La Justice en Europe face aux défis du numérique 

Conférence organisée dans le cadre de la Présidence française du Comité des ministres du Conseil de l’Europe

Strasbourg, 14-15 octobre 2019


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Page d'accueil de la conférence 

Cette conférence des ministres de la justice, organisée par la France et portant sur « La Justice en Europe face aux défis du numérique », s’inscrit dans la continuité des travaux du Conseil de l’Europe en matière de société de l’information, d’algorithmes et d’intelligence artificielle (IA). Outre des publications comme la Charte éthique européenne pour l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les systèmes judiciaires et les lignes directrices sur les implications de l'IA en matière de protection des données, une Conférence de haut-niveau sur les impacts de l’IA sur les droits de l’Homme, la démocratie et l’Etat de droit organisée par la Finlande en février 2019 a ouvert d’importantes perspectives de réflexion, que cette conférence se propose de poursuivre.

L’espace numérique occupe aujourd’hui une place centrale dans nos sociétés démocratiques. Ses développements et mutations offrent des opportunités pour améliorer la qualité et l’efficacité des institutions judiciaires, mais font également naître de nouveaux défis. Les principes fondamentaux de nos systèmes judiciaires, tels que l’indépendance et l’impartialité du juge, mais aussi la primauté de la règle de droit et la protection des libertés fondamentales, sont à préserver dans ce nouvel espace numérique. Les mécanismes assurant leur garantie devront certainement être enrichis voire réinventés.

 L’accès au droit et à la justice

est un élément fondamental du pacte social et une exigence pour toute société démocratique, fondée sur l’Etat de droit. Cette exigence est principalement garantie par l’article 6 (droit à un procès équitable) et l’article 13 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne des droits de l’Homme. Les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent garantir à chacun le droit de saisir la justice afin de bénéficier d’un recours effectif et, le cas échéant, d’une réparation adéquate.

Dans de nombreux Etats membres, les outils numériques sont déjà une opportunité pour améliorer l’accès à l’information juridique, simplifier la saisine des tribunaux, assurer une meilleure information des parties au procès, améliorer l’efficacité de la justice et réduire la durée de traitement des procédures juridictionnelles. Ils sont l’un des meilleurs leviers pour rendre une justice de qualité, dans des conditions optimales de célérité et de coût. Ces outils peuvent également contribuer à une meilleure connaissance du droit et à la valorisation du patrimoine jurisprudentiel. Si l’accès au droit et à la justice de façon non-numérique, notamment à l’égard des publics les plus en difficulté, sera toujours indispensable, il n’en reste pas moins que l’open data des décisions de justice et les outils de traitement des données par l’IA peuvent offrir aux citoyens et aux professionnels du droit l’accès à des modalités augmentées de recherche et amélioreront ainsi la connaissance des décisions de justice. Par ailleurs, ils seront de nature à dynamiser l’offre de service en ligne aux professionnels et aux citoyens, dont les modes extra-juridictionnels ou alternatifs de règlements de litiges tels que l’arbitrage, la conciliation ou la médiation. Un large panel de réponses permettra aux parties de choisir le meilleur mode de résolution pour les spécificités de leur contentieux, sans nécessairement avoir d’abord recours à un tribunal.

Mais ces avancées suscitent à leur tour de nouveaux questionnements : comment, dans cet environnement numérique, maintenir le droit à un recours et l’accès effectif au juge et son contrôle, garantir l’application de la règle de droit, l’égalité des armes entre les justiciables et l’individualisation des décisions de justice ? Comment permettre que les solutions numériques ne portent pas atteinte aux droits fondamentaux, éviter de renforcer la fracture numérique, ou encore protéger les justiciables contre le profilage? Le développement d’une « offre numérique » de justice, notamment privée, semble devoir s’effectuer dans un cadre et des garanties suffisantes à même de ne pas dénaturer la mission ainsi déléguée mais, également, de prévenir toutes violations des principes et valeurs défendues par le Conseil de l’Europe.

En ce qui concerne la justice pénale,

le développement de ces outils numériques, y compris ceux utilisant de l’IA, posent encore d’autres enjeux. Ces outils offrent des potentialités nouvelles, susceptibles d’être mises au service de l’efficacité et de la qualité de la réponse judiciaire. S’ils permettent aux forces de l’ordre et aux autorités de poursuite de disposer de moyens performants d’investigation, en particulier dans des contentieux comme les luttes contre la criminalité organisée, le terrorisme, le blanchiment et la pédopornographie, leur mise en œuvre doit s’effectuer dans un cadre strict de respect des droits fondamentaux, dont l’autorité judiciaire est garante.

Il doit également être gardé à l’esprit que ces outils et technologies, en constante évolution, servent de vecteur de commission de nouvelles formes d’infractions ou de propagation de contenus illégaux, notamment haineux. Ils exposent nos sociétés à la propagation de fausses nouvelles ou d’informations malveillantes, qui peuvent affecter nos processus démocratiques, notamment en période électorale.

Ainsi, un usage hâtif, mal informé ou non encadré de ces outils numériques paraît de nature à menacer l’effectivité des droits consacrés par la Convention européenne des droits de l’Homme, tels le droit à un procès équitable (article 6), le droit au respect de la vie privée et familiale (article 8) incluant la protection des données personnelles, le droit à la liberté d’expression et d’information (article 10) et l’interdiction de la discrimination (article 14).

La conférence des ministres de la Justice permettra aux Etats membres de discuter et de partager leurs expériences quant aux moyens pour la justice en Europe de faire face aux défis du numérique tout en préservant l’Etat de droit, la démocratie et les droits de l’Homme. Elle sera aussi l’occasion de tracer des perspectives de travaux pour le Conseil de l’Europe, afin d’adapter ses modes d’intervention à une société ayant déjà basculé dans une ère numérique, notamment par de nouvelles modalités de régulation, en accord avec nos principes et nos valeurs communes, et d’assurer une meilleure mise en œuvre de ses instruments.