Nous savons que les services de sécurité nationaux d'Europe ont participé à la “guerre contre la terreur” menée par les USA. Ils ont participé à des opérations qui ont constitué des violations flagrantes des droits de l'homme. La CIA des USA a certes assuré la direction et la coordination des opérations, mais les services de renseignements d'Europe doivent accepter leur part de responsabilité pour les enlèvements, les "restitutions", les détentions secrètes et les interrogatoires illégaux.
Certains ont remis des suspects à la CIA ou fermé les yeux sur des enlèvements secrets de personnes. Ils ont facilité l'organisation d'avions transportant des prisonniers et fourni des informations à la CIA.
Le Sénateur Dick Marty a indiqué à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe que deux de ses Etats membres ont même mis à disposition pendant quelques années des installations pénitentiaires destinées aux détentions secrètes.
Il faut à tout prix faire un bilan complet de ce qui s'est produit après le "onze septembre" et tirer les leçons des erreurs commises. Il faut rétablir les normes en matière de droits de l'homme qui ont été adultérées. Une telle démarche s'impose également pour protéger la crédibilité de la lutte contre le terrorisme à l'avenir.
Le retard considérable qu'a pris cette évaluation vitale est partiellement imputable aux intimidations politiques et autres menaces de l'administration Bush. De plus, l'on estime généralement en Europe que les questions de sécurité nationale ne peuvent être discutées ouvertement. Les gouvernements ont craint que leurs efforts de transparence ne bloquent leur collaboration avec d'autres agences de sécurité et ne compromettent les échanges d'informations.
Toutefois, l'exécutif ne doit pas échapper à ses responsabilités pour les violations des droits de l'homme sous prétexte du “secret d'Etat”. Il est urgent d'organiser une discussion constructive et approfondie afin de définir des garde-fous dans ce domaine. S'il existe une volonté politique suffisante, ce sera possible sans divulguer des faits qui doivent rester confidentiels. Le gouvernement canadien a donné un excellent exemple en créant une commission pour l'affaire Arar.
Nous devons partir du constat que le terrorisme est une grave menace. Après le 11 septembre 2001, d'autres attentats effroyables ont été perpétrés à Beslan, à Istanbul, à Madrid, à Londres et en d'autres endroits. Il faut prendre des mesures afin de prévenir et d'empêcher de telles atrocités et d'en poursuivre les auteurs. Cela ne peut se faire sans le travail de surveillance et de collecte de données.
Il convient toutefois de fixer des limites claires aux activités des services de sécurité, y compris les organismes militaires. La torture et les autres traitements cruels, inhumains ou dégradants ne peuvent jamais être tolérés, les personnes privées de leur liberté doivent disposer d'une possibilité de contester leur détention dans le cadre de procédures correctes, sans oublier les garanties contre l'exploitation illicite d'informations collectées sur les particuliers. Les normes du domaine des droits de l'homme doivent toujours être respectées, même en période de crise. Ce n'est pas un domaine sujet à des dérogations proportionnelles à un intérêt supérieur.
Quand une part aussi importante des activités des services de sécurité est classée secrète, il devient particulièrement important de veiller à la présence d'un système de contrôle démocratique. Il est apparu ces dernières années que même les chefs de gouvernement ne sont pas toujours impliqués. Le contrôle exercé par le Parlement et par les autorités judiciaires a été minime. Les services de renseignements ont mené leur collaboration avec d'autres agences sans grand contrôle.
L'année dernière, le Secrétaire général du Conseil de l'Europe, M. Terry Davis, a soulevé ce point en rapport avec la question de la détention illicite et du transport de détenus soupçonnés d’être impliqués dans des actes terroristes. Il a suggéré que l'on améliore la surveillance des activités des services secrets, tant étrangers que nationaux, sur le territoire des Etats membres.
La Commission de Venise a récemment publié un Rapport intéressant sur la manière dont un contrôle démocratique pourrait être organisé afin de garantir une responsabilité de l'Etat. Même si elle ne couvre pas les services de renseignements militaires et étrangers, l'analyse de la Commission est particulièrement utile. Elle aborde quatre types de responsabilité: les mécanismes parlementaires et judiciaires, les experts et les recours.
• L'autorité formelle des services de renseignements devrait reposer sur une tutelle parlementaire. Le Parlement pourrait lui-même mettre en place un organe de surveillance dont les membres seraient tenus de respecter la confidentialité nécessaire. Un tel mécanisme pourrait convaincre le grand public qu'il existe effectivement un contrôle permanent, même si les détails des diverses activités ne sont pas divulgués au public.
• Les décisions visant à autoriser des mesures spéciales d'enquête pourraient être confiées à l'appareil judiciaire. Celui-ci pourrait également jouer un rôle en jugeant ces méthodes par la suite. La Commission de Venise fait observer que l'extraction de données et d'autres méthodes de collecte d'informations échappent généralement au contrôle judiciaire.
• Des groupes d'experts pourraient être mis en place pour aider à contrôler les activités des services de sécurité. Cette option peut être préférée quand il est nécessaire de veiller à l'indépendance des membres, et parce que les experts disposent de davantage de temps que les parlementaires et les juges pour exercer un tel contrôle. Il existe également des modèles d'organes de contrôle qui combinent les experts et les parlementaires.
• Il faut mettre en place des mécanismes spécifiques offrant une possibilité de recours devant une instance indépendante aux particuliers qui prétendent avoir été victimes des services de sécurité. Cela peut renforcer la responsabilité et favoriser les améliorations du système dans son ensemble.
Les gouvernements pourraient utiliser le Rapport de la Commission de Venise comme un guide pratique pour faire le point sur les lacunes qui ont été si laborieusement révélées.
Thomas Hammarberg
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Strasbourg
25/06/2007
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