Accès des enfants au système africain de
protection des droits de l'homme
Helen Seifu I. Instruments des droits de l'homme concernant la protection des droits de l’enfant en Afrique Les principaux instruments de protection des droits de l'homme en Afrique sont les suivants : • La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples • La Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant • Le Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, portant création d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples • Le Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples relatif aux droits des femmes (Protocole de Maputo) II. Contrôle du respect des droits fondamentaux dans le système africain de protection des droits de l'homme En général, trois grandes institutions sont chargées de contrôler le respect de la Charte africaine et d’autres instruments africains de droits de l'homme par les Etats membres: la Commission africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, le Comité d’experts africain sur les droits et le bien-être de l’enfant et la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples. A. La Commission africaine des droits de l'Homme et des peuples Cette Commission, créée en 1981, siège à Banjul (Gambie). Elle comprend onze membres pour un mandat renouvelable de six ans. Elle se réunit deux fois par an pour des sessions qui durent en général une dizaine de jours. La mission fondamentale de la Commission consiste notamment à : • Promouvoir les droits de l'homme et des peuples par le biais d’études, de séminaires et d’actions de sensibilisation dans les Etats membres ; • Protéger ces droits par des procédures de rapports et de réclamation ; et • Interpréter les droits de l'homme consacrés dans la Charte africaine. La Commission a trois procédures de contrôle du respect des droits de l'homme : la procédure des rapport des Etats, la procédure des recours entre Etats et la procédure des recours individuels. 1. Procédure des rapports des Etats Dans le cadre de cette procédure, les Etats parties doivent soumettre un rapport à la Commission tous les deux ans sur leurs progrès en matière de respect de la Charte africaine. Les ONG sont aussi autorisées à soumettre des rapports en leur propre nom (« rapports parallèles ») et peuvent bénéficier d’un statut d’observateur auprès de la Commission. En 2001, cette dernière a commencé à publier des observations de conclusion sur les rapports examinés. 2. Procédure des recours entre Etats Dans le cadre de cette procédure de recours, il y a deux manières de régler les litiges. La première permet à un Etat qui estime qu’une autre partie a violé les dispositions de la Charte, d’informer cette dernière par écrit ainsi que le Secrétaire général de l’UA ainsi que le Président de la commission. L’Etat accusé a alors la possibilité de fournir une explication écrite à l’Etat requérant. Si aucun règlement n’intervient dans un délai de trois mois à partir du recours original, les deux parties ont le droit de saisir la Commission de cette question. La deuxième option permet à l’Etat d’introduire directement une plainte pour violation alléguée de la Charte auprès de la Commission. Si aucune solution amiable n’est atteinte, il prépare un rapport exposant les faits, les conclusions et les recommandations, qu’il adresse aux Etats concernés et à l’Assemblée des chefs d’Etat et de gouvernement. En tout état de cause, la procédure de recours entre Etats est rarement utilisée. Jusqu’à présent (2006), elle n’a été utilisée qu’une fois par la République démocratique du Congo contre le Burundi et le Rwanda et l’Ouganda en 1999. 3. La procédure des recours individuels Dans le cadre de cette procédure, les Etats, les individus ou les organisations au nom d’un individu peuvent soumettre une communication à la Commission. Les recours doivent être envoyés au secrétariat de la Commission qui les enregistre dès réception. Le recours est ensuite adressé à la Commission qui doit décider à la majorité simple (six membres) si elle est saisie du recours après avoir examiné si celui-ci allègue d’une violation de la Charte et si sa soumission obéit aux dispositions de l’article 55 de la Charte. Si la Commission décide d’examiner le recours, elle doit prendre une décision sur sa recevabilité. Pour qu’une communication continue d’être examinée, elle doit procéder d’un modèle systématique de violation flagrante des droits de l'homme. Si la Commission veut poursuivre, elle en notifie l’Assemblée des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA, lesquels peuvent demander à la Commission de procéder à un examen approfondi et de soumettre un rapport factuel accompagné de conclusions. La décision finale de la Commission, appelée recommandation, n’est pas juridiquement contraignante pour les Etats parties. Toute la procédure est confidentielle. La
décision finale n’est publiée par la Commission que si l’Assemblée des chefs
d’Etat et de gouvernement de l’UA en est d’accord. Les décisions fondées sur
les recours individuels qui ont été rendus publics sont jointes en annexe au
rapport annuel d’activités de la Commission. B. Le Comité d’experts africain sur les droits et le bien-être de l’enfant Le Comité d’experts a été créé en 2002 conformément à l’article 32 de la Charte africaine des droits de l’enfant et comprend onze membres. Elle a deux mécanismes de contrôle : la procédure de rapports et la procédure de recours individuels. S’agissant de la première, les Etats doivent
soumettre des rapports au comité tous les trois ans. Pour la procédure des
recours individuels, toute personne, tout groupe ou toute ONG reconnue par
l’UA, par un Etat membre ou par l’Onu, peut introduire un recours sur toute
question visée par la Charte. C. La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples Le Protocole portant création de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples est entré en vigueur en 2003. La Cour comprend onze juges et siège à Arusha (Tanzanie). La Cour vient essentiellement compléter le mandat protecteur de la Commission africaine. Elle est compétente sur tous les litiges et affaires dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte et tout autre instrument des droits de l'homme ratifié par les Etats concernés. La Cour a une compétence consultative et décisionnelle. S’agissant de la compétence décisionnelle, la Commission, les Etats, les individus et les ONG peuvent introduire un recours. La Cour peut aussi autoriser des ONG bénéficiant du statut d’observateur auprès de la Commission et des individus de la saisir directement à condition que l’Etat contre lequel le recours est introduit fasse une déclaration acceptant la compétence de la Cour à recevoir cette communication. Les arrêts de la Cour sont contraignants et les Etats concernés doivent respecter ses jugements et veiller à leur exécution, contrôlée par le Conseil des Ministres de l’UA. Concernant la compétence consultative de la Cour, celle-ci peut, à la demande d’un Etat membre de l’UA, de l’UA elle-même ou de toute organisation africaine reconnue par l’UA, rendre un avis sur toute question juridique relative à la Charte ou tout autre instrument des droits de l'homme, à condition que le fond de l’avis ne soit pas examiné par la Commission. III. Accès des enfants au système africain de protection des droits de l'homme Actuellement, l’institution la plus importante que peuvent saisir les individus et donc les enfants pour réaliser leurs droits, est la Commission africaine. En conséquence, si le droit d’une personne est violé par un Etat partie, elle peut soumettre une communication à la Commission, qui doit d’une manière ou d’une autre démontrer que l’Etat a violé un ou plusieurs des droits consacrés par la Charte. Les citoyens ordinaires, des groupes d’individus, des ONG, les Etats parties à la Charte peuvent tous faire recours. Le requérant ou l’auteur de la communication ne doit pas être lié à la victime de la violation mais la victime doit être mentionnée. Puisque la préparation, la soumission et le traitement d’une communication suivent une procédure relativement simple, un requérant ou un auteur peut la suivre sans nécessairement avoir besoin d’une assistance professionnelle. La Commission n’offre pas d’assistance judiciaire au requérant. L’article 56 de la Charte africaine énonce sept conditions qui doivent être remplies : 1. La communication doit comprendre le nom de l’auteur, même si celui-ci souhaite rester anonyme ; 2. La communication doit être compatible avec la Charte de l’OUA et avec la présente Charte ; 3. La communication ne doit pas être écrite en un langage injurieux contre l’Etat ou l’OUA ; 4. La communication ne doit pas être fondée exclusivement sur des informations des médias ; 5. Le requérant doit avoir épuisé toutes les voies de recours internes disponibles ; 6. La communication doit être soumise dans un délai raisonnable à compter de la date d’épuisement des voies de recours internes ; 7. La communication ne doit pas porter sur une question qui a déjà été tranchée par un autre organe international de droits de l'homme. D’après le libellé de l’article 58(1) de la Charte, il semblerait que la Commission ne peut examiner une communication que lorsqu’elle fait état d’une série de violations graves et massives des droits de l'homme et des peuples et uniquement à la demande des chefs d’Etat et de gouvernement. Chaque communication doit indiquer si la vie,
l’intégrité personnelle ou la santé de la victime est en danger imminent.
Dans ces situations d’urgence, la Commission a le pouvoir, prévu par
l’article 111 de son Règlement interne, d’adopter les mesures provisoires,
en exhortant l’Etat concerné à ne prendre aucune mesure pouvant causer des
dommages irréparables à la victime jusqu’à ce que l’affaire ait été entendue
par la Commission. La Commission peut aussi adopter d’autres mesures
urgentes si elle le juge bon. IV. Avantages et problèmes 1. Avantages En dépit de ses insuffisances, la Commission africaine reste un outil utile de défense des droits des enfants. Le mécanisme de recours de la Commission est un moyen de s’attaquer aux violations des droits de l'homme lorsque la justice n’a pas été obtenue dans les tribunaux nationaux. L’influence de ses décisions sera d’autant plus grande qu’on fera appel à elle. En tant qu’institution régionale des droits de l'homme, ses décisions et recommandations peuvent donner des orientations à tous les Etats parties à la Charte africaine. Ainsi, la portée de son influence potentielle est grande. S’il n’existe aucun mécanisme pour exécuter ses décisions et recommandations, l’expérience des défenseurs des droits de l'homme au niveau international a toutefois montré que lorsque la violation des droits de l'homme est publiquement dénoncée dans une tribune internationale, les gouvernements peuvent être incités à agir pour éviter les embarras et les problèmes. La création de la Cour africaine peut servir à mieux définir le rôle de la Commission et à offrir une structure institutionnelle plus efficace pour promouvoir et protéger les droits de l'homme mais la Cour elle-même devra veiller à éviter les faiblesses que connaît la Commission africaine. Par ailleurs avec la création d’une Cour, le système africain des droits de l'homme se développe de manière prometteuse pour la promotion et la protection des droits de l'homme. 2. Problèmes Généralités En Afrique, nombreux sont ceux qui ne sont pas sensibles aux droits de l'homme et ne savent s’en servir pour prévenir les abus ou y remédier. Nombreux sont ceux aussi qui ne connaissent pas la Charte africaine et la Commission africaine et comment les utiliser pour protéger les droits de l'homme. L’inefficacité des systèmes judiciaires nationaux pour le citoyen ordinaire qui demande justice aggrave la situation. La culture représente une autre contrainte. Dans de nombreuses communautés africaines, les enfants ont un statut inférieur qui ne valorise pas leurs droits. Par ailleurs, la volonté de discuter des questions des droits de l'homme varie d’une région à l’autre sur le continent et d’un groupe à l’autre dans les pays. Problèmes particuliers liés à la Commission Un certain nombre de problèmes se posent concernant la Commission. Tout d’abord, elle est mal financée et connaît des problèmes d’efficacité. Ensuite, bien que la Charte soit en vigueur depuis 1987, très peu de rapports nationaux ont été soumis. En 2000, seuls vingt-trois Etats avaient soumis leurs premiers rapports, trois deuxièmes rapports et un seul troisième rapport avaient été envoyés. Tout cela montre que la Commission a été incapable de faire respecter cette exigence. Par ailleurs, le développement de certaines pratiques procédurales a nui à l’efficacité de la Commission. Les recours sont examinés à huis clos, la population étant ainsi écartée de l’ensemble du processus. Cette pratique a suscité des doutes sur la transparence et la crédibilité des travaux de la Commission, facilement méconnus ou ignorées parce qu’invisibles. Enfin, la Commission n’a pas les moyens de faire appliquer ses décisions et recommandations. Elle peut donner son avis sur les affaires de droits de l'homme et sur les obligations des gouvernements mais elle ne dispose pas de moyens efficaces d’exécution. V. Conclusions et recommandations Pour protéger efficacement les droits de l'homme en Afrique, les points suivants pourraient être recommandés. • La ratification de tous les instruments régionaux relatifs aux droits de l'homme par tous les Etats africains. • La Commission africaine est une avancée dans cette direction. Toutefois, un système régional de droits de l'homme digne de ce nom a besoin d’institutions fortes à ancrer à ses normes et à ses valeurs. • Le Comité d’experts africain sur les droits et la protection de l’enfant devrait être efficace pour faire appliquer pleinement les recours individuels, ce qui serait un progrès même par rapport à la Convention relative aux droits de l’enfant qui ne prévoit pas un tel mécanisme. • Tous les instruments régionaux des droits de l'homme devraient être traduits dans les langues locales pour mieux sensibiliser la population. • Les Etats parties doivent examiner leur législation nationale et prendre toutes les mesures législatives nécessaires pour harmoniser leurs lois avec les normes régionales et internationales. |