Maud de Boer-Buquicchio, Secrétaire Générale Adjointe
1re réunion de la Task Force pour combattre
la violence à l’égard des femmes, y compris la violence domestique,
Strasbourg, février 2006
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi, tout d’abord, de vous souhaiter la bienvenue à Strasbourg à
l’occasion de la première réunion de la Task Force pour combattre la violence
à l’égard des femmes, y compris la violence domestique. Le thème que vous
êtes appelés à examiner touche la société de tous les pays du monde, mais c’est
notre mission ‑ votre mission ‑ de traiter cette question en Europe avec
efficacité et peut-être de donner ainsi l’exemple au monde entier. Vos
formations respectives de juristes, directeur/trices de projet, chercheurs dans
les domaines juridique, sanitaire et sociologique, de parlementaires et de
responsables des pouvoirs locaux seront précieuses pour le succès de votre
mission.
Trop souvent, lorsqu’on évoque la violence à l’égard des femmes, y compris la
violence domestique, on s’entend dire : ce phénomène ne concerne qu’un
nombre limité de victimes ; où est le problème ?
C’est faux. Une femme sur trois dans le monde est battue, violée,
agressée : voilà la vérité que traduisent les statistiques.
Toutefois, les statistiques ne nous montrent que la partie émergée de l’iceberg.
Le problème, c’est que la violence à l’égard des femmes est cachée. Trop
de femmes ont honte ou peur de dénoncer leur agresseur. La plupart du temps,
elles ne sont pas prises au sérieux ou, pire encore, elles font l’objet de
menaces lorsqu’elles en parlent. Beaucoup trop souvent, leurs interlocuteurs
sont des hommes qui peuvent s’avérer moins sensibles à leurs vicissitudes ou
même les minimiser. Heureusement, ce n’est pas toujours le cas : en octobre de
l’année dernière, une équipe de 50 policiers, dont la moitié étaient des femmes,
ont libéré 19 femmes, victimes de la traite des êtres humains, maintenues
captives à Birmingham et contraintes de travailler comme prostituées dans le
comté des West Midlands. C’est un exemple très positif et encourageant car ces
femmes policiers ont fait preuve de beaucoup de compréhension envers ces
victimes.
Le problème, c’est que la violence à l’égard des femmes est courante,
multiforme et trop souvent tolérée. Partout dans le monde, des jeunes filles
et des femmes sont violées, brutalisées ou recrutées comme esclaves sexuelles. A
ce jour, au niveau mondial, quelques 135 millions de personnes de sexe féminin
ont subi des mutilations génitales au nom de la coutume et des dizaines de
milliers ont été tuées au nom de l’honneur.
Dans les pays les plus riches que l’on qualifie de « pays les plus développés du
monde », des femmes sont battues à mort par leur compagnon.
La violence à l’égard des femmes n’est pas un fléau qui ne sévit qu’ailleurs et
ne concerne que les autres. C’est ici et maintenant qu’il exerce ses
ravages. Nous pouvons en être victime, tout comme nos amies ou des membres de
notre famille. Ce n’est pas un problème d’ordre privé mais un problème qui doit
être pris en considération à tous les échelons de la société.
La violence à l’égard des femmes est une violation des droits de la personne
humaine et une atteinte à sa dignité et à son intégrité. Malgré l’article
3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme qui, compte tenu de
son caractère absolu, comporte aussi des obligations formelles pour les États,
nos législations pénales ne prévoient pas toutes d’ériger en infraction les
violences à l’égard des femmes sous toutes leurs formes, comme le viol au sein
du mariage. Je suis convaincue que personne ne peut se cacher derrière le droit
au respect de la vie privée, le rempart des quatre murs de son habitation, pour
justifier la violence à l’égard des femmes.
Aussi, Mesdames et Messieurs, êtes‑vous là parce que les dirigeants de nos 46
États membres ont décidé, à leur Troisième Sommet, tenu à Varsovie en mai de
l’année dernière, d’accorder la priorité à cette question.
Vous avez pour tâche d’évaluer les progrès accomplis au niveau national dans la
lutte contre la violence à l’égard des femmes et de déterminer si de nouvelles
mesures ou instruments sont nécessaires pour éradiquer ce fléau. En bref, vous
n’aurez pas seulement à examiner les lois et règlements mais aussi leurs
modalités d’application, aussi bien dans l’intimité des alcôves que sur la place
publique. Vous devrez vous appuyer sur les bonnes pratiques et veiller à ce
qu’elles soient bien diffusées.
Vous ne partez pas de zéro : nous avons, au sein du Conseil de l’Europe, œuvré
activement dans ce domaine et, depuis 1993, nous avons intensifié notre action.
La Recommandation Rec (2002) 5 sur la protection des
femmes contre la violence constitue l’un des
principaux résultats de nos travaux. Ce texte met l’accent sur la prévention de
la violence et la protection des victimes, couvre toutes les formes de violence
fondées sur le sexe, y compris les violences en situation de conflit et d’après-conflit
ou encore les violences en milieu institutionnel.
L’application de cette recommandation au niveau national fait actuellement
l’objet d’un suivi et le premier bilan des résultats de ce suivi est en cours
d’élaboration.
La traite que j’ai mentionnée il y a quelques instants est l’une des très graves
formes de violence à l’égard des femmes. L’année dernière, la nouvelle et très
originale Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des
êtres humains a été ouverte à la signature. A ce jour, 25 États l’ont
signée. Il nous faut, à présent, des pays qui ratifient et mettent en œuvre
d’urgence ce traité qui défend les victimes, ces centaines de milliers de femmes
et de jeunes filles dont les droits sont bafoués par cette forme inadmissible
d’esclavage.
Il vous faudra réveiller les consciences, bousculer les mentalités, mobiliser
les compétences et faire œuvre de persuasion, insuffler de l’énergie et de la
détermination aux femmes et aux hommes de toute l’Europe de manière à ce que les
droits de la personne humaine deviennent une réalité pour toutes les femmes. A
cette fin, il vous faudra élaborer, en priorité, un schéma d’organisation de la
Campagne du Conseil de l’Europe pour combattre la violence à l’égard des
femmes, y compris la violence domestique, dont le lancement est prévu en
novembre 2006. Le schéma d’organisation devrait donc être prêt avant l’été. Pour
mener à bien les préparatifs, je vous encourage à établir une étroite
coopération avec tous les acteurs, dont l’Assemblée parlementaire, le Congrès,
les ONG ainsi que d’autres institutions internationales. Vous pouvez compter sur
un secrétariat compétent pour vous aider dans votre tâche.
En conclusion,
Mesdames et Messieurs, la violence à l’égard des femmes est peut‑être
universelle mais elle n’est pas inéluctable si nous sommes prêts à l’affronter,
à la dénoncer et à changer nous‑mêmes d’attitude.
Nous comptons sur vous pour trouver des solutions concrètes et efficaces qui
contribueront à mettre fin à la violence à l’égard des femmes.
Je vous souhaite beaucoup de succès dans vos travaux et une réunion très
fructueuse.