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Promouvoir l'éthique et prévenir la corruption au niveau local en Tunisie

 

Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe a réuni lors d’un webinaire des représentants du Congrès, des institutions tunisiennes et des experts pour un échange d’analyses et de bonnes pratiques dans le domaine de la prévention de la corruption au niveau local. La coopération entre le Congrès et la Tunisie se révèle essentielle dans l’évaluation et la mise en pratique de mesures concrètes pour soutenir la décentralisation, renforcer la participation des citoyens et former les élus afin de prévenir la corruption au niveau local en s’attaquant à ses raisons d’être.

La crise sanitaire renforce les traits de la crise systémique au niveau mondial, mettant à rude épreuve la confiance dans la classe politique. Il est d’autant plus essentiel de renforcer la confiance des citoyens dans leurs élus locaux et régionaux qui sont en première ligne pour gérer les services sociaux, du bâtiment, d’aménagement etc. D’après Andreas Kiefer, Secrétaire Général ad interim du Congrès, dans ce contexte, « l’expertise du Congrès, qui se base sur l’expérience de 150 000 collectivités territoriales dans la grande Europe, pourrait aider la Tunisie à consolider ses politiques en la matière ». Organisé par le Congrès, dans le cadre du projet « Promouvoir la gouvernance locale en Tunisie » mis en œuvre avec le soutien du Liechtenstein, de la Norvège et de l’Espagne, ce webinaire a permis un échange entre les représentants du Congrès, l’association nationale des pouvoirs locaux tunisienne, des institutions tunisiennes et des experts afin d’affiner la manière dont le Congrès pourrait contribuer aux efforts de la Tunisie visant à prévenir la corruption au niveau local.

Une expertise européenne au service des élus locaux tunisiens

Le Conseil de l’Europe avait déjà contribué aux travaux sur la Constitution tunisienne (2014) qui insiste sur les valeurs de transparence, de redevabilité, d’impartialité et d’intégrité. Partenaire pour la démocratie locale auprès du Congrès depuis 2019 dans le cadre du partenariat Sud-Med, la Tunisie a bénéficié de l’assistance du Congrès lors de la rédaction du Code des collectivités locales en 2018. Comme l’a souligné Imed Boukhris, président de l’Instance Nationale de Lutte Contre la Corruption (INLUCC) en Tunisie, le Code représente un cadre juridique renforcé qui consacre notamment le droit des administrés d’accéder à l’information. Porte-parole du Congrès sur la promotion de l’éthique publique et la prévention de la corruption aux niveaux local et régional, Andrew Dawson (Royaume-Uni, CRE/ECR) a rappelé que la question de la prévention de la corruption se pose au quotidien partout en Europe, y compris dans sa propre municipalité au Royaume-Uni. Il a souligné l’importance du partage d’expériences et a présenté les guides pratiques, publiés par le Congrès depuis 2016 sous la forme de six rapports thématiques dans la collection “Ethique publique”. Ces outils, traduits en arabe et mis à la disposition des élus locaux tunisiens, sont déjà utilisés par les élus locaux et régionaux en Europe afin de les aider à appliquer dans leur travail quotidien les principes de la bonne gouvernance : responsabilité, transparence, intégrité, respect et non-discrimination, mérite et impartialité.

Dans son exposé, Andrew Dawson a insisté sur la notion de gouvernement ouvert qui implique une plus large participation des citoyens dans le processus politique au niveau local. Il s’agit aussi d’augmenter leur capacité à demander des comptes aux élus sur la base d’informations fiables et disponibles pour tous, notamment à travers la numérisation et la mise en ligne des données. En ce sens, le Code de conduite européen pour toutes les personnes participant à la gouvernance locale et régionale, adopté par le Congrès en 2018 pourrait également servir à la Tunisie, ce dernier s’appliquant à tous les prestataires privés de services publics dont le nombre a augmenté ces dernières années.

En effet, la multiplication des acteurs impliqués dans les procédures d’octroi des marchés publics est une des raisons d’être de la corruption, comme l’a souligné Mme Amelie Tarchys Ingre (Suède, GILD), rapporteur sur la transparence des marchés publics, un rapport adopté par le Congrès en 2017. Chaque année, la corruption dans l’attribution des marchés publics engloutit 5 milliards d’euros eu sein de l’Union européenne, portant un coup fatal à la confiance des citoyens. D’où les recommandations du rapport du Congrès en 2017 dont pourrait bénéficier également la Tunisie : instituer un Ombudsman (médiateur) pour traiter des signaux de pratiques suspicieuses; mieux former les élus pour traiter avec les entreprises; évaluer les risques de corruption dans les diverses procédures existantes ; définir clairement des concepts tels que le népotisme, le conflit d’intérêt etc., en comptant non seulement sur les mesures normatives, mais aussi sur un changement progressif des pratiques du bas vers le haut.

Enfin, fort de son expérience auprès des élus locaux en Ukraine durant la période 2013 - 2019, Marc Cools (Belgique, GILD), membre du Congrès et ancien président de l’Association de la Ville et des Communes de la Région de Bruxelles-Capitale a souligné l’importance de traiter les raisons d’être de la corruption telles que le niveau très bas des salaires et de la formation des fonctionnaires, ainsi que l’insuffisance des budgets des municipalités.

La prévention de la corruption au niveau local face à la résistance de l’Etat « profond »

Pour mieux appréhender les défis de la situation concrète en Tunisie, Imed Boukhris, président de l’Instance Nationale de Lutte Contre la Corruption (INLUCC) et Adnane Bouassida, président de la Fédération Nationale des Communes Tunisiennes (FNCT) ont brossé un tableau des mesures normatives et des projets menés pour prévenir la corruption et élever l’éthique des élus locaux. La création d’une institution indépendante telle que l’INLUCC, mais aussi l’adoption en 2019 du nouveau statut de la FNCT marquent la volonté de poursuivre le processus de démocratisation et de décentralisation dans le pays. Néanmoins, comme l’a souligné M. Imed Boukhris, la décentralisation implique aussi un risque de décentralisation de la corruption. D’où l’importance de projets expérimentaux tels que les Îlots d’intégrité, réalisé en coopération avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), mais aussi la mise en place d’une certification RNG (Référentiel National de la Gouvernance) qui vise à consolider l’intégrité et l’éthique professionnelle, faisant valoir l’approche participative dans la gouvernance aux niveaux local et régional.

Adnane Bouassida a rappelé que toutes ces mesures partielles ne s’intègrent pas dans une vision nationale cohérente : seuls 9 décrets d’application sur les 38 du Code des collectivités locales ont été promulgués à ce jour. La résistance de l’Etat « profond » au processus de décentralisation et de démocratisation entretient un état d’esprit qui considère la corruption comme faisant partie des mécanismes légitimes de gestion publique. Un constat confirmé par l’expertise du professeur Moktar Lamari, dont l’étude et les sondages menés à Djerba démontrent que les pratiques de corruption sont ancrées dans une société où les fonctionnaires sont très mal rémunérés, et où les pots de vins et l’abus de pouvoir représentent un mode de fonctionnement courant de l’administration, tandis que le népotisme n’est pas du tout considéré comme condamnable. Pour vaincre la résistance au changement, le projet Ilots d’intégrité de PNUD, présenté par Mme Thouraya Bekri, coordinatrice du programme en Tunisie, propose une méthodologie basée sur l’évaluation des risques de corruption et la mise en place de nouvelles pratiques de prévention à partir de sites pilotes au sein des administrations et des institutions publiques, dont le modèle sera élargi petit à petit.

Ainsi, tous les participants au débat ont convenu que la gestion normative du problème de la corruption au niveau local est insuffisante et inefficace. La prévention efficace de la corruption requiert une méthodologie complexe qui implique la coopération entre les différents acteurs - locaux, nationaux et internationaux - capables d’initier et de mettre en œuvre ensemble un changement durable des pratiques. Le soutien du Congrès s’inscrit dans cette démarche et accompagne les efforts des élus locaux en Tunisie.

 

Ce webinaire s’inscrit dans le cadre du programme de Partenariat Sud-Med adopté par le Congrès en 2017 dont la finalité est d’accompagner les réformes territoriales et de renforcer la gouvernance décentralisée dans les pays voisins bénéficiaires. Ce programme contribue à la réalisation des volets local et régional de la politique du Conseil de l’Europe à l’égard des régions voisines, en particulier des Partenariats de voisinage avec le Maroc et avec la Tunisie (2018-2021). Les activités organisées dans ce cadre bénéficient du soutien financier du Liechtenstein, de la Norvège et de l’Espagne.

Strasbourg, France 16 octobre 2020
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