Obligations déontologiques (fudiciary duties) et relation thérapeutique
Les principes de droits de l’homme en matière de santé et les droits complémentaires consacrés par des instruments de politique comme la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne reflètent les obligations morales et de confidentialité de la profession médicale. Comme évoqué précédemment, ces obligations peuvent être rattachées aux objectifs fondamentaux ou aux finalités de la médecine en tant que pratique et à de nombreux fondements théoriques possibles, notamment les droits humains, l’éthique des soins et l’éthique féministe, ainsi que dans l’éthique des vertus.
Le reste du présent chapitre rend compte des concepts de relation thérapeutique et d’obligations déontologiques (fudiciary duties) en médecine développés dans le cadre de l’éthique des vertus. Une approche fondée sur les vertus confère une grande importance à la prise en charge du patient dans son ensemble et à la promotion de son bien-être à travers la mise en place de bonnes pratiques. Des normes sont définies en fonction de critères comme la compassion, qui « garantit que le patient n’est pas considéré comme un simple numéro », la compréhension contextuelle des valeurs, des antécédents et des préoccupations du patient, un « intérêt pour les processus internes du patient… une compétence appropriée pour répondre de manière non verbale et en établissant un dialogue habile et tenant compte de ses besoins », en plus des compétences spécialisées pour « résoudre » le problème du patient ou gérer un problème de santé persistant. Cela dit, ces objectifs fondamentaux sont communs à de nombreuses autres approches qui ne relèvent pas de l’éthique des vertus. Par exemple, les approches de l’éthique des soins et de l’éthique féministe se concentrent sur des éléments connexes, comme le rôle d’aidant du professionnel de santé, les relations et les responsabilités en matière de soins (par opposition à la justice et aux droits), la connaissance tacite et la prise en charge prenant en compte le contexte, l’intérêt et les besoins du patient en tant qu’individu unique intégré dans la société, ainsi que les déséquilibres de pouvoir et la contrainte découlant de la position vulnérable du patient.
Plusieurs caractéristiques de la relation thérapeutique créent pour les professionnels des obligations morales de protéger l’intérêt des patients. Il peut s’agir plus précisément des éléments suivants :
Vulnérabilité et inégalité
Les patients ont le sentiment de perdre le contrôle sur la définition et la poursuite de leurs objectifs personnels et peuvent ressentir un stress émotionnel, de la peur, de l’inquiétude et de l’angoisse. Leur priorité immédiate est alors de retrouver la santé et un état de bien-être, ce qui passe par le soulagement ou l’élimination des symptômes. Une relation déséquilibrée est créée dans laquelle le patient, pour recouvrer la santé, est contraint de demander l’aide d’une personne ayant une expertise médicale privilégiée. Les médecins sont tenus de ne pas utiliser leur expertise ou leur position de pouvoir privilégiée pour exploiter le patient « vulnérable ».
Caractère confidentiel
Le patient place expressément ou tacitement sa confiance en un médecin déterminé et révèle des aspects de lui-même ou de sa vie pour permettre le diagnostic et guérir, renonçant ainsi à une partie de sa vie privée pour que « d’autres personnes aient accès à des informations personnelles ou à [leur] corps ». Les médecins ont l’obligation morale d’utiliser les informations et l’accès que le patient leur donne dans le cadre d’une relation de confiance, dans l’intérêt supérieur du patient et non dans leurs propres intérêts.
Nature des décisions médicales
Les décisions médicales présentent un mélange de caractéristiques techniques et morales. Le diagnostic du médecin et la prise en charge du patient doivent être précis d’un point de vue technique pour contribuer à sa santé physique. Toutefois, les décisions prises devraient également favoriser le bien-être moral ou l’autonomie du patient en tant qu’être doué de valeur morale, dans le sens où elles devraient être alignées avec ses valeurs.
Caractéristiques des connaissances médicales
Les connaissances médicales ne sont pas privées. En vue d’assurer la disponibilité d’un nombre suffisant de professionnels de santé, les sociétés fournissent aux médecins les connaissances privilégiées et l’accès aux corps humains qui leur permettent d’acquérir l’expertise médicale nécessaire, et peuvent limiter la reconnaissance du statut de praticien de la médecine aux seules personnes formées de cette manière. Les médecins ont l’obligation morale d’agir en tant que gardiens de ces connaissances, en veillant à ce qu’elles soient facilement accessibles pour les autres et utilisées de manière éthique pour la prise en charge des patients, et non dans un but purement personnel.
Complicité morale
Le médecin est le canal par lequel les interventions médicales parviennent jusqu’au patient, dans la mesure où il doit donner son accord avant que toute intervention ne soit menée. Du fait de sa position, il a l’obligation morale d’agir comme « point de filtrage », en protégeant le bien-être du patient et en reconnaissant sa complicité dans toute intervention mise en œuvre.
En savoir plus
Ces caractéristiques ne sont pas indéniables ; par exemple, on peut critiquer le fait de parler de vulnérabilité et d’inégalité pour qualifier l’expérience du malade, car cela ne semble s’appliquer qu’à de graves problèmes de santé pour lesquels des traitements sont possibles. Bien que l’approche de la « relation thérapeutique » décrive un modèle idéal de relations médecin-patient (et, par voie de conséquence, de la médecine elle-même), la notion sous-jacente selon laquelle être médecin implique des obligations morales envers le patient est communément acceptée. Le caractère fondamental de la relation médicale en tant que relation dans laquelle un patient dans le besoin recherche des connaissances, une expertise ou une prise en charge médicales est incontestable. Lorsqu’il sollicite l’aide d’un professionnel, le patient accepte de façon tacite de se révéler et de dévoiler des aspects privés de sa vie au médecin disposant des compétences en la matière, afin de recouvrer la santé. La relation constitue un échange de biens sensibles pour l’amélioration de la qualité de vie, échange dans lequel le patient est contraint de s’engager par la maladie, s’il souhaite guérir. Les médecins ne sont pas consultés en tant que simples « encyclopédies du savoir », mais plutôt à titre d’experts « de confiance » qui sont en mesure de procéder à une évaluation subjective et de comprendre le patient en tant que personne intégrée dans la société ayant une histoire et des valeurs.
Être un professionnel de santé ou faire partie de la médecine entendue comme une profession réglementée exige de s’engager à satisfaire les obligations morales découlant de la relation thérapeutique. A cet égard, la médecine peut être considérée comme une « pratique morale », car ses membres forment une communauté qui partage des objectifs communs et des obligations morales, ce qui signifie qu’ils sont « guidés par une même source de morale – des règles, principes ou traits de caractère fondamentaux qui définiront une vie morale conforme aux fins, aux objectifs et aux buts de la médecine ». D’un point de vue critique, cette vision oppose les normes et obligations s’appliquant aux praticiens à celles des institutions dans lesquelles la prise en charge a lieu. Alors que la première obligation du professionnel de santé est envers le patient, les institutions ont d’autres intérêts (légitimes) qui ont trait à la dotation en ressources et à la qualité de la prise en charge dans l’ensemble de l’institution. Du point de vue de l’éthique des vertus, les vertus médicales et les normes internes de bonnes pratiques peuvent contribuer à garantir que les fins de la médecine, et en définitive les obligations envers les patients contractées dans le cadre de la relation thérapeutique, sont respectées au fil du temps et résistent à la dégradation due à l’influence délétère des institutions et d’éléments extérieurs. Les vertus spécifiques des bonnes pratiques dans le domaine médical sont précisées dans l’Annexe.