Politique de la santé

Les aspects psycho-sociaux des familles monoparentales

Introduction 

L'augmentation du nombre des familles monoparentales depuis 20 ans a été telle qu'aujourd'hui, au milieu des années 1990, près d'un enfant sur trois en Europe passe une partie de son enfance - avant l'âge de seize ans - avec un seul de ses parents.

Selon une enquête de l'OCDE, dans la plupart des pays, l'énorme majorité (80% et même davantage) des parents isolés sont des femmes. Les indicateurs démographiques semblent indiquer que cette tendance va se poursuivre, essentiellement en raison de l'effet combiné de l'augmentation du nombre des divorces et des séparations et de la baisse du nombre des remariages. De même, la proportion des naissances hors mariage, souvent de mères qui n'ont jamais été mariées, augmente, mais varie quelque peu suivant les pays européens.

La santé des membres des familles monoparentales peut être fragilisée par divers facteurs dominants dans ce type de structure familiale:

· la situation financière des familles monoparentales est très souvent précaire;

· l'accumulation des rôles sociaux par des parents uniques crée une tension physique et psychologique qui peut aussi se répercuter sur les enfants;
· la vie sociale et affective des membres des familles monoparentales est déséquilibrée par la douleur de la séparation, du divorce ou du veuvage.

En outre, le réseau communautaire de soutien des parents uniques se restreint souvent après la rupture du couple. le stress engendré par tous ces facteurs peut provoquer divers symptômes psychosomatiques (fatigue, insomnie, dépression, troubles du comportement), qui entraînent de fréquentes visites chez le médecin ou les services sociaux et l'utilisation régulière de médicaments. Des études ont montré que le fait d'être une mère seule avec un enfant à charge est souvent associé à une plus grande morbidité et à une utilisation plus fréquente des services médicaux par rapport aux mères qui vivent en couple.

En outre, la mauvaise santé d'un parent exerce une influence sur la santé de l'enfant. De même, la mauvaise santé d'un enfant va avoir un effet sur la santé du parent.

Les familles monoparentales représentent un défi pour la politique sociale et plus précisément pour les politiques sanitaires. La mise au point des politiques sanitaires destinées à aider la famille monoparentale à remplir correctement sa mission exige souplesse et intelligence.

La politique familiale en Europe (prestations, congés, dégrèvements fiscaux, etc.) à l'égard des familles monoparentales semble en faire un groupe spécial ayant et faisant naître des problèmes particuliers en raison de la situation des familles qui le composent. Les résultats scientifiques et les expériences d'action sociale montrent que les problèmes de santé des familles monoparentales sont de plus en plus liés aux droits de la femme, à la pauvreté et au chômage de longue durée.

La santé des familles monoparentales dépendra par conséquent moins, à l'avenir, de la politique familiale, et plus d'une part d'une politique plus générale de promotion de l'emploi et de lutte contre la pauvreté, et d'autre part de l'accès aux services sanitaires et sociaux nécessaires pour répondre aux besoins spécifiques de ces familles.

Tendances récentes des caractéristiques démographiques et socio-économiques des familles monoparentales 

Longtemps considérée comme l'unité de base de l'organisation sociale et économique, la famille a connu ces 20 à 30 dernières années des changements importants et rapides. Si la famille nucléaire traditionnelle reste le type de famille le plus fréquent, elle représente aujourd'hui une bien moindre proportion de l'ensemble des familles. Les unions consensuelles, moins traditionnelles mais structurées de la même façon, sont devenues un type de famille plus visible et mieux accepté, et le nombre de familles à un seul parent célibataire et des familles à un seul parent veuf, divorcé ou séparé a rapidement augmenté.

Il existe plusieurs façons de se retrouver parent seul: le mariage et la naissance d'un enfant suivie d'un veuvage, la séparation, le divorce ou la naissance d'un enfant hors des liens du mariage. De multiples événements peuvent conduire à ne plus être parent seul ou à le redevenir: la réconciliation, le mariage ou le remariage, un nouveau ou un premier veuvage, la séparation et le divorce; et enfin, l'arrivée des enfants à l'âge adulte. Il en résulte que la définition de la famille monoparentale est souvent peu claire, car elle dépend: de l'âge limite que les enfants ne doivent pas avoir dépassé pour que la famille soit comptée comme famille monoparentale; du type de ménage formé et de la prise en compte ou de l'exclusion des concubins non mariés.

L'augmentation très rapide du nombre des familles monoparentales a commencé dans les années 60 en Amérique du Nord, et légèrement plus tard ailleurs. Depuis le début des années 1970, dans certains pays tels que la France et la Suisse, le nombre de ces familles ne s'est accru que très modestement - de 20% ou moins. Mais à l'autre extrême (en Grande-Bretagne par exemple), l'augmentation a été supérieure à 50%, la majorité des pays se situant entre 30 et 50%. Le moteur de cette croissance - les séparations et les divorces - a été renforcé par la baisse des taux de mariage et de remariage. L'augmentation du nombre des naissances hors des liens du mariage, bien qu'elle ne soit absolument pas la même dans tous les pays, est un facteur contributif important. Les veuves forment le groupe le plus important des mères seules en Irlande et en Espagne mais dans la plupart des autres pays elles viennent au second rang après les divorcées.

Ces chiffres sous-évaluent cependant l'importance du groupe des parents seuls, car en fait il y a un bien plus grand nombre d'adultes et d'enfants vivant à plusieurs reprises, tout au long de leur vie, dans une famille monoparentale, que ce que l'on peut compter en un seul recensement ponctuel. Le phénomène des parents seuls touche donc bien plus de gens que ce que peut révéler un simple instantané.

Lorsque l'on compare les familles monoparentales aux familles biparentales, l'on s'aperçoit que les premières ont en moyenne moins d'enfants et que leurs enfants ont tendance à être plus âgés. L'image populaire de la famille monoparentale est souvent celle d'une jeune mère avec un bébé. Or cette image ne correspond pas à la réalité. Certes, dans tous les pays, la très grande majorité des parents seuls sont effectivement des mères - 80% et plus -, mais ce sont les mères divorcées et séparées, suivies des veuves, qui dans la plupart des pays représentent la plus forte proportion des mères seules. Elles sont donc en moyenne plus âgées que les mères mariées et par conséquent leur enfant le plus jeune est donc plus âgé que celui des mères mariées.

La plupart des études consacrées aux mères divorcées et séparées montrent que celles qui se marient jeunes courent davantage le risque d'une rupture conjugale que celles qui se marient plus tard. Elles montrent aussi que les femmes qui sont plus âgées lorsque leur couple se dissout ont moins de chances de se remarier et qu'elles vivent donc plus longtemps en tant que parent isolé. Il est possible aussi que la crainte de se retrouver en situation de parent seul, et la perspective des difficultés financières et sociales qui vont de pair avec cette situation, empêchent la dissolution de couples qui ne s'entendent plus.

Nous pouvons donc poser pour hypothèse que les mères divorcées et séparées sont en partie celles qui peuvent se le permettre. Ce sont également les mères les plus aisées qui ont le plus de chances de trouver des partenaires, ce qui signifie que même au sein de ce groupe il existe une ligne de séparation très nette entre celles qui cumulent les inconvénients et les autres.

Les problèmes des familles monoparentales sont semblables à ceux de chacun des grands groupes auxquels ces familles appartiennent - les familles, les personnes dont le revenu est insuffisant, les femmes, les enfants, les salariés et les chômeurs - et d'une manière plus générale à ceux de tous les groupes défavorisés et victimes de perturbations dans leur cycle de vie. C'est l'accumulation des difficultés économiques qui fait qu'il y a de fortes chances pour qu'une famille monoparentale soit aussi une famille pauvre. Les taux de pauvreté sont souvent plus élevés chez les familles monoparentales que dans l'ensemble de la population ou dans les sous-groupes dont les parents isolés sont originaires.

L'expression "famille monoparentale" implique une homogénéité au sein du groupe et des disparités entre ce groupe et les autres, alors qu'en fait ces caractéristiques sont souvent absentes. La présence des enfants est représentative à la fois de ce qui unit et de ce qui sépare le groupe; ce sont les enfants qui figurent parmi les préoccupations majeures associées au phénomène de la famille monoparentale. En somme, les problèmes en jeu vont bien au-delà de la désignation d'un type familial. Une modification du statut familial peut cependant être le catalyseur qui révèle une vulnérabilité économique latente; c'est dans cette vulnérabilité que réside le problème.

Bien que dans le détail, les situations soient différentes d'un pays à un autre, il est possible de se livrer à quelques considérations d'ordre général valables pour l'ensemble des pays:

¨ les familles monoparentales dont le chef est une femme courent le risque d'être économiquement défavorisées - pour certaines, par rapport à leur situation antérieure, pour d'autres, en valeur absolue.

¨ bien qu'important, le fait de percevoir un revenu ne constitue pas forcément une garantie contre la précarité. Cela n'est en réalité guère surprenant, car il est bien connu que les femmes sont nombreuses dans les emplois faiblement rémunérés et que dans la plupart des pays ce sont elles qui occupent la majorité des emplois à temps partiel.

¨ une distinction majeure à faire - et sans doute la plus importante - entre les mères seules est celle qui a trait à la capacité de gain; cette capacité est bien entendu liée au niveau d'instruction, de formation et de compétence, ainsi qu'à l'expérience professionnelle antérieure. Ces facteurs ne sont pas seulement des indicateurs du potentiel de gain: ils sont également déterminants d'autres possibilités d'épanouissement dans la vie, telles que le mariage ou le remariage. Le rôle du mariage et du remariage est d'une importance capitale parce qu'il s'agit de la façon la plus courante de sortir des difficultés économiques que connaissent les parents isolés. Il y a donc là une sorte de cercle vicieux, puisque la situation économique de la personne concernée est influencée par l'amélioration de sa situation familiale et vice-versa.

On voit donc que les problèmes des familles monoparentales sont dûs à des causes très diverses: le manque de soutien de la part du parent absent, l'insuffisance des revenus ou l'incapacité de travailler en raison de caractéristiques personnelles, de la nature du marché de l'emploi ou des responsabilités familiales et autres facteurs limitant la capacité de travailler ou de reprendre un emploi, ou bien encore une combinaison de certains de ces facteurs.

Les politiques et les régimes de soutien du revenu, que ce soit par omission ou à dessein, ne sont parfois pas suffisants pour aider les familles monoparentales. Les sociétés sont peu enclines à accepter que la mère seule puisse rester au foyer; cela est en partie dû aux attitudes à l'égard des familles monoparentales et en partie au fait que dans les pays industrialisés modernes, une femme qui a des enfants et qui ne travaille pas est aujourd'hui l'exception plutôt que la règle. Si bien qu'en général, bien que de nombreux pays apportent une aide sociale aux mères seules - assurance sociale, allocations familiales, aide à l'enfance, aide au logement, allégements fiscaux, etc. - les politiques habituellement adoptées ont fortement tendance à encourager les mères seules à travailler et à ne pas compter sur une quelconque aide financière.

L'exercice d'une activité professionnelle rémunérée et les obstacles au revenu

Le fait de percevoir un revenu est un gage d'auto-suffisance pour la plupart des ménages en bonne santé et encore suffisamment jeunes, mais cette relation devient moins évidente lorsqu'il s'agit de foyers constitués par des femmes avec enfants. Bien que dans la plupart des pays le nombre des mères seules exerçant une activité professionnelle rémunérée soit relativement élevé, il existe des obstacles qui empêchent ces mères de reprendre un emploi. Plusieurs de ces obstacles tiennent à des problèmes que connaissent les femmes en général: leurs revenus moyens sont inférieurs à ceux des hommes, leurs possibilités d'emploi sont concentrées dans des types d'activité assez limités, et dans la plupart des pays le taux de chômage des femmes a tendance à dépasser celui des hommes.

L'augmentation du taux d'activité des femmes montre qu'il y avait de leur part un véritable besoin de travailler, ce besoin étant sans doute encore accentué dans le cas des mères seules. Or les politiques d'aide à l'enfance ne sont habituellement conçues ni pour un groupe particulier d'usagers ni uniquement pour que les bénéficiaires puissent concilier l'exercice d'une activité rémunérée et leurs obligations familiales. Par exemple, le fournisseur le plus important de services d'aide à l'enfance est dans pratiquement tous les pays le système scolaire obligatoire, dont la fonction secondaire est une fonction de garde des enfants. La plupart du temps, les services de garde d'enfants accueillent les enfants en bas âge (ceux qui n'ont pas encore atteint l'âge scolaire), mais cela ne permet pas toujours de satisfaire tous les besoins des mères qui exercent une activité professionnelle rémunérée, surtout lorsque le nombre limité de leurs heures de travail n'est pas en rapport avec leurs besoins financiers. Les pays qui, pour aider les mères qui travaillent, ont adopté des stratégies globales en matière de garde des enfants sont encore peu nombreux.

L'intervention des pouvoirs publics ne revêt pas les mêmes formes dans tous les pays. Elle va de la fourniture directe de services de garde à prix réduits, à l'octroi de subventions aux fournisseurs ou aux parents eux-mêmes, soit directement sous forme d'allocations soit indirectement par l'intermédiaire du système fiscal.

Une mère seule qui reste à son domicile avec ses enfants est souvent considérée comme avantagée, surtout lorsqu'elle a choisi de vivre ainsi et qu'elle n'y a pas été contrainte par l'absence de services de garde, le manque de possibilités d'emploi ou d'autres contraintes relatives à l'emploi. Apparemment, les avantages l'emportent alors sur l'inconvénient de devoir abandonner un revenu. Mais la décision de ne pas travailler peut avoir un prix beaucoup plus élevé qu'il n'y paraît. L'expérience professionnelle et l'acquisition, sur le tas, des qualifications nécessaires sont perdues, les compétences existantes se dégradent et deviennent obsolètes. Il en résulte alors non seulement une perte de revenu mais aussi une perte de la capacité de gain. Pour conclure, l'expérience et les statistiques prouvent à la fois l'intérêt et l'importance qu'il y a à exercer une activité rémunérée, et la difficulté d'y parvenir, en raison d'une part des conflits entre les rôles et obligations de la mère par rapport à ses enfants, et d'autre part de l'insuffisance relative des revenus qu'elle est susceptible de tirer des emplois disponibles.

En dépit de ces difficultés, beaucoup de mères seules travaillent. Celles qui restent dans leur foyer pendant un certain temps ont en général des chances de retravailler plus tard. Dans la plupart des pays industrialisés, les chances qu'une femme ne retravaille jamais sont relativement faibles et sont en diminution. Une femme qui est le seul adulte de la famille et qui ne se remarie pas aura presque à coup sûr besoin de travailler à un moment ou à un autre. Pour celles qui se retrouvent seul adulte de la famille avec les qualifications et l'expérience qui leur permettent d'être bien placées sur le marché de l'emploi, le problème qui se pose est celui de la conservation et de l'amélioration continue de leur capacité concurrentielle. La mise à la disposition de ces femmes, de services de garde d'enfants à leur portée et correspondant à leurs besoins est sans doute la première des mesures que devrait comporter une politique de soutien.

Mais il ne faut pas oublier toutes les femmes qui se retrouvent seul adulte de la famille alors qu'elles sont déjà désavantagées au départ parce qu'elles n'ont que peu d'instruction, voire pas du tout, peu de compétences et peu d'expérience professionnelle, sinon aucune. Pour ce groupe, le fait de se retrouver parent isolé ne fait qu'exacerber des problèmes déjà existants, mais en soi, il n'en crée pas. De tous les types de parents seuls, ce sont les personnes qui appartiennent à ce groupe qui resteront défavorisées le plus longtemps, celles qui auront le moins de chances de parvenir à l'auto-suffisance par leur propre travail et celles qui auront le moins de chances de se marier ou de se remarier. Chez elles, le travail considéré comme moyen d'assumer leurs responsabilités - que ce soit leurs obligations vis-à-vis de leurs enfants, leurs obligations financières ou autres, prend une toute autre dimension. Il est certes nécessaire qu'elles aient accès à des services de garde d'enfants, mais cela n'est pas suffisant lorsqu'elles ne disposent pas des qualifications professionnelles et de l'expérience appropriées. Il faut donc investir pour améliorer leur "capital humain", et disposer pour ce faire du temps et de l'argent nécessaires.

Le lien entre les revenus réels et les revenus nécessaires est encore plus faible lorsque la responsabilité financière s'étend aux enfants. Il faut alors davantage de revenus que pour un adulte seul, alors même que la présence d'enfants à charge risque de limiter le temps de travail et le choix des horaires de travail. Le coût de la garde des enfants, entre autres, peut être tel qu'il ne laisse au parent seul qu'un revenu insuffisant pour les besoins de la famille. En dépit de ces obstacles, le taux d'activité des mères seules est dans la plupart des pays proche de celui des mères mariées. Et dans presque tous les pays, les mères seules ont davantage tendance à travailler à plein temps que les mères mariées, et moins de travailler à temps partiel.

Etant donné que dans la plupart des pays le taux d'activité des mères seules et celui des mères mariées sont à peu près les mêmes, on peut en conclure que la principale explication des différences entre pays en ce qui concerne le taux d'activité des mères seules relève de facteurs qui affectent les mères en général, tels que la structure du marché de l'emploi, la disponibilité relative des emplois à plein temps et des emplois à temps partiel, l'éducation et la formation des femmes, les services de garde d'enfants officiels ou non institutionnalisés, et le congé parental.

Les parents seuls ont davantage de chances de travailler s'ils sont déjà salariés lorsqu'ils se retrouvent à la tête d'une famille monoparentale, ce qui fait que les mesures visant à encourager l'exercice d'une activité professionnelle rémunérée par les femmes en général et par les mères en particulier conduit à un relèvement du taux d'activité des mères seules. De telles mesures comprennent l'amélioration de l'éducation et de la formation professionnelle des femmes, l'octroi de facilités telles que le congé de maternité et le congé parental, et la création de services de garde d'enfants pour encourager les mères à continuer à travailler. Si ces mesures impliquent bien entendu un certain coût pour les gouvernements, elles permettent en revanche de réaliser des économies en matière d'assistance publique.

Il existe plusieurs facteurs pouvant affecter le montant des revenus, et ces facteurs exercent une influence sélective sur les familles monoparentales. Il s'agit notamment des différentes formes de rémunération complémentaire, d'imposition et d'autres paiements liés au travail. La forme et la structure de ces paiements ou prestations peut avoir des effets différents selon la catégorie de ressources ou de revenus des intéressées, et elle peut même dépendre de la structure et du volume de travail effectué. Bien que la plupart de ces dispositions soient appliquées à un niveau général, elles ont en soi beaucoup de chances de peser sur la décision de travailler (incitation à reprendre un emploi) et les gains des salariés à faibles revenus, groupe au sein duquel les femmes sont sur-représentées.

La rémunération complémentaire peut prendre les formes les plus diverses: congé de maladie, vacances, congé de paternité ou de maternité, prestations de maladie, droits aux prestations d'un régime de retraite professionnel, subventionnement de repas ou d'activités de loisirs, etc. Côté coûts, on trouve les dépenses liées au travail telles que l'impôt direct sur les ressources et le revenu, et les prestations en espèces ou en nature qui ne sont plus versées dès lors que l'intéressée travaille.

L'accès à des services de garde d'enfants est en général un facteur clé qui intervient dans la décision de la mère seule de chercher un premier emploi ou de retravailler. L'existence et le coût de ces services sont d'un intérêt évident pour les toutes familles avec enfants, mais ils sont essentiels pour les mères qui travaillent et dont les enfants ne sont pas assez âgés pour être livrés à eux-mêmes. Pour les mères seules qui n'ont pas la possibilité de partager leurs lourdes responsabilités financières et parentales, l'accès à des services de garde d'enfants économiquement à leur portée est impératif si l'on veut qu'elles puissent remplir leurs obligations.

Politique des pouvoirs publics et aide privée

Auparavant, lorsque les ruptures de couples étaient moins fréquentes et les naissances hors mariage moins habituelles - et moins couramment admises - le groupe prédominant des parents seuls était composé de ceux dont le conjoint était décédé, en général prématurément. La réaction de la société était un élan de sympathie et la volonté d'aider. La veuve n'était la plupart du temps plus jeune, il y avait moins de chances qu'elle ait déjà travaillé qu'il n'y en a de nos jours, et si elle avait travaillé, elle avait probablement quitté son emploi après son mariage ou la naissance de son premier enfant. Elle n'était pas censée retravailler; son premier devoir était de s'occuper de ses enfants. Il en allait de même après le décès prématuré de son conjoint. Le veuf, quant à lui, était censé continuer à gagner le pain de la famille et si possible se remarier pour pouvoir remplir ses autres obligations domestiques et familiales.

Bien que cette description ne corresponde pas pleinement à la réalité dans tous les pays, elle est cependant significative du stéréotype sur lequel étaient (et sont encore) basés de nombreux régimes publics. La veuve et les enfants sont habituellement couverts par les régimes d'assurance sociale, les obligations du conjoint décédé étant remplies, du moins en partie, même après le décès, par le régime public de transfert de revenu. Le fait que la veuve choisisse ou non de compléter ce revenu par l'exercice d'une activité professionnelle rémunérée n'est pas pris en compte par les pouvoirs publics.

Il est fréquent que les personnes qui se retrouvent parent seul autrement qu'à la suite du décès de leur conjoint ne soient pas considérées de la même façon que le sont les veuves. Qu'il s'agisse là d'une désapprobation qui n'ose pas dire son nom ou du sentiment que la situation de l'intéressée est en partie due à son propre choix et, partant, nécessite moins l'intervention des pouvoirs publics, ou qu'il s'agisse de préoccupations réelles quant au coût potentiel de l'aide publique, ou bien encore d'autres facteurs, toujours est-il que le résultat est une sorte d'attitude ambivalente quant au comportement que l'on attend des mères seules: doivent-elles rester au foyer et s'occuper de leurs enfants, ou doivent-elles travailler?

Il est évident que les temps ont changé, et que la situation économique et les causes de l'existence des familles monoparentales ne sont plus les mêmes. Les femmes exercent plus souvent une activité professionnelle rémunérée, même lorsque leurs enfants sont jeunes. De même que les parents isolés peuvent se retrouver dans une situation contradictoire lorsqu'ils doivent faire face à une double responsabilité, les régimes publics de maintien du revenu sont eux aussi confrontés à des contradictions. D'une part, il peut être souhaitable de faire en sorte que les parents seuls acquièrent davantage d'autonomie sur le plan économique; mais d'autre part, le maintien du revenu par les pouvoirs publics, s'il permet à la famille de continuer à vivre normalement, est contre-productif au niveau de l'incitation à travailler. La "générosité" peut finalement être incompatible non seulement avec les mesures d'incitation au travail, mais aussi avec un autre objectif des pouvoirs publics: minimiser les dépenses.

La mère seule doit souvent additionner plusieurs revenus provenant de sources différentes, dont l'importance relative variera au fil du temps et qui ont entre eux des liens complexes. Il peut s'agir notamment d'un revenu provenant des autres foyers dont l'intéressée était auparavant membre. Ce revenu peut être versé par ses parents ou par un ancien partenaire ou concubin, soit sous la forme d'un capital soit sous celle d'un versement périodique à son nom ou à celui de ses enfants. La mère seule pourra y ajouter le montant de son propre revenu professionnel, qui dépendra lui aussi de ses responsabilités actuelles vis-à-vis de ses enfants, de ses qualifications et de son expérience, et du temps qu'elle aura consacré aux autres membres de la famille, jeunes et vieux, sans pouvoir travailler en même temps.

Elle pourra enfin recevoir des paiements de l'Etat, en sa qualité de parent, ces sommes étant habituellement versées sous conditions de ressources par les régimes généraux de sécurité sociale ou d'aide sociale plutôt que par les régimes d'assurance liés à un emploi régulier, qui sont plus généreux. L'équilibre entre les différentes sources de revenu se détériore au fil du temps en fonction de l'âge, de l'état de santé, du statut conjugal, de l'âge du plus jeune des enfants et de la raison pour laquelle l'intéressée s'est retrouvée seule adulte de la famille. L'équilibre entre les prestations publiques et les prestations privées dépendra directement de la situation familiale.

Aujourd'hui, la majorité des familles monoparentales dont la situation est due à un divorce ne dépendent plus de façon significative de pensions alimentaires privées (ou bien alors, lorsque c'est le cas, la somme est peu importante). L'essentiel de leur revenu est constitué par les prestations de l'Etat et par la rémunération que l'adulte chef de famille tire de son activité professionnelle. La relation entre ces deux sources de revenu revêt une grande importance. En Suède, par exemple, l'aide de l'Etat est ciblée sur ce groupe et elle n'est pas diminuée lorsque la mère travaille. Au Royaume-Uni, le revenu professionnel de la mère est directement déduit de l'aide publique. Les obligations financières des parents envers les enfants continuent même lorsque le mariage est dissous ou lorsqu'il n'y a pas eu de mariage. Bien que ce système soit très largement accepté par l'opinion publique, il est fréquent que le parent qui n'a pas la garde des enfants ne verse pas l'aide due. La pierre angulaire de la politique suivie en la matière par les pouvoirs publics de nombreux pays consiste par conséquent à adopter des mesures contraignantes afin que les obligations financières dans ce domaine soient respectées.

Bien qu'idéologiquement important, le rôle que joue la législation familiale dans l'aide aux familles monoparentales est modeste. Le non respect des obligations est un problème universel. Il se peut très bien qu'il soit dû au manque de ressources et au fait que les intéressés aient à présent une nouvelle série de personnes à charge. Mais même en supposant que les obligations existant en la matière soient toutes pleinement respectées, le montant moyen des pensions alimentaires n'est de toute façon pas suffisant pour payer les coûts directs ou indirects de l'éducation d'un enfant alors que la mère a dû abandonner son revenu professionnel. Là encore, ce sont les familles pauvres qui sont les plus défavorisées car le parent qui n'a pas la garde de l'enfant est incapable de contribuer de façon significative aux dépenses du foyer. Le taux des divorces a augmenté si rapidement que ni l'opinion publique ni le législateur ne sont encore parvenus à un consensus quant à ce que la loi peut faire pour la famille monoparentale. L'opinion publique ne s'est clairement exprimée sur aucune des questions suivantes:

1. quelles obligations financières peuvent être considérées comme acceptables pour et par les membres de la même famille qui ne vivent plus dans le même foyer?

2. la mère qui a la garde de l'enfant et qui souhaite obtenir une pension alimentaire maximum de son ex-époux est-elle une bonne mère ou cherche-t-elle en fait à mettre "son mari sur la paille"?

3. le divorce est-il un événement dans la vie de deux adultes ou un processus dont les conséquences d'une génération à l'autre sont permanentes pour toutes les personnes concernées?

Les solutions juridiques sont fondées sur l'approche du divorce adoptée par le législateur et elles sont davantage conçues pour régler un différend - par exemple la répartition des biens du couple - que pour planifier la situation financière future d'un groupe de personnes dont les ressources et les besoins vont évoluer avec le temps.

Les statistiques montrent qu'il reste encore beaucoup à faire pour améliorer la situation dans ce domaine; il est évident, cependant, que le fait de modifier l'affectation des ressources n'en crée pas de nouvelles; les tribunaux ne peuvent octroyer que ce qui existe déjà. C'est donc essentiellement lorsqu'il y a un revenu régulier ou une demande de déduction sur salaire que l'on peut améliorer les choses; mais les approches consistant à exiger des pauvres qu'ils aident d'autres pauvres ne mènent nul part. Si l'on veut vraiment que l'aide publique joue un rôle important (ce qui est le cas dans la majorité des pays), il faudrait que cette aide aille au-delà du simple contrôle du respect des obligations privées et qu'elle consiste à intervenir directement en utilisant les régimes publics de transferts sociaux. La forme et le type de ces régimes varie d'un pays à l'autre en fonction d'une série de facteurs allant des contraintes budgétaires à des questions plus générales d'ordre idéologique. La seule façon de faire le point de la situation dans ce domaine consisterait à entreprendre un examen complet, pays par pays, des mesures de politique sociale prises en faveur des parents seuls, ce qui va au-delà de l'objectif que s'est fixé le présent rapport.

L'aide peut prendre la forme de dégrèvements fiscaux pour les parents seuls lorsque la politique choisie a pour but de les inciter à travailler, de prestations directes en espèces versées aux parents seuls pendant les périodes de transition ou en permanence jusqu'à ce que leur enfant atteigne un certain âge, ou de subventions telles que les allocations de logement ou le financement de services de garde d'enfants. Les organisations non gouvernementales pourraient elles aussi contribuer activement à l'allégement de la charge qui pèse sur les parents seuls. Elles pourraient fournir une aide complémentaire du même type que celle offerte par les organismes gouvernementaux, ou cibler leur action sur les besoins non financiers des familles monoparentales, par exemple dans les domaines de l'aide sociale, de l'éducation, de la reconversion professionnelle, de la garde des enfants par des réseaux informels; elles pourraient également aider les familles monoparentales à faire face à leurs difficultés sociales et psychologiques. Dans de nombreux pays, les groupes d'auto-assistance et les associations jouent un rôle de plus en plus important. Cela présente beaucoup d'avantages, car cette action ne permet pas seulement d'aider les familles monoparentales mais aussi d'alléger quelque peu la pression qui s'exerce sur les dépenses publiques.

Si les problèmes des familles monoparentales que nous avons examinés ici sont essentiellement des problèmes d'ordre financier, cela ne veut pas dire que ce soient les seuls auxquels sont confrontées ces familles. Le divorce, la séparation et le décès sont souvent des événements qui bouleversent la vie des gens, et qui sont fréquemment synonymes de difficultés à long terme. Ils ont un impact sur tous les aspects de la vie, et s'ils ne sont pas traités de manière satisfaisante, ils ont de graves conséquences sur le bien-être social, physique et mental des personnes concernées. Lorsqu'il n'existe pas de réseau informel d'aide sociale, ou lorsqu'il en existe un mais qu'il est bon de le compléter, l'apport des organisations non gouvernementales et des administrations publiques peut s'avérer décisif. Dans de nombreux pays, les possibilités offertes par les organisations non gouvernementales sont encore loin d'avoir été pleinement exploitées, si bien qu'il serait souhaitable d'appliquer une politique de soutien à ces organisations.

Attitudes et comportements 

Parmi les difficultés auxquelles sont confrontées les familles monoparentales, nombreuses sont celles qui proviennent des attitudes psychologiques et des comportements de la société, qu'il conviendrait de modifier si l'on veut aider les familles monoparentales à traverser des périodes de crise.

Les familles monoparentales souffrent trop souvent de discrimination et de préjugés (par ex. dans l'accès à l'emploi, au logement, aux services de garde d'enfants). Les comportements négatifs de la part de ceux-là même dont le rôle est d'aider et de conseiller les parents seuls peuvent entraîner un rejet de cette aide et de ces conseils.

Le fait que la plupart des familles monoparentales aient pour chef une femme peut conduire à l'aggravation, plutôt qu'à la diminution, des inégalités entre hommes et femmes. Certains comportements et certaines attitudes vis-à-vis des rôles respectifs des deux sexes sont en train d'évoluer, et il convient dès lors de procéder aux changements correspondants en étant attentif à ce qu'il faut aujourd'hui prendre en compte et à ce qui nécessite une approche sensible et intelligente.

Les études psychosociales montrent que les gens se sentent souvent menacés ou gênés par les personnes qui ont traversé une crise, surtout s'ils ont le sentiment qu'il pourrait leur arriver la même chose. De plus, les personnes qui font savoir qu'elles se débrouillent bien face à la crise qu'elles traversent risquent moins d'être jugées négativement et d'être évitées par les autres que celles qui avouent éprouver des difficultés à faire face à leurs problèmes. Ces résultats laissent à penser que ceux qui ont le plus besoin d'un soutien social sont sans doute ceux qui ont le moins de chances de l'obtenir.

Les travaux de recherche sur l'aide sociale et les stratégies à appliquer après que l'on ait reçu la garde d'un enfant sont malheureusement assez rares. On ne sait que peu de choses sur la façon dont les gens s'organisent et parviennent à traiter simultanément plusieurs problèmes et à mener de front plusieurs activités. Il faudrait étudier comment les membres des familles monoparentales (et les familles en général) font face à leurs différents problèmes.

Parmi les questions auxquelles il serait utile que les services sociaux puissent obtenir une réponse figurent les suivantes:

– quelles sont les conséquences de l'accumulation des charges?

– quelle est la charge maximum que peuvent supporter les parents seuls et leur système de soutien privé?

– quel est le volume de l'aide nécessaire dans certaines situations?

– quel est le meilleur moment pour apporter une aide et quelle est la durée optimale des mesures prises?

– quelle est l'efficacité des différentes formes d'aide?

Conclusions générales 

Les familles monoparentales sont confrontées à de nombreux problèmes qui, soit isolément soit de manière combinée, peuvent également se poser aux autres membres de la société eux aussi économiquement vulnérables. Mais ce qui est préoccupant, et c'est en cela qu'elles se distinguent des autres, c'est l'augmentation de leur nombre, la concentration croissante, chez ces familles, des foyers à revenus insuffisants, le fait qu'elles cumulent les handicaps et la présence des enfants. Ces familles n'ont pas beaucoup de moyens de sortir de leurs difficultés économiques, ce qui montre bien la nécessité d'une intervention des pouvoirs publics. S'agissant de la politique générale à suivre, il en résulte qu'outre un certain nombre de solutions à court terme, il pourrait s'avérer à la fois rentable et efficace, à long terme, de renforcer les mesures permettant de rendre ces familles moins vulnérables économiquement, et notamment les mesures générales destinées à aider les personnes défavorisées sur le marché de l'emploi, en particulier les femmes. Le fait d'être défavorisé sur le marché de l'emploi et d'être potentiellement dépendant de l'Etat a un coût, mais ce coût n'est pas le seul; la perte de ressources productives que cela représente a également un coût, qui est supporté par l'ensemble de la collectivité et que nous léguons à nos enfants.

Recommandation N( R (97) 4 sur les moyens d'assurer et de promouvoir la sante de la famille monoparentale