Retour Le Comité anti-torture du Conseil de l'Europe (CPT) publie un rapport sur l'Ukraine

Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) publie aujourd'hui le rapport relatif à sa visite périodique effectuée en octobre 2023 en Ukraine. Il s'agissait de la première visite du CPT en Ukraine depuis le début de l'agression militaire à grande échelle de la Fédération de Russie en février 2022, et le Comité reconnaît les efforts considérables fournis par les autorités ukrainiennes pour offrir des conditions adéquates aux personnes privées de liberté en cette période extrêmement difficile.
Le Comité anti-torture du Conseil de l'Europe (CPT) publie un rapport sur l'Ukraine

La grande majorité des personnes rencontrées, qui étaient ou avaient récemment été placées en garde à vue, a indiqué avoir été traitée correctement par la police. Le Comité prend note de ce résultat positif, reflétant le fruit des efforts déployés par les autorités ukrainiennes ces dernières années pour améliorer le traitement des personnes détenues par la police. Cela dit, la délégation du CPT a malgré tout recueilli des allégations de mauvais traitements physiques (peu après l'arrestation, dans le véhicule de police ou au commissariat de police, avant l'interrogatoire), de recours excessif à la force lors de l'arrestation ainsi que de pressions psychologiques et de menaces.

S’agissant des garanties fondamentales contre les mauvais traitements (notification de la garde à vue, accès à un avocat et à un médecin), les constatations faites par le CPT suggèrent que la situation s'est généralement améliorée par rapport à sa précédente visite périodique en Ukraine en 2017. Il est effectivement positif que les personnes placées en garde à vue soient presque systématiquement interrogées en présence d'avocats (généralement commis d'office). Le Comité note également avec intérêt les progrès en cours dans la mise en place à l'échelle nationale d'un registre électronique détaillé de garde à vue (ARMOR) et le développement des institutions des Inspecteurs des droits de l'homme (travaillant dans les établissements de détention provisoire) et du Bureau national d'enquête (chargé notamment de mener des enquêtes judiciaires sur des cas de mauvais traitements qui auraient été infligés par des agents des forces de l'ordre).

En ce qui concerne les établissements pénitentiaires, tout en se félicitant des efforts constants réalisés par les autorités ukrainiennes au cours des 25 dernières années pour réduire la population carcérale du pays, le Comité note que la proportion des prévenus reste élevée et que nombre d’entre eux continuent d'être détenus dans des conditions de surpopulation pendant des périodes prolongées.

La délégation n'a recueilli aucune allégation de mauvais traitements récents de la part du personnel dans les prisons visitées. Cependant, la visite a révélé que le phénomène en place depuis longtemps de la hiérarchie informelle entre détenus était toujours en vigueur dans l'ensemble du système pénitentiaire ukrainien. Dans ce contexte, la situation des personnes considérées comme étant des « humiliées », c'est-à-dire des personnes se trouvant au bas de l’échelle hiérarchique, reste un sujet extrêmement préoccupant pour le CPT. Ces détenus continuent d’être rejetés par la population carcérale ordinaire et sont tenus, en vertu du « code de conduite » régissant la hiérarchie, de se conformer à une série de restrictions (par exemple, éviter tout contact physique avec d'autres détenus, ne pas utiliser les installations communes, etc.). Ces détenus étaient par ailleurs souvent contraints d'effectuer des tâches « sales » (tels que le nettoyage des toilettes et le ramassage des ordures) pour lesquels ils n'étaient pas rémunérés.

Dans certaines des prisons visitées, la politique générale consistait à séparer cette catégorie de détenus du reste de la population carcérale, en les regroupant dans des cellules spécifiques, afin de les protéger. Dans d'autres établissements, cependant, aucune politique de ce type n'était en place ; par conséquent, les détenus de « caste inférieure » risquaient souvent d’être exposés à des actes de violence, d'intimidation et d'exploitation de la part de leurs codétenus. Le CPT appelle les autorités ukrainiennes à élaborer et à mettre en œuvre une stratégie globale de lutte contre la violence et l’intimidation entre détenus et à s’attaquer au phénomène de la hiérarchie informelle des détenus avec toutes ses conséquences négatives. Des mesures devraient également être prises pour augmenter de manière significative les effectifs dans les prisons visitées afin de renforcer la présence du personnel de surveillance dans les zones de détention.

La plupart des prisons visitées par la délégation occupaient des bâtiments vétustes qui n'avaient bénéficié d’aucune rénovation majeure depuis des années, voire des décennies. Ainsi, la plupart des quartiers de détention des établissements en question étaient en mauvais état (murs humides et effrités, sols abîmés, installations sanitaires rouillées, literie infestée d'insectes, accès limité à la lumière naturelle et au système d’aération, etc.) La situation était particulièrement précaire au Centre de détention provisoire d'Odessa (SIZO) où les conditions de détention de la grande majorité des détenus pouvaient, selon le CPT, aisément être considérées comme inhumaines et dégradantes.

Le Comité note également avec préoccupation que la situation concernant les activités hors des cellules proposées aux prévenus ne s'est pas améliorée depuis ses visites précédentes. Comme par le passé, à l'exception d'un petit nombre de détenus ayant un travail, les prévenus adultes (y compris les femmes) des prisons visitées étaient effectivement enfermés dans leurs cellules jusqu'à 23 heures par jour, et n'avaient pratiquement aucune activité hors de celles-ci, à l'exception de l'exercice quotidien en plein air. Le régime appliqué aux personnes condamnées à la perpétuité était tout aussi appauvri ; elles n'étaient d’ailleurs toujours pas autorisées à fréquenter des détenus d'autres cellules.

S’agissant des de soins de santé prodigués aux détenus, des recommandations sont formulées, entre autres, pour augmenter le nombre de médecins généralistes et les effectifs personnel infirmier dans les établissements visités. Les autorités ukrainiennes sont également invitées à améliorer les procédures existantes pour la consignation des blessures observées sur les détenus et à veiller à ce que le secret médical soit pleinement respecté.

Dans les centres de détention militaire (« hauptvakhtas ») visités, la délégation n'a recueilli aucune allégation de mauvais traitements infligés par le personnel aux militaires privés de liberté. Par ailleurs, les conditions matérielles de détention dans ces établissements étaient généralement acceptables, bien que certaines cellules des « hauptvakhtas » d'Odessa et de Zhytomyr n'aient qu'un accès limité à la lumière naturelle. En ce qui concerne le régime, il est particulièrement préoccupant qu'il n'y ait pas d'activités organisées pour les militaires placés en détention provisoire qui sont de ce fait obligés de passer 23 heures par jour enfermés dans leurs cellules, souvent pendant de longues périodes (des mois, voire des années).

26/04/2024
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