Politique de la santé

Document d'Introduction sur l'adaptation de l'offre de soins aux besoins des personnes en situation marginale

par le Professeur Jean-Daniel Rainhorn

Ce document vise à introduire la discussion du groupe de travail en présentant certaines des questions qui sont normalement examinées lorsque l'on étudie les effets de la pauvreté sur la santé et la pertinence des diverses stratégies. Il se fonde sur l'expérience de l'auteur.

Informations générales:

Au cours des vingt dernières années, deux facteurs historiques ont considérablement changé les conditions de vie des ménages en Europe. Dans la majorité des pays de l'Union européenne et des pays occidentaux, la crise économique qui a débuté au milieu des années 70 a provoqué une forte montée du chômage et des inégalités sociales ayant des effets mesurables sur la santé de la partie la plus vulnérable de la population. Dans les pays ex-socialistes, le système d'économie à planification centralisée qui s'est effondré au cours des années 80 a laissé une grande majorité de la population dans l'incapacité de pourvoir à ses besoins de base. On peut estimer que plus de 200 à 250 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté en Europe11( environ 15% de la population des pays de l'Union européenne et, selon diverses estimations, 40 à 80% de la population de la majorité des pays d'Europe centrale et orientale). De plus, d'après certaines estimations, environ 50 à 100 millions de personnes vivent juste au-dessus du seuil de pauvreté et risquent en permanence de perdre leur travail et de glisser vers la pauvreté. On peut donc estimer que 30 à 40% de la population vivant sur le continent européen n'ont pas actuellement les moyens de satisfaire leurs besoins fondamentaux22 . Ce phénomène affecte tout particulièrement deux groupes de la population i) une partie importante des jeunes âgés de 16 à 30 ans, en particulier des hommes dont le taux de chômage est élevé et dont le taux de mortalité ne cesse d'augmenter, et ii) une proportion importante de personnes âgées qui touchent une pension insuffisante, surtout dans les pays ex-socialistes. Au cours des dix dernières années, les médias ont mis l'accent sur l'exclusion, l'aspect le plus visible de la pauvreté qui ne cesse de croître en Europe, mais qui affecte sans doute un peu moins de quelques millions de personnes. Bien que ces situations soient inacceptables, l'image des sans-abri ne devrait pas cacher un phénomène plus important – la pauvreté et la précarité - qui touche chaque jour des centaines de millions d'Européens qui risquent en permanence de basculer dans l'exclusion.

Lorsque l'on examine l'état de santé d'une population, il y a lieu de garder à l'esprit les différents concepts relatifs à la santé. D'une part, on peut entendre par santé l'absence de maladie d'après la définition donnée par la médecine à travers l'histoire. D'autre part, la santé peut être conçue comme "un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité"33 ou même d'un point de vue plus dynamique comme la capacité pour chaque être humain d'identifier et d'atteindre ses ambitions, de satisfaire ses besoins et d'être capable de s'adapter à son environnement"44, l'absence de maladie étant un seul des aspects. Tous ces concepts ont diverses implications lorsque l'on définit les actions requises pour améliorer la santé. Si la pauvreté et les inégalités sociales sont considérées comme les facteurs clés de la détérioration de l'état de santé, l'expérience montre que la dernière définition est plus opérationnelle que les autres lors de la formulation et de l'application de stratégies visant à limiter leurs effets sur la santé. Il convient d'utiliser non seulement des indicateurs classiques mais aussi des indicateurs capables de mesurer divers facteurs sociaux influant directement ou indirectement l'état de santé.

Le développement de nouvelles inégalités sociales, l'augmentation du nombre de personnes risquant de glisser vers la pauvreté et l'exclusion ainsi qu'une égalité réduite de l'accès aux soins de santé affectent déjà l'état de santé d'une partie importante de la population en Europe. Bien que cette situation soit différente dans les pays d'Europe occidentale et ceux d'Europe centrale et orientale, les changements dans les inégalités en matière de santé concernent l'ensemble des pays puisqu'ils représentent de nos jours une grave menace pour l'avenir de la santé de la partie la plus vulnérable de la population européenne et en particulier des jeunes. Dans les pays occidentaux, l'écart des groupes démunis et des groupes privilégiés en matière de santé ne cesse de s'accroître comme cela55 66a été de nos jours prouvé dans de nombreux pays. En Europe centrale et orientale, l'espérance de vie à la naissance a diminué dans les années 80 et 90 et s'est récemment stabilisée dans la majorité des pays. De nos jours, on sait fort bien que la violence, les accidents et le suicide figurent au nombre des causes les plus fréquentes de la morbidité et de la mortalité des jeunes hommes ( et représentent plus de la moitié des années potentielles perdues dans la Fédération de Russie77), elles s'accompagnent d'une augmentation régulière de l'abus de drogues, de l'alcoolisme, du tabagisme et du VIH/SIDA. En conclusion, après un siècle d'amélioration constante de l'état de santé en Europe, une situation nouvelle s'est développée au cours des vingt dernières années: certaines catégories de la population sont aujourd'hui confrontées à la stagnation et même dans certains cas à une détérioration de leur état de santé qui se produit dans un contexte général marqué par la diminution du rôle de l'Etat qui jouait auparavant un rôle primordial dans l'élaboration de stratégies d'amélioration de la santé. Le risque est grand de voir la situation se détériorer et il ne devrait donc pas être sous-évalué.

Terminologie et concepts de base

Lorsque l'on examine la question de la pauvreté et de la santé, l'expérience montre que de fréquents malentendus se produisent dans l'utilisation de certains termes et concepts. Du fait de la diversité des origines géographiques des membres du groupe de travail et de la difficulté que la majorité d'entre eux ont à s'exprimer dans une langue autre que leur langue maternelle,il convient, semble-t-il, de préciser certaines définitions et certains concepts.

1. La question de la "population concernée":

Exclusion:

Au sens juridique, il n'y a pas beaucoup de personnes exclues en Europe. Officiellement, seules les personnes qui résident illégalement dans un pays n'ont pas le droit de bénéficier de la protection sociale. Or la situation a radicalement changé au cours des dix dernières années et la définition de "l'exclusion" a été étendue aux catégories suivantes8:

- Les personnes "sans" : personnes vivant dans un pays sans documents officiels, sans logement permanent, sans être enregistrées au secteur social approprié, etc.

- Groupes vulnérables tels que: toxicomanes, détenus, prostitués, jeunes ayant quitté leurs familles, etc.

- Hors catégories: quelques personnes n'appartenant à aucun groupe social, par exemple de jeunes chômeurs, des groupes de migrants ( tsiganes), réfugiés, etc.

- La définition couvre de nos jours une grande proportion de la population, par exemple les personnes en risque d'exclusion qui vivent dans une situation très précaire sur le plan socio-économique, domestique ou du logement.

- Ces situations sont difficiles à identifier et à catégoriser car ces personnes hésitent souvent à contacter les secteurs sociaux qui, à leur tour, ne sont d'ordinaire pas préparés à prendre en compte les situations marginales. Toutefois, l'expérience montre que leur nombre ne devrait pas être sous-estimé.

Pauvreté:

La pauvreté est une définition économique. Diverses approches ont été proposées pour mesurer la pauvreté. Les unes se fondent sur le concept de la pauvreté relative ( par exemple revenu inférieur de 50% aux revenus médians de chaque pays ou au revenu moyen des pays de l'Union européenne); d'autres se basent sur le concept de la pauvreté absolue. Selon ces définitions, on estime que 578 millions de personnes vivent dans des foyers pauvres dans les pays de l'Union européenne en 1996. Treize millions d'entre eux sont des enfants de moins de 16 ans. Dans de nombreux pays de l'Union européenne cette population est bien identifiée puisqu'elle est prise souvent en charge par le secteur social. Des estimations quantitatives sont plus difficilement réalisables dans les pays ex-socialistes.

"Précarité":

Ce terme qui vient du français n'est pas encore familier dans les pays anglophones. La meilleure définition approuvée de nos jours par la Commission européenne dans ses documents officiels 99 a été proposée en 1987 dans le rapport officiel présenté au gouvernement français 1010. La précarité y est définie comme suit :"… l'absence d'une ou plusieurs des sécurités… permettant aux personnes et familles d'assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de jouir de leurs droits fondamentaux. L'insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit à la grande pauvreté, quand elle affecte plusieurs domaines de l'existence, qu'elle devient persistante, qu'elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même, dans un avenir prévisible". A l'heure actuelle, dans chaque pays européen, des millions de personnes vivent dans la crainte permanente de perdre leur travail et leur logement et exposent leur famille à ce risque, même si elles n'appartiennent pas officiellement au groupe défini comme pauvre. Les contours de cette catégorie de la population sont souvent difficiles à appréhender, mais il importe qu'elle bénéficie d'une forte politique sociale pour ne pas basculer
dans la pauvreté.

2. La question de la "pathologie spécifique":

On sait communément que la pauvreté induit une pathologie spécifique. Mais, contrairement à l'opinion communément admise, il y n'y a pas ou très peu de pathologies induites par la pauvreté. Cette idée a été très bien documentée depuis le "Black report"1111 au Royaume–Uni, qui montrait que dans les catégories démunies de la population il existait un gradient social marqué pour toutes les causes de mortalité et pour chaque catégorie d'âge, sauf dans le cas de maladies spécifiques. En d'autres termes, les groupes démunis de la société ont plus de chance de mourir des causes communes de mortalité que les groupes les plus privilégiés. Des études plus récentes ont montré que le fossé n'a cessé de se creuser au cours des vingt dernières années et que certaines catégories de personnes ont trois ou quatre fois plus de chances de mourir avant l'âge de 65 ans que d'autres1212. Cet écart croissant entre la santé des plus démunis et celle des plus privilégiés est désormais une grande source de préoccupation pour la société occidentale.

3. La question des différents types de systèmes de santé

Il existe plusieurs types d'organisation des systèmes de santé en Europe. Le secteur social ayant connu un développement historique spécifique, chaque pays de l'Union européenne a un système de santé qui couvre normalement les besoins d'une grande partie de la population. Dans ces pays, seules quelques personnes n'ont pas un accès juridique aux services de soins de santé de base. Mais dans bon nombre de ces pays,les usagers doivent verser certaines cotisations, ce qui fait obstacle à un accès équitable aux services de soins de santé. Dans les pays ex-socialistes, toute personne a normalement accès aux services de soins de santé. Mais par suite du manque de ressources, du faible revenu des professionnels de la santé et de la pénurie de produits pharmaceutiques, des cotisations sont aussi souvent versées aux prestataires de soins. Une grande partie de la population ne peut les payer et se trouve de ce fait exclue des services. Les descriptions des systèmes de santé tiennent normalement compte du niveau d'intervention de l'Etat dans l'organisation et le financement. Il existe à peu près quatre types de systèmes de santé :

Le système Semashko.

Ce système est le modèle qui a été mis en oeuvre dans tous les pays socialistes. Les services sanitaires appartenaient à l'Etat et les professionnels de la santé étaient rémunérés par l'Etat. Les services étaient normalement gratuits mais les patients devaient payer une somme forfaitaire pour certains d'entre eux comme par exemple les médicaments. Le système Semashko fournissait un accès universel aux soins de santé, n'excluant donc personne. Mais après l'effondrement des régimes socialistes, la pénurie des ressources financières a contraint un plus grand nombre de patients à augmenter leur contribution et ces derniers doivent donc désormais verser directement des cotisations aux prestataires de soins. A l'heure actuelle, le coût des services de santé, en particulier des médicaments, est si élevé dans certains de ces pays qu'ils sont inabordables pour la majorité de la population qui se trouve de facto exclue. Les dépenses nationales de santé dans ces pays sont généralement peu élevées (2-3% du PNB).

Le système Beveridge :

Ce système a été mis en oeuvre pour la première fois en Grande Bretagne juste après la deuxième guerre mondiale. C'est un système financé par les impôts avec un fort contrôle de l'Etat et la participation du marché privé à côté des services publics. Bien que ce concept repose sur le principe de l'universalité, il a été prouvé que d'importantes inégalités subsistent dans le domaine de la santé entre les différentes "classes sociales" de la population. Ce système a été mis en oeuvre avec quelques différences au Royaume-Uni, en Irlande, dans les pays nordiques et plus récemment en Europe du Sud, notamment en Espagne, en Italie et au Portugal. Le système Beveridge est considéré par les patients comme bureaucratique et non convivial, mais est reconnu comme un des plus efficients sur le plan des coûts. Les dépenses nationales de santé de ces pays constituent en moyenne 6 à 8% du PNB.

Le système bismarckien:

Mis en oeuvre à l'origine en Allemagne, le système bismarckien s'est implanté après la deuxième guerre mondiale dans d'autres pays de l'Union européenne comme la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Danemark. Ce système se fonde sur un régime d'assurance maladie obligatoire contrôlé par l'Etat avec une couverture supplémentaire fournie par de sociétés d'assurance à but lucratif et sans but lucratif. Les services de santé relèvent à la fois du marché privé et du secteur public. Les médecins généralistes, les spécialistes, les pharmaciens et les dentistes fournissent pour la majorité d'entre eux des soins privés alors que les hôpitaux sont essentiellement publics. Bien que fondés sur le principe de l'universalité, ces systèmes ne couvrent pas l'ensemble de la population. Certains groupes, surtout les jeunes chômeurs, sont plus ou moins exclus des services de santé. Des mesures ont été récemment prises dans certains de ces pays pour assurer une couverture universelle. Néanmoins,la question de l'accès à des immigrants illégaux qui représentent une population importante dans des pays tels que la France et l'Allemagne n'est pas encore résolue. Dans des pays relevant d'un système de santé bismarckien, les dépenses nationales de soins de santé sont élevées ( 8 à 10% du PNB).

Le système d'économie de marché:

La Suisse est le seul pays d'Europe dont le système de santé est similaire au système américain. La couverture de l'Etat se limite aux groupes les plus démunis de la population, la majorité souscrivant une assurance auprès de compagnies d'assurance privées. La Suisse ayant le PNB par habitant le plus élevé du monde, le nombre des exclus y est très peu élevé. Mais le coût de l'assurance privée est élevé et devient inabordable pour un nombre toujours plus grand de personnes. L'exemple des Etats-Unis montre que ce type de système de santé à économie de marché est le plus inégal en termes d'accès aux services de santé et est le plus coûteux (10 à 13% du PNB).

En dépit d'une croissance régulière de son coût dans la majorité des pays, le système de santé joue un rôle modeste dans l'amélioration de l'état de la santé de la population. Il est désormais largement reconnu que des revenus réguliers – même modestes - protection sociale, logement et éducation jouent un plus grand rôle dans la protection de la situation de la santé. Un accès équitable aux services de santé est une chose certes nécessaire dans tous les pays, mais largement insuffisante s'il ne vise qu'à limiter l'effet de la pauvreté sur la santé.

4. La question des inégalités entre pays européens:

Selon leur prospérité (PNB par habitant), les pays d'Europe pourraient être divisés en trois catégories: les pays à faible revenu avec un PNB annuel inférieur à 3000 USD par habitant ( tous sont des pays ex-socialistes), les pays à revenu intermédiaire qui se situent en Europe du Sud et en Europe centrale et les pays à revenu élevé qui se situent dans la partie septentrionale et occidentale d'Europe. Lors de l'élaboration des politiques visant à limiter l'effet de la pauvreté sur la santé, la capacité financière des pays devrait être prise en compte et des stratégies spécifiques devraient être adaptées au niveau économique de chaque pays.

Revenus inférieurs à 3000 USD

Bosnie-Herzégovine?
Albanie?
Macédoine, RFY?
Moldavie(6.8)
Bulgarie (2.6)
Roumanie (17.7)
Ukraine?
Yougoslavie?
Lituanie(2.1)
Bélarus?
Fédération de Russie(1.1)
Lettonie?
Turquie?
Pologne(6.8)
Estonie(6.0)
République slovaque(12.8)

Revenus compris entre 3000 et 10.000 USD

Croatie?
République tchèque(3.1)
Hongrie(0.7)
Slovénie
Malte
Grèce
Chypre
Portugal

Revenus supérieurs à 10 000 USD
Andorre
Espagne
Irlande
Royaume-Uni
Italie
Finlande
Suède
Pays-Bas
Islande
Belgique
France
Autriche
Allemagne
Danemark
Norvège
Suisse
Luxembourg

Tableau 1 PNB par habitant des pays d'Europe et proportion de personnes vivant avec moins d'un dollar par jour ( source : Rapport sur le développement dans le monde 1997, Banque mondiale).

Questions clés:

En cette période de bouleversements socio-économiques mondiaux avec, entre autres conséquences, une augmentation des inégalités sociales, il y a lieu d'étudier certaines questions clés lorsque l'on examine les effets de la pauvreté sur la santé. On tend généralement à ne prendre en considération que les situations les plus extrêmes et à proposer des mesures spécifiques à l'intention des ces personnes marginales. Une autre tendance consiste à considérer que la pauvreté affecte ou pourrait affecter des centaines de millions de personnes en Europe et qu'il importe avant tout d'assurer à tous l'égalité des conditions d'accès aux systèmes de sanitaires et sociaux. Certaines de ces questions sont présentées ci-dessous pour examen.

1. Qui sont-ils?

Dans chaque pays, cette question est celle qui revêt le caractère le plus politique. La population cible se limite-t-elle aux personnes formellement exclues et à celles qui sont dans une grande pauvreté? Dans un tel cas, les mesures seront essentiellement curatives et ne s'adresseront pas à plus de quelques millions de personnes en Europe. L'expérience montre que dans les pays de l'Union européenne, les ONG sont souvent les acteurs principaux. La population cible est-elle représentée par ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté? Les systèmes sanitaires et sociaux sont alors des institutions clés et il s'agit avant tout d'assurer un accès équitable à tous. Enfin, si l'on privilégie les personnes qui vivent dans une situation précaire même si leur revenu est supérieur au seuil de pauvreté, des efforts spéciaux devraient être faits pour mettre en place des mesures spécifiques afin d'éviter qu'ils ne basculent dans la pauvreté. Cette politique est de toute évidence au-delà de la capacité du secteur de la santé et devrait se fonder sur les principes d'Ottawa. Lorsqu'il examinera les effets de la pauvreté sur la santé, le groupe de travail devrait adopter cette approche plus ouverte.

2. Le risque de stigmatisation

Très souvent, les chercheurs, les décideurs politiques et les journalistes ont tendance à simplifier les problèmes et à les exposer de manière très schématique à l'opinion publique. Une telle attitude dans le domaine de la pauvreté et de la précarité présente un grand risque de stigmatisation. Les "exclus" et les "pauvres" ne constituent pas une classe sociale. Ils sont des personnes qui - pour de nombreuses raisons- se trouvent démunis à un moment donné de leur vie. La majorité de ces personnes des pays de l'Union européenne n'étaient pas pauvres il y a vingt ans, elles ne sont plus pauvres lorsqu'elles trouvent du travail même si elles risquent de le redevenir dès qu'elles perdent leur travail. Seule une toute petite proportion de ces personnes identifiées comme vivant sous le seuil de la pauvreté vit de manière permanente dans de telles conditions. Il est à craindre que si l'on propose d'identifier précisément ces personnes et de fixer de mesures spécifiques pour améliorer leur état de santé, on risque de stigmatiser ces personnes qui sont déjà fragiles sur le plan psychologique. Le groupe de travail devrait approuver le principe visant à ne pas stigmatiser cette catégorie de la population.

3. Les services spécialisés par opposition à l'égalité d'accès

Le débat sur le principe de non-stigmatisation vaut également pour les stratégies qui recommandent de mettre en place des mécanismes spécifiques à l'intention des personnes exclues. De nos jours, dans de nombreux pays, les ONG ont mis en oeuvre des centres médicaux spécialisés??? pour résoudre les problèmes à court terme. Néanmoins,les Etats qui travaillent dans le long terme ne devraient pas s'attacher à créer des systèmes de soins spécifiques pour les catégories défavorisées de la population mais créer les conditions d'un accès égal pour tous. Il serait donc bon que le groupe de travail approuve ce principe et sensibilise les décideurs politiques aux problèmes liés à la création de services spécifiques.

4. Difficulté inhérente à la mise en place de mesures communes du fait de la différence des niveaux de prospérité et de l'existence de quatre types de systèmes de santé

Au delà des principes généraux qui peuvent être avancés en tant que recommandations introductives devant être fermement soutenues par le groupe de travail, il sera difficile de recommander des mesures communes pour toute l'Europe. Du fait de l'écart énorme qui sépare les pays les plus riches et les pays les plus pauvres d'Europe, le groupe de travail devrait s'attacher à élaborer des recommandations qui tiennent compte de la spécificité de chaque pays ou de chaque groupe de pays similaires.

Il est proposé d'organiser le travail comme suit:

Les discussions des membres du groupe de travail devraient suivre une approche logique qui se fonde sur l'expérience acquise et porter sur les éléments ci-après pour les deux premières réunions:

1. Accord sur la terminologie et les concepts: cette discussion devrait avoir lieu au cours de la première réunion pour aboutir à un accord au cours de la deuxième réunion après examen des documents pertinents.

2. Examen des questions clés: cette discussion devrait également se dérouler au cours de la première réunion et un accord définitif devrait intervenir au cours de la deuxième réunion après examen des documents pertinents.

3. Lecture des documents pertinents: en fonction des besoins qui auront été évalués au cours de la première réunion, un ensemble de documents clés et d'articles seront fournis aux membres du groupe de travail, qui seront donc tous saisis des mêmes informations au moment de la deuxième réunion.

4. Mise au point d'une approche commune: la deuxième réunion devrait aboutir à un consensus des membres du groupe de travail sur les grandes questions. Le groupe formulera ensuite des projets de recommandations.


1 Cette estimation inclut la population russe d'Europe.

2 La Charte d'Ottawa a précisé que la santé exige un certain nombre de conditions et ressources préalablesqui sont que l'individu doit "pouvoir se loger, accéder à l'éducation, se nourrir convenablement, disposer d'un certain revenu, compter sur un apport durable de ressources et avoir droit à la justice sociale et à un traitement équitable".

3 "Les soins de santé primaires". Conférence internationale d'Alma Ata sur les soins de santé primaires. OMS, Genève; 1978

4 " Vers une nouvelle santé publique". Conférence d'Ottawa. OMS, Genève, 1986.

5 Whitehead M. The health divide. Retirage en livre de poche Penguin. Londres;1990.

6 La progression de la précarité en France et ses effets sur la santé. Haut Comité de la Santé Publique; Ministère de l'emploi et de la solidarité, Paris;1998.

7 Ermakov S.P. in Statistiques de la Fédération de Russie en matière de santé. MedSocEconoInform, Moscou;1997.

8 Prevention and health promotion for the excluded and the destitute in Europe. Chauvin P. et al. Europromed; Institut de l'Humanitaire, Paris 1999.

9 Poverty3, Commission européenne, PE DOC A4-102/96, Luxembourg;1996

10 Wrezinski J., "Grande pauvreté et précarité économique et sociale", Paris, Journal officiel;1987

11 Inégalités dans le domaine de la santé. The Black report. Retirage en livre de poche Penguin. Londres;1990

12 La progression de la précarité en France et ses effets sur la santé op.cité.