Politique linguistique éducative du Conseil de l’Europe
Des finalités poursuivies de longue date
A l’issue du deuxième conflit mondial, la construction de fondements solides à une paix durable entre les peuples a mené à la création du Conseil de l’Europe et a constitué la grande priorité de ses programmes. C’est dans cet esprit que la connaissance réciproque entre les pays devait être encouragée, et l’apprentissage des langues et cultures respectives a été envisagé comme l’une des mesures les plus efficaces.
C’est ainsi que, depuis 1954, au titre de la Convention culturelle européenne, le Conseil de l’Europe mène des activités de promotion de la diversité linguistique et de l’apprentissage des langues dans le domaine de l’éducation.
L’article 2 de cette Convention appelait les états signataires à promouvoir l’enseignement et l’apprentissage de leurs langues respectives :
"Chaque Partie contractante, dans la mesure du possible,
- a) encouragera chez ses nationaux l'étude des langues, de l'histoire et de la civilisation des autres Parties contractantes, et offrira à ces dernières sur son territoire des facilités en vue de développer semblables études, et
- b) s'efforcera de développer l'étude de sa langue ou de ses langues, de son histoire et de sa civilisation sur le territoire des autres Parties contractantes et d'offrir aux nationaux de ces dernières la possibilité de poursuivre semblables études sur son territoire."
Dans l’esprit de cet article, et en réponse aux évolutions des besoins et des priorités des États membres, se développent depuis lors des actions du Conseil de l’Europe en matière de politique linguistique éducative. Actions qui visent non seulement à promouvoir l’apprentissage des langues, mais aussi à garantir et renforcer les droits linguistiques, à approfondir la compréhension mutuelle, à consolider la citoyenneté démocratique et à contribuer à la cohésion sociale.
Dans cette optique, la sauvegarde et la valorisation du plurilinguisme et de l’interculturel sont des objectifs poursuivis, entre autres, par la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, proposée depuis 1992 à la ratification des États membres. Par ailleurs, la Convention cadre pour la protection des minorités nationales, entrée en vigueur en 1998, considère qu’une société pluraliste et véritablement démocratique doit respecter l’identité ethnique, culturelle, linguistique et religieuse de toute personne appartenant à une minorité nationale.
Des évolutions notables
Les évolutions majeures dans les orientations de politique linguistique du Conseil de l’Europe, suite notamment à l’accroissement important du nombre des États membres depuis les années 1990, tiennent à différents facteurs :
- la demande d’instruments européens communs de référence pour les langues, s’agissant d’apprentissage, d’enseignement ou d’évaluation rendant possible la comparabilité des systèmes éducatifs quant à l’enseignement des langues étrangères et quant aux certifications linguistiques ;
- l’intégration de la dynamique centrée sur l’enseignement des langues étrangères à un projet éducatif plus large mais reposant toujours sur la pluralité linguistique et culturelle, à la fois fin et moyen ;
- l’attention portée non plus seulement aux acteurs sociaux comme individus, mais tout autant aux groupes sociaux et en particulier à la prise en compte des publics vulnérables ou à l’intégration linguistique des adultes migrants ;
- la multiplication des études et débats relatifs au multilinguisme sociétal et au plurilinguisme individuel dans des contextes nationaux et internationaux marqués par des formes diverses de mobilité autant que par des rapports complexes à l’altérité ;
- la reconnaissance de l’importance de la prise en compte des dimensions linguistiques dans l’enseignement-apprentissage de toute discipline scolaire en vue d'assurer l'accès à l’éducation pour tous ainsi que la qualité et l’équité des systèmes éducatifs.
Avec ces perspectives, les concepts de plurilinguisme et de interculturalisme ont pris une importance considérable. Ils ne concernent, en effet, plus uniquement les langues étrangères, mais interrogent fortement le rôle de la ou des langues de scolarisation comme « lieux » d’accueil et de mise en valeur des langues premières des apprenants (qu’il s’agisse de langues régionales, minoritaires, de la migration ou encore des variétés de la langue de scolarisation) en tant qu’appuis pour tout autre apprentissage. Ces concepts renvoient désormais à une vision globale et intégrée – mais nullement unifiée ni homogénéisée − des compétences linguistiques et culturelles que construisent les individus en société. Bien que diversement caractérisées au niveau social, psychologique, cognitif, identitaire …, les langues et cultures individuelles ne sont pas pensées comme des entités séparées les unes des autres. En effet, les capacités plurilingues et interculturelles de chaque acteur social sont posées comme constituant un ensemble complexe − un répertoire global de ressources variées et plus ou moins hétérogènes − dont les diverses composantes interagissent entre elles et peuvent être différemment mises en œuvre selon les contextes et les situations rencontrées.
Citoyenneté démocratique et cohésion sociale
L’approche initiale des projets du Conseil de l’Europe, consistant à encourager l’acquisition d’un bon niveau de compétence communicative, était déjà motivée par la multiplication des possibilités d’interaction et de circulation en Europe et marquait le fondement de l’unité dans la diversité de cette dernière. Cette approche demeure d’actualité. Toutefois, la mondialisation et l’internationalisation posent de nouveaux défis en termes d’intégration, d’inclusion et de cohésion sociales. Si les compétences linguistiques des citoyens restent évidemment un critère important en matière d’emploi et de mobilité, elles sont également nécessaires pour participer activement aux processus sociaux et politiques qui sont partie intégrante de l’exercice d’une citoyenneté démocratique dans les sociétés multilingues des États membres.
Cet intérêt croissant pour des politiques linguistiques visant à renforcer la citoyenneté démocratique et la cohésion sociale traduit bien la priorité que le Conseil de l’Europe accorde à l’éducation pour la citoyenneté et le dialogue interculturel au XXIème siècle où le rôle central que jouent les compétences en langues n’est plus à démontrer.
Des actions et des instruments diversifiés
Les projets successifs qui ont été menés dans le domaine des politiques linguistiques éducatives par le Conseil de l’Europe ont abouti non seulement à l’élaboration de recommandations adoptées par son Comité des ministres et de son Assemblée parlementaire (APCE), mais surtout à la mise à disposition des États membres et d’autres ordres d’usagers (formateurs, auteurs de programmes et de manuels, enseignants, organisations nationales et internationales…), de documents de référence, de guides pour les curriculums, d’outils directement utilisables. De nombreuses ressources sont ainsi disponibles sur des sites dédiés. Par ailleurs, à la demande d’états ou de régions, des « profils » de politique linguistique éducative ont été établis au niveau national ou plus local avec le concours d’équipes internationales constituées par le Conseil de l’Europe.
Enfin, depuis sa création en 1994 par le Conseil de l’Europe, le Centre européen pour les langues vivantes (CELV) de Graz, en Autriche (un Accord partiel, avec, pour objectif initial, la mise en œuvre des politiques linguistiques conçues à Strasbourg et la formation des enseignants), a fortement contribué à la collaboration européenne dans le domaine des langues. Par l’effet de ses programmes de moyenne durée, le CELV a permis la production et la diffusion de travaux et d’instruments innovants, la constitution de communautés de pratique internationales ainsi que la création de réseaux internationaux de professionnels des langues qui ont favorisé les échanges au niveau de la recherche et de la pratique.
Une reconnaissance dans l’espace européen
Avec l’appui et la collaboration de ses États membres, le Conseil de l’Europe s’est au fil de temps pensé, voulu et construit comme l’une des institutions concourant le plus activement possible à la constitution d’un espace européen de l’éducation linguistique. Celle-ci est comprise comme une éducation aux langues et par les langues dans des sociétés profondément marquées par une pluralité linguistique et culturelle se diversifiant progressivement. Et cela au service de valeurs qui, non seulement inscrivent les politiques linguistiques éducatives dans la perspective d’une éducation exigeante en termes de qualité et d’équité, mais aussi placent ces politiques au fondement de la citoyenneté démocratique et du vivre ensemble.