Retour Malte - Avis urgent sur la réforme des exigences en matière de procès équitable concernant les sanctions administratives

1034/2021

Demandé par : Malte, Ministre de de la Justice, de l'Egalité et de la Gouvernance

Mesures recommandées : En ce qui concerne la question de savoir si la réforme envisagée doit être réalisée par un amendement constitutionnel ou par un changement des règles d'interprétation contenues dans la loi d'interprétation, la Commission de Venise rappelle que le « dernier mot » dans l'interprétation de la Constitution dans un cas donné revient à la Cour constitutionnelle. Les décisions de la Cour constitutionnelle sont définitives et contraignantes et obligent le Parlement à abroger/modifier les dispositions jugées inconstitutionnelles et à suivre l'interprétation donnée par la Cour constitutionnelle. Le Parlement a néanmoins le pouvoir d'amender la Constitution pour prévoir une interprétation différente de celle donnée par la Cour constitutionnelle, à condition que la procédure d'amendement constitutionnel soit dûment suivie. La majorité qualifiée requise à l'article 66.1 de la Constitution pour un amendement constitutionnel implique qu'un large consensus doit être trouvé entre la majorité parlementaire et l'opposition, donnant à cette dernière le pouvoir de participer, de superviser et même de bloquer la décision sur l'amendement. Poursuivre le résultat d'un amendement constitutionnel dans une procédure qui requiert une majorité simple irait à l'encontre de l'objectif de l'exigence de super-majorité de l'article 66. Une interprétation du pouvoir d'interprétation du Parlement si large qu'elle permette de l'utiliser comme une alternative aux procédures d'amendement ouvrirait la voie au gouvernement en place pour contourner facilement les droits individuels et les autres protections prévues par la Constitution. Il s'ensuit que, selon l'avis de la Commission de Venise, la réforme devrait être réalisée par l'amendement de l'article 39 de la Constitution. La Commission note également que l'UE et les autres organismes internationaux de surveillance tels que le GAFI, Moneyval et le Greco n'exigent pas en tant que tels que les autorités de régulation aient le pouvoir d'imposer des sanctions pénales, mais exigent qu'elles aient le pouvoir d'imposer une série de sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives, qu'elles soient pénales, civiles ou administratives. Les autorités de régulation qui ont des pouvoirs de sanction en plus des pouvoirs de conseil et d'enquête doivent offrir des garanties d'indépendance et d'impartialité. L'article 6 de la CEDH exige que l'autorité administrative respecte les règles fondamentales d'un procès équitable et que la décision fasse l'objet d'un contrôle juridictionnel (tant sur les questions de fait que de droit) par une cour ou un tribunal établi par la loi. À Malte, après les arrêts de la Cour constitutionnelle qui précisent que les procédures impliquant des sanctions de nature pénale doivent se dérouler entièrement devant un tribunal, un « système à double voie » a été introduit dans le secteur du droit de la concurrence, selon lequel l'autorité de régulation a le pouvoir de fixer des normes et d'enquêter sur leur respect, tandis que la décision et l'imposition de la sanction nécessitent une demande auprès d'un tribunal. Plusieurs interlocuteurs à Malte estiment que ce système à double voie devrait être introduit dans tous les domaines dans lesquels les autorités de régulation opèrent. Les autorités ainsi que d'autres interlocuteurs ont en revanche souligné les retards dans les procédures judiciaires et le manque d'expertise des tribunaux et de la police. Selon l'avis de la Commission de Venise, le choix auquel les autorités maltaises sont confrontées est complexe : offrir toutes les garanties d'un procès équitable est certainement un objectif légitime, mais il en va de même pour une action réglementaire efficace, notamment dans le domaine de la lutte contre la corruption et le blanchiment d'argent. Il y a aussi le problème que les systèmes de contrôle actuels de Malte peuvent être sous-dimensionnés par rapport à la taille des industries qu'ils contrôlent, et/ou que les sanctions, même les moins graves, peuvent ne pas être suffisamment imposées. En tout état de cause, les arrêts de la Cour constitutionnelle ne créent pas une solution toute faite - à savoir confier simplement la détermination des sanctions « pénales » aux tribunaux pénaux ordinaires. Si cette approche doit être adoptée, des ressources beaucoup plus importantes doivent être mises à disposition, l'efficacité judiciaire doit être améliorée, le problème du manque d'expertise judiciaire doit être résolu, tout comme les problèmes de coordination qui découlent de l'existence d'un ou plusieurs systèmes à « double voie ». Selon l'avis de la Commission, dans la mesure où la protection offerte par le système maltais est supérieure à celle offerte par l'article 6 de la CEDH tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, l'article 53 de la CEDH n'exige pas que la Constitution maltaise soit alignée sur la CEDH. L'article 53 de la CEDH n'empêche pas non plus un tel alignement, mais la Commission souhaite souligner que toute limitation, et a fortiori toute suppression, d'un droit ou d'une liberté fondamentale doit être envisagée avec la plus grande prudence, en tenant compte notamment de la nécessité d’équilibrer ce droit ou cette liberté avec d'autres droits fondamentaux. En ce qui concerne en particulier le projet de loi n° 166 qui prévoit que les autorités de régulation indépendantes peuvent imposer des sanctions administratives « pénales » à condition qu'il existe un droit de recours devant une cour ou un tribunal indépendant, la Commission de Venise estime qu'il pourrait être amélioré en précisant que les protections constitutionnelles ou légales qui limitent l'exercice du pouvoir par les autorités de régulation continueront de s'appliquer lorsqu'elles exerceront la nouvelle compétence en matière de sanctions. Il pourrait également être envisagé de modifier le texte de l'article 39.1 au lieu de créer une règle spécifique pour son interprétation. En ce qui concerne spécifiquement le projet de loi n° 198, qui donne une nouvelle interprétation de l'article 39 de la Constitution selon laquelle les amendes administratives punitives relèvent de sa partie civile et non de sa partie pénale si certaines conditions, notamment de régularité de la procédure, sont remplies, la Commission de Venise estime que cette disposition est très vague et n'améliorerait pas la sécurité juridique. Ses relations avec l'article 6 de la CEDH devraient être clarifiées. En outre, si les autorités de régulation doivent imposer des sanctions pénales, leur indépendance et leur impartialité devraient être garanties, et un droit de recours sur les points de fait et de droit devrait être introduit pour toutes ces autorités. Enfin, la Commission de Venise rappelle que des débats publics ouverts, transparents et significatifs sont un élément important de l'élaboration démocratique des lois et encourage les autorités maltaises à s'engager dans de telles consultations dans les phases suivantes de cette réforme.

07/2021
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