Dans le cadre de sa contribution au 10e Forum mondial de la démocratie, qui s'est tenu à Strasbourg du 7 au 9 novembre 2022 sous le thème "Démocratie : un nouvel espoir ?", le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux - l'organe chargé de renforcer la démocratie locale et régionale dans les 46 États membres du Conseil de l'Europe - a organisé une session de travail (Lab7) le 8 novembre pour aborder la polarisation de la société et le renforcement de l'engagement démocratique comme moyen de la contrer. Six initiatives présentées lors du Lab ont cherché à répondre, chacune à leur manière, aux défis de la polarisation et à promouvoir l'engagement des citoyens dans le processus démocratique.
Les défis des multiples crises actuelles - changement climatique, pandémie de Covid-19, répercussions de la guerre en Ukraine - ont exacerbé les problèmes sociaux et économiques dans le monde entier, réduisant considérablement la confiance dans la démocratie représentative. L'extrémisme de toutes sortes fragmente les sociétés et menace le dialogue constructif et la paix sociale. « Ecouter, apprendre rapidement et faire : voilà les phases clés de toute stratégie de lutte contre la polarisation » a résumé Thomas Andersson, président de la Commission des questions d'actualité du Congrès et modérateur du Lab7.
Des solutions innovantes pour contrer les facteurs de polarisation
La Boite à outil de prévision stratégique présentée par l'Institut républicain international (IRI) aux Etats-Unis est en effet le fruit de ces trois étapes d’élaboration du projet. Conceptualisé à partir des expériences délibératives en Colombie, Guinée et Soudan, l’outil a été conçu surtout pour des pays en transition. D’abord, il s’agit d’identifier les acteurs politiques et de la société civile qui convient d’impliquer dans le processus délibératif, ensuite de cartographier les conflits potentiels entre différents groupes et fractions politiques, puis d’esquisser des scénarios potentiels de la transition pour enfin construire un consensus entre les parties prenantes. Mis en ligne sur le site de l’institut www.iri.org, « cet instrument analytique et pratique peut être adapté pour d’autres contextes politiques, y compris en Europe », ont souligné Lauren Mooney et Louis Metcalfe, experts de l’IRI. Son exposé a été salué par Andrew Boff, membre de la Commission de suivi du Congrès, qui a souligné que cette expérience pourrait permettre aux maires de « mieux anticiper et prévenir les problèmes qui aggravent la polarisation dans leurs municipalités », y compris à partir d’un « rapport face à face avec leurs électeurs ».
L’initiative entreprise par la ville de Mostar en coopération avec le Congrès répond, quant à elle, aux besoins de reconstruire la confiance démocratique après une période de guerre, dans une municipalité qui fait coexister différentes communautés ethniques et religieuses. D’après Marin Culjak, directeur du Cabinet du Maire de la ville de Mostar, la tenue en juillet 2021 d’une assemblée citoyenne délibérative avec des participants tirés au sort selon une méthodologie inclusive, a été un franc succès. Inscrit dans le cadre du plan d'action du Conseil de l'Europe pour la Bosnie-Herzégovine 2018-2021, le projet pourrait ainsi inspirer la tenue d’initiatives similaires dans d’autres villes balkaniques ou européennes, d’autant plus que la Conférence des OING, le Congrès et la Division des élections et de la démocratie participative au Conseil de l’Europe ont mis en ligne un outil de partage d’expériences de ce type – la plateforme BePART. La plateforme permet aux activistes de la société civile et aux représentants des autorités locales et régionales de s'inspirer des bonnes pratiques dans le domaine de la participation civile, mais aussi de partager leurs propres expériences et analyses. Toutes les parties intéressées peuvent trouver des projets dans leur région ou leur domaine d'intérêt et contribuer à BePART.
Partager et conceptualiser des expériences dans différents contextes nationaux est aussi un des objectifs de l’initiative BRIDGE, cofinancée par l'UE et réalisée par le Forum européen pour la sécurité urbaine (Efus). Regroupant 13 villes européennes, l’initiative propose d’évaluer les facteurs de risque qui aggravent la polarisation et alimentent la montée l’extrémisme, mais aussi les facteurs protectifs qui renforcent la cohésion sociale. Augmenter la complexité cognitive pour prévenir la pensée manichéenne, changer la perception mutuelle des « groupes ennemis » à travers des rencontres informelles – voilà quelques pistes pour lutter contre la polarisation d’après Julia Rettig, chargée de mission à l’Efus.
Engager les jeunes à travers la démocratie délibérative
Les jeunes représentent un groupe clé dans toutes les initiatives présentées, mais l’expérience de Valongo, ville de 100 000 habitants au Portugal, est sans égal à bien des égards. Depuis neuf ans la gouvernance locale a mis en place des procédures délibératives innovantes qui y incluent les jeunes, parfois même les enfants de six ans. « Je n’oublierai jamais l’enthousiasme dans les yeux des enfants de 9-10 ans que nous avons fait participer dans nos discussions sur la planification urbaine », a rappellé le maire de Valongo, Jose Ribiero. « Il faut avoir de l’audace et une volonté sincère à ouvrir le dialogue avec les citoyens et les jeunes en les encourageant à s’exprimer librement, sans les censurer » a-t-il poursuivi, en ajoutant que « c’est notamment à travers le dialogue intergénérationnel que nous pourrons le mieux lutter contre la polarisation. »
Le dialogue intergénérationnel est d’ailleurs un des objectifs clés de l’Académie d'été annuelle de l’Assemblée des Régions d'Europe (ARE) qui se tient depuis 1996 et joue le rôle de « pépinière de projets pour la coopération interrégionale en Europe », selon l'ARE, qui fait participer à l’Académie d’été des représentants régionaux qui travaillent avec des jeunes nommés par leurs autorités régionales. Une procédure d’ailleurs trop confidentielle d’après le délégué jeune du Congrès Prodromos Tzounopoulos qui a suggéré de « mieux faire connaître l’Académie auprès des jeunes européens » comme un outil important pour former des réseaux de coopération durables entre les régions, mais aussi la création d’espaces de délibération vitaux pour faire régénérer le processus démocratique. « La démocratie n’est pas un acquis, elle se fane si on oublie de la renouveler », a conclu Nina Björby, conseillère Régionale de Västerbotten (Suède) et Vice-Présidente de l’ARE pour la démocratie, s'exprimant à la fin du Lab.