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Le nouvel article 47 du règlement de la Cour
Depuis le 1er janvier 2014, date d’entrée en vigueur du nouvel article 47 du règlement de la Cour, les conditions pour saisir cette juridiction sont nettement plus strictes.
Les nouvelles dispositions s’inspirent pour une part de recommandations qui figuraient dans le rapport de Lord Woolf adopté en décembre 2005 et relatif à l’étude des méthodes de travail de la Cour (§ 9.1.1 de l’annexe) : « La Cour devait modifier l’article 47 § 5 de son règlement pour clarifier ce qui constitue une requête » et « L’article modifié devait préciser qu’il n’y a pas de requête tant que la Cour n’a pas reçu un formulaire de requête dûment rempli ».
Elles constituent une preuve supplémentaire de la créativité de la Cour, mais dans un domaine qui était resté largement à l’abri de celle-ci. Elles traduisent à la fois le souci de définir la notion de requête et la volonté de maîtriser la masse du contentieux. Sans bien sûr toucher à la Convention, elles encadrent étroitement le droit de recours individuel, pierre angulaire du système européen de protection des droits de l’homme.
Une requête doit-elle être attribuée à une formation de jugement ou être rejetée sans être examinée par la Cour ? Il s’agit là d’une question cruciale pour accroître l’efficacité de la Cour et accélérer l’examen des requêtes. Le nouvel article 47 tente d’y répondre en introduisant des changements importants mais en soulevant aussi des difficultés pratiques.
Les changements essentiels
A n’en pas douter, la saisine de la Cour se voit profondément modifiée à plusieurs égards, ce qui alourdit la tâche des requérants et de leurs représentants mais allège celle du greffe.
Le premier changement, le plus notable, concerne l’obligation de présenter sa requête sur le formulaire fourni par le greffe et disponible sur le site internet de la Cour. Il est donc révolu le temps – celui de la Commission avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 et celui de la Cour après cette dernière – où il suffisait d’envoyer une simple lettre à Strasbourg. Le nouvel article 47 met ainsi un terme à une pratique observée pendant près de six décennies.
Le deuxième changement tient au format de la requête. Les faits et griefs doivent être exposés dans l’espace prévu à cet effet, de manière à permettre à la Cour de déterminer la nature et l’objet de la requête sans devoir se référer à d’autres documents. En outre, les explications supplémentaires sur les faits et griefs que le requérant peut joindre au formulaire ne doivent pas dépasser vingt pages au total (avec, si elles sont dactylographiées, une police de caractères d’au moins douze points dans le corps du texte et dix points dans les notes en bas de page) et doivent être paginées et divisées en paragraphes numérotés.
Le troisième changement a trait aux informations et documents à fournir à la Cour. Désormais, le formulaire de requête, c’est-à-dire tous les champs qui s’appliquent à la situation du requérant, doit être intégralement rempli. Il doit aussi impérativement être accompagné de copies des documents pertinents. Si tel n’est pas le cas, le requérant reçoit du greffe une réponse lui indiquant qu’aucun dossier n’a été ouvert et que ses documents n’ont pas été conservés.
Le quatrième changement, lui aussi très significatif, porte sur l’interruption du délai de six mois suivant la décision définitive rendue par la plus haute juridiction interne compétente. Dorénavant, un dossier incomplet n’est plus pris en compte pour interrompre le délai en question. Or rien ne garantit que l’auteur de la requête ait assez de temps pour en soumettre une nouvelle avant l’expiration du délai. Ici encore la rupture avec le passé est nette, un long passé où il suffisait de soumettre des griefs à l’attention de la Commission, puis de la Cour à partir du 1er novembre 1998, pour interrompre le délai.
Les difficultés pratiques
Les requérants et surtout leurs représentants doivent faire face à des difficultés pratiques, qui sont autant d’obstacles à franchir. Chacun sait pourtant que la Cour a tout intérêt à traiter des requêtes introduites par des professionnels du droit.
La première difficulté tient à la difficulté, voire à l’impossibilité, pour certains requérants de se procurer le formulaire de requête dans un délai raisonnable. Tel sera notamment le cas de personnes placées en détention provisoire et dépourvues d’avocat, des demandeurs d’asile, des vagabonds, d’aliénés, des personnes sans-abris, des personnes souffrant de maladies mentales, etc. Certes, l’expression « sauf si la Cour en décide autrement » figure à l’article 47 § 1, mais elle semble être une simple clause de style qui se veut rassurante.
La deuxième difficulté concerne la signature du formulaire de requête quand le requérant est représenté. En effet, le pouvoir est intégré au formulaire et doit donc être signé par le requérant lui-même. Or il est souvent malaisé pour un avocat ou une ONG d’être rapidement et physiquement en contact avec un détenu ou avec une personne résidant dans un lieu très éloigné. De plus, envoyer par la poste un formulaire déjà rempli présente un risque certain de non-renvoi par l’intéressé et de dépassement du délai de six mois. Par ailleurs, le nouveau système s’avère contraignant pour un représentant qui introduit pour plusieurs requérants des requêtes concernant des faits différents mais soulevant les mêmes questions sur le terrain de la Convention : il doit utiliser un formulaire pour chacun, avec les informations et documents requis.
La troisième difficulté, moins sérieuse, surgit à propos des documents à joindre au formulaire. Leur liste doit tenir sur une seule page, comportant vingt-cinq lignes. Il faut classer les documents par date et par procédure et les assortir d’une brève description. Il n’est pas sûr que même dans des affaires similaires ou répétitives, comme celles qui ont trait à la durée de détentions provisoires ou de procédures judiciaires, une page suffise. A fortiori dans des affaires complexes où les instances s’enchevêtrent avec des requérants multiples.
En conclusion, le nouvel article 47 marque une étape essentielle dans la manière dont la Cour affronte le flot des requêtes qui parviennent à elle de toutes les parties du Vieux Continent. Il contribue assurément à la diminution de leur nombre. Il contraint les justiciables et les professionnels du droit à s’accoutumer à des exigences accrues, malgré les efforts de pédagogie déployés par le greffe lors de son entrée en vigueur. Reste à espérer que ses textes d’application ou d’accompagnement (formulaire et mode d’emploi de celui-ci) puissent, le moment venu, faire l’objet de retouches afin de tirer profit de l’expérience acquise.
Vincent BERGER
Avocat au Barreau de Paris
Professeur au Collège d’Europe
Ancien jurisconsulte de la Cour européenne des droits de l’homme