Strasbourg, 1er février 2023

Déclaration de Petra Roter, Présidente du Comité consultatif 

Fêter un quart de siècle est une étape importante dans la vie de tout un chacun, et particulièrement pour la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales.

Vingt-cinq ans, cela signifie que notre Comité consultatif mène actuellement son cinquième cycle de suivi, que nous avons effectué cinq visites de terrain dans presque tous les États parties ainsi qu’au Kosovo*, et que nous avons rédigé cinq avis sur presque tous ces pays. Nous avons rédigé quatre commentaires thématiques qui expliquent et détaillent l'éducation, la participation, les droits linguistiques et le champ d'application de la Convention-cadre.

Ce travail assidu nous a permis d’élaborer une jurisprudence importante et contribue, à chaque nouvel avis, au développement des droits des minorités en droit international et à la compréhension contemporaine de la manière dont la diversité doit être gérée par le biais des droits des minorités afin d'atteindre les objectifs de la Convention-cadre. Le Comité consultatif, fort des nombreux experts indépendants qui ont participé à ses travaux depuis sa création, peut à juste titre être fier de ce bilan. 

La violente partition de la Yougoslavie est venue renforcer la volonté du Conseil de l'Europe de rédiger un traité juridiquement contraignant, dédié spécifiquement à la protection des minorités nationales. Nous pouvons constater que les principes et droits clés énoncés dans la Convention-cadre sont aussi pertinents aujourd'hui qu'ils l'étaient dans les années 1990. La Convention-cadre vient sans ambiguïté établir le caractère universel des droits des minorités en tant que droits humains et souligner que leur mise en œuvre est une question d'intérêt international commun : les droits des personnes appartenant aux minorités nationales, quelle que soit la manière dont ces communautés sont désignées dans les différents États, doivent être protégés et leur accès doit être garanti par les autorités à tous les niveaux.

La Convention-cadre vise à permettre aux personnes appartenant aux minorités d'être égales en droit et en fait, de pouvoir préserver, promouvoir et développer leur identité et de pouvoir participer effectivement à tous les aspects de la vie des sociétés diverses dans lesquelles elles vivent et auxquelles elles contribuent. Plus crucial encore, elle ouvre également la voie à l'intégration et à la cohérence sociétales et, par conséquent, à la paix et à la stabilité au sein des États et de la communauté internationale. Cette intégration sociétale doit être un processus d'adaptation mutuelle fondé sur l'acceptation et la reconnaissance des minorités en tant que partie intégrante et valorisée de ces sociétés. Et cela exige des efforts de la part de tous - des autorités à tous les niveaux, de la population majoritaire et des personnes appartenant aux minorités. La Convention-cadre est un instrument pour des sociétés diverses, plus qu'un simple traité pour les minorités et les personnes qui en font partie.

Dans toute l'Europe, un solide corpus législatif portant sur les minorités et permettant de lutter contre la discrimination est désormais en place et nos recommandations continuent d'être utilisées, non seulement par les autorités auxquelles elles s'adressent, mais aussi par la société civile et les organisations de défense des minorités pour défendre leurs droits. Nos recommandations sont destinées aux autorités afin de les guider pour garantir l'accès aux droits des minorités et les aider à s'intégrer dans la société. Les États doivent ainsi reconnaître la valeur de la diversité et de leurs minorités. Cet objectif tourné vers l'avenir repose sur les promesses de la Convention-cadre et s'appuie sur les expériences difficiles de l'histoire de l'Europe et les nombreux expériences de politiques identitaires nationalistes et populistes qui font des minorités des boucs émissaires et les considèrent comme un "problème".

Malheureusement, cet instrument, qui a vu le jour à la suite d'un conflit violent, est à nouveau témoin 25 ans après, de la guerre en Europe. L'utilisation abusive par la Fédération de Russie des droits des minorités comme prétexte à l'agression contre l'Ukraine le montre très clairement. Comme le Comité consultatif l'a déclaré en 2021, le sort des personnes appartenant aux minorités nationales et aux peuples autochtones en Ukraine - en particulier les Tatars de Crimée qui ont dû fuir leur foyer une fois de plus - est une tâche sur la conscience de l'Europe.

Le Comité consultatif n'a cessé de souligner l'importance du principe fondamental de la Convention-cadre selon lequel la responsabilité première d'assurer l'accès aux droits des minorités pour les personnes appartenant à ces dernières incombe à l'État où elles résident. C'est là que la confiance commence à se construire. Les éléments clés de cette responsabilité sont le renforcement de la confiance dans des institutions inclusives, l'égalité effective du processus et des résultats, y compris dans des domaines aussi importants que l'éducation et la participation effective des personnes appartenant aux minorités à la prise de décision, tout en tenant compte des diversités intracommunautaires. Les États devraient être capables de s'accommoder de la diversité et de l'accepter, plutôt que de la considérer comme un problème ou une menace. Une telle peur et une telle méfiance n'ont jamais donné de bons résultats tout au long de l'histoire européenne, et nous devrions garder cela à l'esprit aujourd'hui. Les récits nationalistes qui prétendent proclamer l'unité nationale servent à exclure les minorités nationales et les autres communautés ou personnes qui leur appartiennent. La politique identitaire qui cherche à diviser les personnes et les communautés ne sert pas les principes et les objectifs de la Convention-cadre.

En outre, au cours de ces 25 années, nous avons été confrontés à d'autres défis à plus long terme qui ont récemment atteint leur point d'ébullition : le changement climatique en est un exemple frappant. De l'Arctique au Caucase, le changement climatique affecte la capacité des personnes appartenant aux minorités nationales à participer de manière effective à la vie économique et sociale de leur pays, car les industries et les modes de vie traditionnels sont menacés. La pandémie de Covid-19 a encore mis en évidence les inégalités et les effets de la pauvreté et de l'exclusion à long terme des personnes appartenant aux minorités les plus marginalisées. Le développement sans précédent des nouvelles technologies, y compris dans les médias, n'apporte pas seulement de nouvelles opportunités, mais présente également de nombreux risques. Les minorités et les personnes qui en font partie ne sont pas en mesure de profiter de la même manière de ces opportunités et sont exposées à des risques plus importants.

Le Comité consultatif examine désormais systématiquement la position des femmes appartenant aux minorités nationales et les expériences de discrimination intersectionnelle qu’elles ont subies. En dépit d’une sensibilisation politique accrue aux questions de genre, trop peu d'actions ont été menées : les sociétés doivent donner aux femmes appartenant aux minorités nationales les outils nécessaires pour participer à leur société sur un pied d'égalité, afin qu'elles puissent répondre à leurs besoins spécifiques et poursuivre leurs intérêts. De même, les jeunes issus des minorités nationales ont besoin de ces mêmes opportunités, et les besoins spécifiques des personnes âgées, notamment en matière d'accès à la santé et aux soins, doivent être traités efficacement. La gestion de la diversité par le biais des droits des minorités doit donc tenir compte des diversités intracommunautaires et être ajustée en fonction des besoins et intérêts spécifiques des différents segments des communautés.

Les Roms et les Gens du voyage continuent d’être les victimes d'antitsiganisme et d'anti-nomadisme. Bien que nous ayons observé quelques bons exemples d'amélioration de l'accès au logement, à l'éducation et aux soins de santé, les Roms et les Gens du voyage à travers l'Europe continuent d'être confrontés à des résultats moins bons en matière d'éducation et de soins de santé, et beaucoup continuent de vivre dans des conditions de logement inacceptables. L'importance de l'enseignement de la ou des langues roms est également trop souvent négligée, tout comme le droit à une participation effective. Les États doivent faire davantage pour résoudre ces problèmes. Alors que de nombreux États ont accueilli des réfugiés en provenance d’Ukraine, les Roms d'Ukraine n'ont pas toujours reçu le même accueil que d'autres personnes placées dans la même situation. La marginalisation de ces communautés doit être abordée de manière plus systématique et plus efficace.

Un anniversaire est l'occasion de se pencher sur le passé, d'évaluer les réalisations et ce que nous pourrions améliorer. Ces 25 dernières années offrent de nombreuses occasions de réflexion, et tous ceux d'entre nous qui s'intéressent à la protection des minorités devraient se demander ce qui aurait pu être mieux fait, et comment nous pouvons tous améliorer nos efforts et les résultats de notre travail collectif à l'avenir.

Un anniversaire est donc aussi l'occasion de se tourner vers l'avenir et de se demander à quoi devraient ressembler les 25 prochaines années. Avant tout, nos sociétés devront en apprendre davantage sur notre diversité et l'apprécier comme une partie intégrante et précieuse de ce que nous sommes en Europe. La gestion de la diversité exige des efforts et un engagement de chacun, et ses effets positifs profitent à tous. Le Comité consultatif s'efforcera d'apporter sa contribution à ce processus, en prodiguant des conseils indépendants aux autorités sur la meilleure façon d'atteindre les objectifs sur lesquels la Convention-cadre a été construite, sur la base du respect mutuel, du dialogue interculturel et de la garantie d'un accès effectif aux droits des minorités pour toutes les personnes appartenant aux minorités. Le Comité consultatif reste fermement convaincu que la Convention-cadre nous fournit les outils pour continuer à faire mieux, pour continuer à plaider en faveur du progrès des droits des minorités, et pour rétablir la paix, la sécurité et la stabilité en Europe.

25 ans d'engagement en faveur de la diversité »


*Toute référence au Kosovo dans le présent texte, qu’il s’agisse de son territoire, de ses institutions ou de sa population, doit être entendue dans le plein respect de la Résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, sans préjuger du statut du Kosovo.