Retour Bulgarie - Avis sur le projet d'amendements à la Constitution

1148/2023

Demandé par : Bulgarie, ministre de la Justice

Mesures recommandées : 114. Le ministre de la Justice de Bulgarie, M. Atanas Slavov, a demandé à la Commission de Venise d'évaluer le projet d'amendements à la Constitution bulgare proposé par 166 députés et actuellement examiné par l'Assemblée nationale de Bulgarie. 115. Le présent avis ne commente pas en détail toutes les modifications proposées, mais se concentre sur les plus importantes. Les principales recommandations sont les suivantes : 116. Le processus de réforme constitutionnelle est toujours en cours et, tout en regrettant que le lancement de la réforme constitutionnelle n'ait pas été précédé d'un débat public approprié, la Commission de Venise recommande aux autorités bulgares d’expliquer en détail les raisons de chaque proposition afin que le public soit conscient de l'impact de la nouvelle législation. Il est essentiel d'assurer une participation significative de toutes les institutions concernées, de toutes les forces politiques, du public et des experts à ce processus. 117. Les amendements autorisant les personnes ayant une double nationalité à se porter candidates à l'Assemblée nationale et au Conseil des ministres sont les bienvenus car ils répondent aux recommandations précédentes de la Commission de Venise. 118. Tout en reconnaissant que les amendements proposés ne devraient pas être interprétés comme un mandat ouvert pour créer de nouveaux organes indépendants, la Commission de Venise recommande que les organes indépendants de régulation et de contrôle aient une base constitutionnelle, qui devrait couvrir les garanties de leur indépendance, telles que la procédure de nomination (à la majorité qualifiée au parlement, avec des mécanismes anti-blocage appropriés) et l'inamovibilité de leurs membres, ainsi que la durée de leur mandat. Compte tenu de la diversité de ces institutions, il semblerait plus approprié, au lieu d'avoir une seule disposition générale, d'introduire des dispositions spécifiques pour chaque institution. 119. Si l'institution d'un Premier ministre intérimaire est maintenue, il est souhaitable de restreindre le pouvoir discrétionnaire du Président de choisir entre plusieurs personnes, afin d'éviter des considérations politiques indues, par exemple en définissant un ordre de choix et en définissant à l'avance la personne indépendante qui sera nommée. La Commission exprime toutefois des doutes quant à l'éligibilité du président de l'Assemblée nationale ou du président de la Cour constitutionnelle en tant que Premier ministre intérimaire. Elle émet également des doutes quant à l'élection d'un Premier ministre intérimaire par l'Assemblée nationale, qui n'a pas été en mesure de se mettre d'accord sur le choix d'un Premier ministre. La Commission recommande de revoir le projet d'amendements sur la base de ces considérations. 120. Les modifications les plus importantes sont apportées au Chapitre VI, qui concerne le système judiciaire bulgare et le ministère public. Le projet d'amendements fait plusieurs pas dans la bonne direction. 121. En particulier, la plénière du CSM est supprimée et deux conseils indépendants sont créés, l'un pour les juges et l'autre pour les procureurs et les enquêteurs. L'abolition de la plénière du CSM impliquerait qu'un certain nombre de recommandations antérieures de la Commission de Venise ont été mises en œuvre. Ainsi, dans le nouveau système, le ministre de la Justice ne préside plus le CSM plénier et ce dernier ne désigne plus les candidats aux postes des deux juges en chef et du procureur général. La suppression du CSM plénier répondrait également à la préoccupation selon laquelle les procureurs, et le procureur général en particulier, sont excessivement impliqués dans la gouvernance des juges. La division du CSM en deux conseils distincts est donc conforme aux recommandations précédentes de la Commission de Venise et devrait être accueillie favorablement. 122. Malgré la disparition du Plénum en tant qu'institution, il est recommandé d'examiner les modalités possibles de contacts adéquats entre les deux conseils en vue d'échanger des informations et des bonnes pratiques afin d'éviter l'isolement des professions respectives tout en garantissant l'indépendance judiciaire. 123. La composition du Conseil supérieur de la magistrature est conforme aux recommandations de la Commission de Venise. La majorité des membres seraient des juges (dix sur quinze), et huit membres judiciaires seraient élus à différents niveaux de juridiction. Les présidents de la Cour suprême de cassation et de la Cour suprême administrative seraient membres de droit. Les membres non judiciaires seraient élus par l'Assemblée nationale à la majorité des deux tiers, aucun mécanisme de blocage n'étant prévu. Il est recommandé de prévoir un tel mécanisme anti-blocage (pour lequel des exemples peuvent être tirés des différentes possibilités présentées précédemment par la Commission de Venise). 124. L'une des composantes essentielles du processus de réforme est la tentative légitime de transformation en profondeur du ministère public, dans le but d'améliorer son efficacité et sa responsabilité, ainsi que l'autonomie fonctionnelle des différents procureurs. La suppression des fonctions et des pouvoirs du ministère public en dehors de la sphère du droit pénal répond aux recommandations de la Commission de Venise. Cependant, il n'est pas conforme au principe de l'indépendance du ministère public que le procureur général soit un administrateur plutôt qu'un procureur et qu'il soit privé de toutes ses compétences, et les projets de dispositions y afférents devraient donc être réexaminés. 125. Afin de limiter la concentration des pouvoirs au sein de l'institution du procureur général et de renforcer l'indépendance des procureurs, le projet d'amendements donne une nette prévalence aux membres élus par le Parlement, assurant une très faible représentation des procureurs au sein du Conseil des procureurs (seulement trois membres sur dix, même si l'on inclut le procureur général). Bien que la réforme vise à inverser la tendance et à réduire les pouvoirs et l'influence du procureur général, elle devrait en même temps éviter le risque d'une influence politique sur les bureaux des procureurs et fournir au Conseil des procureurs l'expertise nécessaire à l'accomplissement de ses tâches. 126. Il est donc recommandé de revoir la composition du Conseil des procureurs afin de permettre une représentation équilibrée des procureurs et de doter ainsi le conseil de l'expertise professionnelle nécessaire à l'exercice de ses fonctions tout en excluant le contrôle de cette institution par la majorité politique de l'époque et par le service des procureurs. 127. Le projet d'amendements constitutionnels en question crée une base constitutionnelle pour des règles spécifiques concernant l'enquête contre un procureur général, permettant la création d'un mécanisme spécifique de poursuites indépendantes, dans le cadre de la mise en œuvre des mesures générales requises par le Comité des Ministres à la suite des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Kolevi et autres c. Bulgarie. 128. Cette disposition constitutionnelle devrait être complétée par des dispositions législatives relatives à la nomination, à la responsabilité et au contrôle des décisions du procureur spécial qui diffèrent des dispositions applicables aux procureurs ordinaires, comme cela a été conseillé dans le cadre de l'exécution de l'affaire Kolevi devant le Comité des Ministres. La Commission considère que la Constitution pourrait identifier l'organe de nomination. 129. L'introduction du droit de plainte individuelle devant la Cour constitutionnelle et du renvoi des affaires par les tribunaux ordinaires à la Cour constitutionnelle est bienvenue, car elle renforce les droits individuels. 130. D'autres recommandations ont été formulées : - Prévoir des mécanismes anti-blocage pour les situations où l'Assemblée nationale ne peut atteindre les 2/3 des voix pour l'élection des membres du Conseil supérieur de la magistrature, du Conseil des procureurs, de l'Inspection ainsi que de la Cour constitutionnelle ; revoir les pouvoirs du ministre de la justice, notamment en ce qui concerne sa présence au sein des conseils, le pouvoir de désigner un candidat au poste de procureur général et le pouvoir de proposer la révocation des juges. - Les périodes probatoires pour les juges devraient être supprimées ou les conditions pour ne pas confirmer le mandat devraient être étroitement définies dans la loi. - Les deux conseils devraient être en mesure de proposer à l'AN des candidats pour les inspections respectives, et seuls les deux conseils devraient être en mesure de les révoquer. La loi devrait délimiter clairement les pouvoirs des inspecteurs, qui ne devraient pas empiéter sur le rôle constitutionnel des deux conseils en ce qui concerne la carrière et la discipline des juges et des procureurs. - En ce qui concerne les fonctions du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil des procureurs, il est recommandé de ne pas les surcharger de tâches purement administratives. 131. Enfin, il sera important d'assurer la coordination et la cohérence entre les amendements constitutionnels actuels et les autres processus législatifs pertinents en cours. 132. Etant donné que le projet peut encore subir d'autres modifications à la suite des débats à l'Assemblée nationale, la Commission de Venise est prête à revenir sur les questions discutées dans le présent avis à un stade ultérieur, une fois que le texte du projet aura subi d'autres modifications et que le processus de réforme aura progressé.

Mesures prises : Le ministre de la Justice de la Bulgarie a écrit à la Présidente de la Commission de Venise le 17 novembre 2023 pour confirmer que les recommandations de la Commission de Venise avaient suscité un débat constructif sur les amendements proposés parmi un large éventail de parties prenantes et de représentants des partis politiques, des institutions, du monde universitaire et de la société civile, et qu'elles avaient fourni des lignes directrices précieuses pour les initiatives législatives futures. Dans sa réponse du 1er décembre 2023, la Présidente a réitéré la volonté de la Commission de revenir sur les questions discutées dans l’avis une fois que le projet de législation aurait subi de nouvelles modifications et que le processus de réforme aurait progressé. Dans une lettre adressée au Ministre le 21 décembre 2023, à la suite de l'adoption des amendements constitutionnels, la Présidente a encouragé le Ministre de la Justice à demander un avis sur les suites données.

10/2023
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