Retour Kosovo - Avis sur le document conceptuel sur la vérification de l'intégrité des juges et des procureurs et amendements à la Constitution

1064/2021

Demandé par : Kosovo, ministre de la Justice

Mesures recommandées : À la lumière du document conceptuel, d'autres rapports et des réunions des rapporteurs avec les parties prenantes, la Commission convient que l'option 1 - ne prendre aucune mesure - ne suffirait pas à améliorer l'état actuel des choses. La Commission de Venise propose d'établir une distinction entre les cas individuels d'inconduite judiciaire et les problèmes plus généraux liés à l'inefficacité du système judiciaire, notamment la durée excessive des procédures. Ces derniers semblent nécessiter des mesures différentes comme remède, notamment aussi des mesures techniques (IT) et une réforme des procédures judiciaires. Le document conceptuel expose de manière convaincante que des changements juridiques sont justifiés, et l'option 2 fait référence à certains d'entre eux. Par exemple, les mécanismes de vérification devraient avoir une base juridique et réglementaire appropriée. Les modifications juridiques devraient également permettre d'inclure les fonctionnaires judiciaires, y compris le personnel d'appui, qui ne sont pas couverts par les mécanismes existants. La Commission est d'avis que d'autres modifications juridiques pourraient être justifiées, notamment en ce qui concerne l'utilisation active des déclarations de patrimoine des juges et des procureurs (ainsi que d'autres fonctionnaires) pour identifier d'éventuels cas de corruption et prendre des mesures dans ces cas. L'agence de lutte contre la corruption devrait disposer de ressources suffisantes pour son travail et elle devrait avoir la possibilité - et l'obligation - d'engager des procédures disciplinaires contre les juges ou les procureurs qui fournissent des déclarations de patrimoine irrégulières. La Commission note également qu'une réforme du Conseil des procureurs du Kosovo est en préparation et que le ministre de la Justice a demandé un avis de la Commission de Venise sur cette question. Le ministre de la Justice a également demandé un avis à la Commission de Venise sur la confiscation civile des biens acquis illégalement, ce qui rendrait le système de déclaration de patrimoine plus efficace. Les résultats de ces réformes devraient être pris en compte lors de l'examen des amendements constitutionnels. En ce qui concerne l'option 3, des organes spéciaux de contrôle seraient créés, mais les conseils des juges et des procureurs existants conserveraient le pouvoir de recommander la révocation des juges et des procureurs au Président du Kosovo. Le document conceptuel n'indique pas clairement pourquoi il est nécessaire de procéder à un contrôle général de tous les juges et procureurs en créant des organes de contrôle ad hoc si une partie importante du problème est liée à l'application inefficace et aux lacunes de la législation relative aux organes existants. La Commission de Venise recommande d'entamer un dialogue approfondi avec les Conseils avant d'adopter de tels changements. Sans leur soutien actif, l'option 3 n'est pas susceptible d'atteindre les résultats escomptés. L'option 4 envisage également la création d'organes spéciaux de contrôle sur une base permanente, mais sur la base d'amendements constitutionnels. La Commission recommande d'introduire un système de contrôle complet de tous les juges et procureurs, à un niveau purement législatif (option 3) ou sur la base de modifications constitutionnelles, uniquement après que d'autres voies, des réformes juridiques et institutionnelles, incluant éventuellement des contrôles d'intégrité des membres du CJK et du CPK, ont été mises en œuvre et évaluées et se sont avérées infructueuses. L'option 5 envisage de créer des organes spéciaux de contrôle sur une base temporaire (pendant cinq ans), également sur la base d'amendements constitutionnels. Après cette période, le pouvoir de recommander la révocation des juges et des procureurs serait rendu au CJK et au CPK. L'option 5 soulève ses propres difficultés, et la Commission de Venise estime que les projets d'amendements constitutionnels qui ont été préparés dans le cadre de l'option 5, même dans leur version abrégée révisée, vont trop loin en prévoyant une évaluation de l’intégrité pour tous les juges et procureurs. Les amendements constitutionnels, le cas échéant, ne devraient prévoir des contrôles d'intégrité que pour les membres du CJK et du CPK, les présidents des tribunaux et les procureurs en chef. Idéalement, les amendements constitutionnels ne devraient établir que l'engagement d'un État envers un principe, ou envers l'aspiration ou l'éthique qu'un pays cherche à inscrire dans ses lois. Cela faciliterait ensuite l'adoption de mesures relatives à la composition et aux pouvoirs des organes de contrôle et de leur cadre, qui seraient définies ailleurs dans la législation et la réglementation. D'autre part, la Commission reconnaît que, dans ce cas, le même projet original d'amendements constitutionnels ne pourrait pas être entièrement adopté sous la forme d'une simple loi sans fondement constitutionnel. En tant que loi autonome, ces dispositions devraient être accompagnées d'un amendement constitutionnel (plus court), sinon elles seraient en contradiction avec les articles 85, 108 et 110 de la Constitution. L'élection des membres de l'AET à la majorité parlementaire simple entraînerait un risque de politisation. Cet aspect a été pris en compte dans les amendements constitutionnels révisés. En résumé, la Commission de Venise recommande d'introduire des changements législatifs qui amélioreraient le système actuel de discipline judiciaire, dans le prolongement de l'option 2, notamment en renforçant le système des déclarations de patrimoine et les unités de contrôle au sein de la CJK et du CPK. Des modifications constitutionnelles ne devraient être envisagées que pour étayer les contrôles d'intégrité des membres de la CJK et du CPK, des présidents de tribunaux et des procureurs en chef. La Commission de Venise n'est pas en mesure d'évaluer dans quelle mesure les incidents dans le système judiciaire dont sa délégation a été informée sont répandus et s'ils concernent des juges et des procureurs individuels ou une grande partie d'entre eux. En tout état de cause, il est nécessaire de distinguer les cas d'incompétence professionnelle, qui peuvent être traités par la formation, des cas d'actes malveillants délibérés, qui peuvent être traités par l’évaluation de l'intégrité. La Commission de Venise considère qu'une réforme du système judiciaire au Kosovo est effectivement nécessaire et que cela peut impliquer une forme d’évaluation effective de l'intégrité. La Commission est toutefois d'avis que de nombreux éléments d'une telle réforme peuvent être adoptés au niveau du droit commun. Tout système d’évaluation de d'intégrité introduit pourrait être limité au CJK et au CPK, qui exercent un pouvoir disciplinaire sur les autres membres du système judiciaire. Il appartiendrait alors au CJK et au CPK de traiter les problèmes du reste du système judiciaire, tant en ce qui concerne l'intégrité que le professionnalisme. L'ingérence dans les droits constitutionnels doit être strictement proportionnée. Tout amendement constitutionnel devrait viser à une ingérence minimale dans les compétences du CJK et du CPK tout en atteignant l'objectif de réforme du système judiciaire. Dans le contexte du Kosovo, une évaluation de l’intégrité (« vetting »)efficace signifiera nécessairement une combinaison de diverses mesures qui auront un effet positif sur l'intégrité et l'efficacité du système judiciaire. Même si ce type de contrôle ne correspond pas nécessairement à la définition formelle donnée dans la section II.A ci-dessus, toutes ces mesures prises ensemble font partie d'une réforme judiciaire qui équivaut à une « évaluation de l’intégrité » (« vetting ») tel qu'aspiré légitimement par la population et les autorités du Kosovo et qui est capable de produire les résultats requis. L'expérience montre que l'introduction, l'enchaînement et la compatibilité des mesures de d’évaluation d'intégrité sont problématiques sur le plan opérationnel et qu'il convient donc de concevoir un modèle précis pour chacune d'entre elles avec les parties prenantes. À défaut, la mise en œuvre risque d'être incomplète. Il est ensuite crucial de lui accorder un temps de déploiement opérationnel suffisant pour évaluer son efficacité avant d'introduire d'autres mesures, faute de quoi cela pourrait entraver les efforts de chacun et compromettre les résultats souhaités. La Commission de Venise recommande donc de se concentrer sur les changements législatifs, plus faciles à mettre en œuvre, et de limiter un système de contrôle d'intégrité aux conseils des juges et des procureurs, aux présidents des tribunaux et aux procureurs en chef. Pour que cette réforme soit viable, le concept final de l’évaluation de l’intégrité et les changements constitutionnels et législatifs correspondants devraient être préparés sur la base d'un dialogue sincère et en étroite coopération avec toutes les parties prenantes, le ministère, le CJK, le CPK mais aussi la société civile et les universitaires intéressés.

06/2022
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