membres issus des deux chambres du Parlement britannique. Elle réalise des études thématiques sur les questions ayant trait aux droits de l’homme et transmet ses conclusions et ses recommandations au parlement. Elle passe au peigne fin tous les projets de loi émanant du gouvernement et examine de plus près ceux dont les répercussions sur les droits de l’homme sont les plus importantes. Elle analyse également ce que fait le gouvernement pour donner suite aux arrêts de la Cour de Strasbourg.
Dans certains parlements européens, les commissions des droits de l’homme n’ont pas d’existence officielle et leur rôle est consultatif. Dans ce cas, les débats donnant lieu à des décisions en matière de droits de l’homme se déroulent généralement dans le cadre des commissions permanentes en charge des questions juridiques ou sociales.
En Italie, le Sénat a créé il y a peu une commission des droits de l’homme tandis que l’autre chambre examine les droits fondamentaux dans le cadre d’une sous-commission de la commission des affaires étrangères.
Débattre activement des questions relatives aux droits de l’homme au niveau parlementaire, c’est reconnaître leur caractère hautement politique. Naturellement, il arrive que la politisation des problèmes relatifs aux droits de l’homme puisse déformer la réalité et que les élus de la majorité défendent l’action du gouvernement de préférence aux principes des droits de l’homme.
Dans nombre de parlements en Europe, des élus agissent en défenseurs des droits de l’homme. Parmi eux, beaucoup sont également membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Disons-le, leur double rôle de parlementaire national et européen est un facteur décisif pour la promotion des droits de l’homme, de l’état de droit et de la démocratie au niveau local4. D’autres sont issus de minorités et représentent la diversité.
Il ne faut pas sous-estimer l’importance des diverses voix qui se font entendre dans le débat parlementaire. C’est pourquoi l’immunité des élus ne doit pas pouvoir être levée à la légère. Par exemple, la décision du parlement arménien qui a levé, l’année dernière, l’immunité de quatre de ses membres, m’a paru insuffisamment justifiée car, en définitive, les parlementaires sont des élus du peuple.
Dans une démocratie parlementaire, le gouvernement doit s’assurer du soutien du Parlement mais l’inverse n’est pas vrai : le parlement n’a pas besoin de l’approbation de l’exécutif. En tant qu’organe élu, le parlement a un rôle particulier à jouer en toute indépendance et selon ses propres conceptions. A vrai dire, tous les gouvernements ont besoin d’un parlement pour veiller à ce que les promesses en matière de droits de l’homme ne restent pas lettre morte.
Thomas Hammarberg
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Notes:
1. Conformément à la Recommandation Rec (2004) 5 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la vérification de la compatibilité des projets de loi, des lois en vigueur et des pratiques administratives avec les normes fixées par la Convention européenne des droits de l’homme.
2. Voir, par exemple, la Résolution 1516 (2006) ; voir aussi le discours de Mme Marie-Louise Bemelmans-Videc, membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe « L’efficacité de la Convention européenne des droits de l’homme au niveau national : la dimension parlementaire », colloque « Vers une mise en œuvre renforcée de la Convention européenne des droits de l’homme au niveau national », organisé dans le cadre de la présidence suédoise du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, Stockholm, 9-10 juin 2008. En ce qui concerne les derniers travaux de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur cette question, voir la note introductive de M. Pourgourides sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme du 26 mai2008: http://assembly.coe.int/CommitteeDocs/2008/20080526_fjdoc24_2008.pdf
3. Les droits, ça marche ! - Conférence internationale sur l’action systématique pour la mise en œuvre des droits de l’homme, Stockholm, 6-7 novembre 2008. Rapport disponible à l’adresse : http://www.sweden.gov.se/rightswork
4. Résolution 1640 (2008) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.